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Histoire & Patrimoine
#10
Le premier registre de baptêmes de France : Roz-Landrieux (1451)
RÉSUMÉ > Parmi les quelque 33 kilomètres linéaires d’archives conservées aux Archives départementales d’Ille-et-Vilaine figurent les fonds prestigieux des administrations de la province de Bretagne sous l’Ancien Régime : Parlement, États et Intendance. De cette même époque, les Archives d’Ille-et-Vilaine conservent également un ensemble d’apparence plus commune puisqu’il s’agit de simples registres paroissiaux, ces ancêtres de l’état civil. Parmi eux, il est vrai, le plus ancien de France…

     L’ordonnance de Villers-Cotterêts qui, en 1539, prescrivit la tenue de registres de baptêmes ne fit que reprendre une pratique ecclésiale déjà ancienne, notamment en Bretagne : la première ordonnance épiscopale repérée en France, celle de l’évêque de Quimper Geoffroy Le Marhec, remonte à 1364 ; elle fut imitée par ses confrères de Nantes dès 1406, Saint-Brieuc en 1421, Dol en 1445, Saint-Malo sans doute avant 1454 et Rennes en 1464. Les motivations royales n’étaient pas pour autant celles de l’Église : les évêques avaient le souci de repérer les parentés spirituelles, afin d’éviter les mariages non canoniques ; l’enregistrement voulu par le roi visait, lui, à s’assurer de l’âge des individus titulaires de bénéfices ecclésiastiques. Les hasards d’une conservation heureuse, de la part des recteurs, maires et archivistes, chargés de veiller sur ces registres au fil des siècles, donnent ainsi à la Bretagne 149 séries de registres antérieures à 1539 (soit 11% du total des paroisses bretonnes) sur les 290 qui ont été repérées dans toute la France. A contrario, le Maine tout proche (actuels départements de la Mayenne et de la Sarthe) ne compte aucune série continue de registres antérieure au 16e siècle. Comme l’a écrit l’historien Alain Croix : « Cette exceptionnelle ancienneté des registres bretons ne sera jamais assez soulignée ». Il s’agit très majoritairement de paroisses de Haute-Bretagne, où les dispositions épiscopales avaient été bien appliquées par les recteurs des paroisses. Peut-être rétive à l’écrit dans une langue étrangère (latin, puis français), la Basse-Bretagne ne compte que pour une poignée : les registres les plus anciens des diocèses de Saint-Pol, Quimper, Saint-Brieuc et Vannes (encore s’agit-il de Redon, 1507) remontent au début du 16e siècle.  

     Alors que le Finistère en compte 7, l’Ille-et- Vilaine est particulièrement privilégiée avec 54 séries de registres de baptêmes antérieures à 1539, parmi lesquels le plus ancien, celui de Roz-Landrieux, proche de Dol et alors située dans cet évêché, qui commence le 27 novembre 1451, sous le règne de Charles VII, Pierre II étant duc de Bretagne, 30 ans après la mort de Jeanne d’Arc. Encore le registre nous est-il parvenu mutilé et devait- il commencer en 1446, soit la date probable des statuts synodaux qui en prescrivent la tenue. C’est également le diocèse de Dol qui donne aux Archives départementales des Côtes-d’Armor leur plus ancien (1467) registre de baptêmes, celui de Lanloup, enclave de Dol dans l’évêché de Saint-Brieuc. En Ille-et-Vilaine, Roz-Landrieux est suivi par Paramé (1454) et Trans-la-Forêt (1479). À Rennes, il faut attendre 1501 (paroisse Saint- Sauveur). Dans le diocèse de Nantes, l’antériorité est détenue par Savenay (1464), puis Saint-Nicolas de Nantes et Marsac (1467). À l’exception des précoces registres de sépultures du seul diocèse de Rennes (Visseiche, 1487), les registres de mariages et de sépultures sont plus tardifs et commencent au 16e siècle. Ils anticipent toutefois encore sur l’ordonnance royale qui ordonna la tenue des uns et des autres, celle de Blois (1579).
     Le registre de Roz-Landrieux, formé de feuillets de papier et de parchemin, est rédigé surtout en latin, épisodiquement en français : l’autre injonction qui a rendu célèbre l’édit de Villers-Cotterêts, l’obligation de l’emploi du français dans les actes publics, n’a pas encore cours ici. L’enregistrement des actes est conforme aux prescriptions épiscopales. On y trouve le nom et le prénom de l’enfant, ceux des parents, parrain et marraine(s), la date de la cérémonie.

     Le premier baptisé est Jeanne Raoult :
     Johanna Radulphi filia Juliani et Ysabilie Mahe uxoris (dicti Juliani)
     baptizata fuit XXa VIIa die mensis novembris nominavitque eam (princi)
     paliter super fontes Johannes Radulphi cum Beatria Radulphi et Oliva Orry (anno predicto)
.
     Au verso, apparaît le titre Hyc est registrum de anno domini millesimo iiiicco lo secundo post paschas, qui marque le changement d’année et rappelle que, jusqu’en 1565, l’année commençait à Pâques.
     Le douzième acte du registre retient l’attention. En voici la transcription :
     Guillelmus Roupie filius Coulini Roupie et Johanne Cordon
     uxoris dicti Colini baptizatus fuit die tercia mensis jugnii
     nominavitque eum et tenuit principaliter super fontes Guillelmus du
     Han dominus temporalis de la Meterie cum Johenna Bedon et
     Johanna Brisard anno vero predicto. G. A.
(initiales du nom du prêtre, G. A., dont les pages suivantes révèlent le nom : Audren)
     Le nouveau baptisé, Guillaume Roupie, porte, comme c’est souvent le cas, le prénom de son parrain, Guillaume du Han, seigneur (dominus temporalis) de la Mettrie (contraction de « la métairie »), un des fiefs de la paroisse. Cinq enfants de Guillaume du Han et de Marie de Vaunoise, mariés en 1444, sont baptisés entre 1451 et 1464. Le manoir de la Grande Mettrie, dit aussi de la Mettrie au Han, existe toujours.
     Cet acte de baptême réunit ainsi un parfait anonyme, « gibier » d’études de démographie historique, et un petit notable du temps, identifiable en recoupant d’autres sources. Alain Croix a cumulé les deux approches : c’est grâce à l’existence et à la richesse de cette documentation unique en France qu’il a pu rédiger une thèse monumentale, La Bretagne aux 16e et 17e siècles, la vie, la mort, la foi (Paris, Maloine, 1981), mais aussi publier Moi Jean Martin, recteur de Plouvellec…, curés « journalistes » de la Renaissance jusqu’à la fin du 17e siècle (Rennes, Apogée, 1993), où il a rassemblé nombre de notations (événements climatiques, dynastiques, épidémies, guerres, faits divers de toutes sortes…), dispersées dans les registres et qu’il avait relevées en travaillant à sa thèse. Les travaux récents (cf. Bruno Restif, La Révolution des paroisses, Rennes, Pur-SHAB, 2007) montrent par ailleurs que les registres paroissiaux apparaissent en même temps que les comptabilités écrites des fabriques des paroisses. Dans leurs statuts synodaux, les évêques se soucient autant de l’enregistrement des baptêmes que des comptes de fabrique. Le plus ancien livre de comptes rural breton est celui d’Ercé-près-Liffré (1464). Au mitan du 15e siècle, l’écrit se répand ainsi dans les campagnes de Haute-Bretagne.
     Repéré par le prêtre érudit Paul Paris-Jallobert (1838-1905), l’auteur de la publication des Anciens registres paroissiaux de Bretagne, le registre paroissial de Roz-Landrieux a été identifié et étudié en 1920 par Henri Bourde de la Rogerie, archiviste départemental, lors d’une tournée d’inspection d’archives communales, et déposé la même année aux Archives départementales par la commune. Ce dépôt anticipait de quatre ans la loi qui autorisait les communes à agir de la sorte pour leur état civil centenaire, faculté que la loi du 21 décembre 1970 devait transformer en obligation pour les communes de moins de 2 000 habitants, les registres déposés rest ant la propriété des communes. Le registre de Roz-Landrieux est ainsi le précurseur de milliers de registres paroissiaux puis d’état civil que, depuis la fin du 19e siècle, les archivistes ont patiemment collectés, inventoriés, restaurés, microfilmés et à présent numérisés : bouclant la boucle, il fera partie du dernier lot numérisé intégré au site des Archives départementales (www.archives35.fr) en juin prochain. Ce sont des millions d’actes intéressant des millions d’individus qui sont à la disposition de l’internaute curieux. Au-delà de l’intérêt pour les recherches généalogiques, ces actes suscitent l’émotion car, surtout dans les périodes anciennes, ils sont bien souvent les seules traces qu’a laissées un individu dans les écrits encore aujourd’hui conservés.