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Dossier
#28
Artistes imprimeurs :
de l’encre plein
les doigts
RÉSUMÉ > Un nouveau souffle s’est emparé de la micro-édition d’art à Rennes. Quatre jeunes collectifs revisitent les techniques anciennes de la gravure et de la sérigraphie pour créer un univers graphique résolument contemporain. Baptisés Barbe à Papier, la Presse Purée, l’Imprimerie et l’Atelier du Bourg, ils organiseront cet automne la 3e édition de leur Marché Noir, festival dédié « à la micro-édition manufacturée et indépendante ».

     Aux murs, des affiches petites et grandes aux graphismes rétro, futuristes ou bizarroïdes. Sur les étals, des livres en tirages limités, des fanzines, des objets de papier, des cartes délurées… Bienvenue au Marché Noir. En septembre dernier, la deuxième édition de ce festival d’un genre unique à Rennes a pris possession du Jardin Moderne. Plus de 1 500 visiteurs s’y sont bousculés le temps d’un week-end. « La plupart recherche des images originales réalisées en tirages limités », explique Charlotte Piednoir du duo Barbe à Papier, co-organisateur de l’événement. Le point commun de la vingtaine d’exposants ? L’impression manufacturée… sous toutes ses formes. Ici, les artistes remettent au goût du jour la lithographie, la sérigraphie et la gravure. Un temps tombées en désuétude, ces techniques anciennes reviennent aujourd’hui à la mode. « Il y a un renouveau des images faites à la main », constate Éric Mahé, graphiste du collectif l’Imprimerie. « On est aujourd’hui entouré d’images numériques. Les gens ont peut-être de nouveau envie d’images incarnées, le fait de maîtriser l’ensemble de la chaîne de production est revalorisé », suggère-t-il. Si le mouvement est national avec des métropoles très dynamiques comme Lyon, Paris, Lille ou Nantes, la capitale bretonne n’est pas en reste. Les ateliers se multiplient dans la ville depuis cinq ans.

Pour l’amour de l’encre et du papier

     La Presse-Purée a ouvert la marche en 2007. Fraîchement diplômés des Beaux-Arts de Rennes, Julie Giraud et Antoine Ronco souhaitent alors monter leur atelier de sérigraphie pour produire leurs travaux de manière indépendante. Mais le coup de pouce du centre d’art Le Bon Accueil va donner de l’ampleur au projet. « On a échangé un local contre des compétences. On produisait gratuitement les livrets et les impressions des artistes en résidence chez eux. Ça nous a plu et on a continué à imprimer pour d’autres », raconte Julie Giraud. Rejoint par Loïc Creff et Julien Duporté, le collectif collabore avec des peintres, des graphistes ou des plasticiens, en parallèle de leurs travaux personnels. Il se mue aussi, à l’occasion, en éditeur. L’été dernier, ses membres ont ainsi conçu et imprimé manuellement 100 exemplaires d’OEil pour oeil (page ci-contre), un ouvrage collectif réunissant les sérigraphies en 3D d’une douzaine d’artistes. Seule sur le créneau jusqu’en 2010, la Presse Purée a vu émerger les collectifs Barbe à Papier, l’Imprimerie et L’atelier du Bourg. Une saine concurrence, jurent les précurseurs. « Depuis que nous sommes plus nombreux, il y a davantage de demandes car les gens se mettent à mieux connaître la sérigraphie. Pour l’instant, on ne se marche pas sur les pieds, cela crée plutôt une dynamique. On a ainsi lancé le Marché Noir ensemble », expliquent-ils.

Techniques ancestrales… à la sauce rock’n’rol

     Mais pourquoi donc un tel engouement pour ces arts imprimés ? « La gravure peut paraître une technique poussiéreuse et obsolète mais elle fait partie de notre patrimoine. Elle est riche, complexe et elle offre de nombreuses possibilités artistiques », répondent Agathe Halais et Charlotte Piednoir, les deux moitiés de Barbe à Papier. Au milieu de leur petit atelier lumineux trône une belle presse métallique, entourée de piles de papiers, de plaques, de pots d›encre multicolores et d›outils en tout genre. Comme leurs aînés des siècles passés, elles réalisent leurs dessins, gravent et encrent leurs plaques de bois, de lino ou de métal puis impriment à la force des bras leurs affiches, cartes, livrets et objets en papier. Mais dans leur production, exit les natures mortes et les paysages marins chers aux graveurs du 19e siècle. Chez Barbe à Papier, on aime le noir et blanc aux allures de comics, les femmes à moustache et les tatouages décalés. « Il y a un côté traditionnel mais revisité. On a une nouvelle façon de concevoir les images », confirme de son côté Cécile Rescan. Ses estampes aux forêts poétiques et inquiétantes côtoient sur les murs de l’atelier de l’Imprimerie, installé dans une ancienne boulangerie de la rue Saint-Hélier, les oeuvres abstraites de Maud Chatelier ou celles en noir et blanc d’Éric Mahé. Graphiste, celui-ci conçoit et imprime de nombreuses pochettes de vinyles et d’affiches pour la scène rock.

     Si cette micro-édition a pris racine à Rennes, c’est parce que la ville possède un terreau favorable. Les Beaux- Arts, tout d’abord, où nombre de ces jeunes artistes-imprimeurs ont découvert les techniques qu’ils perfectionnent aujourd’hui. Des aînés aussi : tous citent les graveurs Hervé Aussant et Maya Memin, l’ancien professeur des Beaux-Arts René Nogret ainsi que l’éditeur Yves Prié. Ces collectifs profitent aussi du foisonnement culturel et social rennais. Plusieurs assurent des commandes pour des associations et des institutions rennaises (le Jardin moderne, Ay-RoOp, l’Antipode…) et presque tous interviennent dans des établissements scolaires ou des maisons de quartier. Agathe Halais et Charlotte Piednoir vont ainsi réaliser un livre artisanal d’une vingtaine de pages avec les élèves de l’école Guillevic, au Blosne. Gravure, impression, reliure… Les écoliers vont mettre la main à la pâte. « Je ne m’oppose pas au livre numérique mais je pense qu’il y a un intérêt pédagogique, pour les enfants, de comprendre comment se fabrique un ouvrage : le procédé d’inversion, le tirage… », estime Charlotte Piednoir. Les deux jeunes femmes ont même fabriqué un drôle d’engin pour partager leur passion avec le public : un atelier de gravure mobile sur tricycles avec lequel elles écument les festivals et les marchés du grand Ouest.