Une histoire au cœur
des sciences
Ce qui est frappant, pour le bâtiment de la faculté des sciences, place Pasteur, c’est sa centralité. Centralité géographique bien sûr, mais aussi centralité historique et politique, tant pour la ville que pour la faculté des sciences elle-même. Sur le plan géographique, en 1896, c’est, enfin, un bâtiment majestueux, placé sous l’égide du grand scientifique français de l’époque. Il est, pour elle seule, à égale distance de la gare, de l’hôtel de ville, de la préfecture, du rectorat.
Parlant de centralité géographique, il ne faut pas en rester au plan rennais, mais il faut voir plus loin, plus large. À cette époque l’académie de Rennes est bien plus vaste qu’aujourd’hui et pour « faire des sciences » dans le Grand Ouest, de Brest à Angers, de Nantes à Caen, il faut venir à Rennes; et cela vaudra jusqu’au moment où la fac des sciences de Rennes crée, dans les années 1960, des « antennes » à Brest, Nantes et Angers. Mais Rennes demeure la « maison mère », Rennes joue rôle de centre régional universitaire du Grand Ouest. Nul doute que, pour les scientifiques formés en Bretagne de 1900 à 1970, la place Pasteur ne soit restée un symbole fort.
La faculté des sciences de Rennes naît en 1840, dans les locaux de l’hôtel de Ville et ses 173 ans de vie peuvent se scinder en trois périodes, 1840/1896, sa jeunesse, 1896/1967, son développement place Pasteur, 1967 à nos jours, l’accès de ses équipes au niveau international à Beaulieu.
Aujourd’hui, cela peut sembler banal mais, en 1840, Rennes doit « se battre » au plus haut niveau de l’État pour obtenir cette faculté et c’est plus d’un siècle plus tard que Nantes, Brest ou Caen disposeront à leur tour d’une faculté des sciences de plein exercice.
Les soixante premières années de la faculté sont marquées par une certaine dépendance par rapport à Paris. À partir de son installation place Pasteur, tout change. Les effectifs d’étudiants « explosent » passant de 100 en 1895 à 225 en 1914. Dès le début, le bâtiment est trop petit, des extensions s’avèrent nécessaire; ainsi, la chimie construit un laboratoire à côté dans le bas des jardins du palais Saint-Georges, la botanique s’installe rue de Robien, la géologie, rue du Thabor.
Ces extensions ne sont pas seulement nécessaires pour faire face à l’augmentation du nombre des étudiants, mais aussi parce que la manière de faire la science change: on expérimente, des laboratoires de recherche se créent.
Dans les années 1950, l’extension nécessaire prend une autre dimension: c’est le doublement, quai Dujardin. Face au développement continu, cela sera encore insuffisant et la décision sera prise de déménager à Beaulieu dans les années 60; et la troisième vie de la faculté commence alors!
C’est donc place Pasteur, que la faculté des sciences de Rennes vit sa période « centrale ». C’est là aussi qu’elle s’intègre définitivement au coeur de la Ville et au coeur des Rennais. Pour le développement de cette faculté, la ville « y met du sien ». Par exemple, elle finance la moitié de la construction du bâtiment « Pasteur », après avoir construit le Palais universitaire (actuel Musée des beauxarts) pour héberger les facultés.
Elle le fait parce que, très tôt, elle a compris l’importance des sciences. Un seul exemple: à l’époque, l’économie rennaise est largement associée à l’agriculture et de nombreux scientifiques de la faculté, par leurs recherches, par leurs cours dispensés au grand public, vont largement contribuer à moderniser une agriculture bretonne pour devenir ce qu’elle est aujourd’hui. De 1840 à 1940, les cours de chimie agricole de la faculté des sciences de Rennes sont une référence.
Avant 1896, la faculté des sciences « compte » à Rennes bien sûr. En 1896, on change d’échelle, la faculté s’installe vraiment dans ses bâtiments, alors que depuis 56 ans où elle partageait ses locaux dans l’hôtel de ville ou le Palais universitaire. Place Pasteur, elle va demeurer jusqu’aux années 1970, y passant le tiers le plus important de sa vie, se développant et s’y affirmant. Ce développement est mesurable en termes de locaux, d’effectifs étudiants, en termes d’accroissement quantitatif et qualitatif du corps des enseignants et des chercheurs qui y viennent ou qui y passent quelques années avant des carrières prestigieuses. Rennes devient, dans nombre de disciplines scientifiques (mathématiques, géologie, chimie), une université prestigieuse.
À partir de 1965, les scientifiques s’installant à Beaulieu, dans de vastes locaux pour l’époque, vont faciliter la création à Pasteur d’une faculté dentaire publique (auparavant, pour être dentiste, il fallait entrer dans une école privée, payante). Cette faculté dentaire migrera sur le campus de Villejean en 2006. Aujourd’hui ne reste plus à Pasteur que le service de soins dentaires du CHU.
Cette période 1970-2000 voit, dans les milieux universitaires dotés de campus modernes très attractifs, un recul des questions de patrimoine scientifique et technologique. Mais, depuis une vingtaine d’années, on assiste à une évolution: la recherche des racines, du patrimoine et puis aussi le souhait de créer du lien que les éloignements géographiques des campus avaient rompu. À cela s’ajoute que le campus de Beaulieu soit maintenant « saturé » ce qui n’aide pas à l’accueil du public.
Les plus anciennes pièces du patrimoine scientifique de la Faculté des sciences de Rennes datent du 18e siècle. Quelques spécimens ont appartenu au Cabinet des curiosités du président de Robien (1698-1756), d’autres proviennent des confiscations révolutionnaires. Un télescope de James Short datant de 1741 en est issu.
Quelques achats d’instruments scientifiques sont financés par la ville à la création de la Faculté, en 1840. Les collections sont entreposées pendant près d’un siècle dans des conditions médiocres. En 1872, le public peut en voir une petite partie dans un nouveau musée municipal d’histoire naturelle, installé dans le Palais universitaire. Puis les collections d’instruments scientifiques, de botanique, de zoologie, gagnent progressivement le nouveau bâtiment de la place Pasteur à partir de 1894. Les collections municipales (géologie, archéologie, botanique, zoologie) restent au musée municipal ouvert au public.
En 1944, le Palais universitaire est partiellement détruit. Pour protéger les collections, on les disperse dans les lycées rennais ainsi que dans la faculté des sciences, de l’autre côté de la Vilaine. Puis les collections sont déplacées à Beaulieu, toujours aussi invisibles et menacées de dégradations.
Les collections se composent de plantes fossiles et d’herbiers recueillis par F. Dujardin, premier professeur de zoologie et Pontallié; les plus anciens herbiers datent de la fin du 18e siècle.
Un herbier recueilli, de 1930 à 1970, par le professeur Nicollon des Abbayes, est encore utilisé par de nombreux chercheurs (chimie, pharmacie) qui travaillent sur les lichens. Une partie est localisée dans les sous-sols du campus de Beaulieu. Une autre partie à la faculté de pharmacie.
Des modèles de fleurs, en bois, et de plantes, en cire ou en papier mâché ont un fort intérêt pédagogique. L’université en possède environ 300 modèles. De grands musées scientifiques européens nous les envient.
Les pièces de zoologie les plus anciennes datent du Cabinet des curiosités de de Robien (vers 1750). Elles portent sur tous les groupes animaux (squelettes, oiseaux, mammifères…) et de nombreux naturalistes ont contribué à les enrichir (Charles et René Oberthur, Nicollon des Abbayes,...). Ces collections actuellement conservées sur le campus de Beaulieu font l’admiration des visiteurs qui ont la chance d’y avoir accès. Un véritable « muséum d’histoire naturelle », le seul en Bretagne avec Nantes, existe donc mais il est difficile d’accès pour le « grand public » et la restauration de nombreuses pièces est cruciale.
Félix Dujardin, était un dessinateur hors pair. Des centaines de ses dessins, dont beaucoup inédits, font partie du patrimoine du laboratoire de zoologie.
De belles séries de planches murales pour l’enseignement de zoologie et de botanique furent exécutées à la fin du 19e siècle. Elles étaient faites sur des pièces de papier, de carton ou de tissus. Ces planches, suspendues aux murs des salles de cours, servaient d’illustrations aux enseignements.
Qu’elles proviennent de Rennes, de Paris, d’Autriche ou d’Allemagne (plus de 700), ces planches et dessins mériteraient une restauration et une numérisation.
Il serait fastidieux de faire la liste des centaines d’instruments acquis depuis 1841 et tout au long du 19e siècle, mais signalons :
- des appareils d’acoustique dont un grand diapason extrêmement rare (dû au grand constructeur Rudolph Koenig) ;
- une centaine d’instruments d’optique des « grands noms » de la physique: Arago, Biot, Rochon (physicien Brestois), Fresnel ;
- des appareils d’électrostatique, électricité, électromagnétisme de la seconde moitié du 19e siècle commercialisés par des constructeurs reconnus ;
- des instruments exceptionnels tels les appareils de Jacques, Pierre et Marie Curie pour mesurer la radioactivité ou une copie du gyroscope de Léon Foucault (1875).
Pour terminer, signalons que l’ensemble des collections a été évalué par de nombreux experts internationaux et a fait l’objet de publications dans des revues spécialisées.
Même si avant 1896, quelques noms de scientifiques rennais (Faustino Malagutti (1802-1878), Félix Dujardin (1801-1860), Joseph Durocher (1817-1860)…) sont des références, le tournant est pris avec l’installation, en 1896, de la faculté des sciences place Pasteur avec des enseignants et chercheurs de qualité et des jeunes talentueux qui y commencent une carrière exceptionnelle. La faculté des sciences fait partie du petit nombre de celles (comme Nancy, Strasbourg, Lyon, Grenoble…) où il est bon d’être nommé.
Henri Lebesgue (1875-1941) est certainement le mathématicien français le plus connu des étudiants de niveau bac + 3 du monde entier ; cela pour sa théorie de l’intégration, qu’il a rédigée durant son séjour à Rennes de 1902 à 1906 et qui est aujourd’hui une base essentielle de grandes parties des mathématiques et de la physique.
Louis Antoine (1888-1971) marque les esprits, pensez un mathématicien aveugle! Passant plus de trente-cinq ans place Pasteur, il aura pour collègues de jeunes esprits brillants en mathématiques qui deviendront des « grands noms ».
Ouverture aux nouveautés mathématiques, ouverture d’esprit aussi, en 1938 pour la première fois en France une femme est nommée professeure d’université, c’est Marie-Louise Dubreuil-Jacotin (1905-1972) et c’est à Rennes, place Pasteur.
Au début des années 1960, Jean-Paul Benzécri (né en 1932) révolutionne l’analyse statistique des données et ses applications dans les sciences humaines, l’économie, etc.. Grâce à lui, Rennes est une des premières universités à disposer d’un ordinateur, ce qui rendra possible la création, en 1975, de l’Institut d’informatique (Irisa) par Michel Métivier (1931-1988) : sans eux, la vocation informatique de Rennes ne serait pas !
C’est pendant les années où il travaille à Rennes que le grand spécialiste de l’électromagnétisme, Pierre Weiss (1865-1940), construit un électro-aimant qui sera mondialement diffusé. Il rejoindra Zurich, où il devient collègue et ami d’Albert Einstein, puis Strasbourg.
Rennes est aussi en pointe dans le domaine de la RMN (Résonance magnétique nucléaire). René Freymann (1909-1995) est un des premiers à l’étudier après 1945 et à développer une formation en spectrométrie. Grâce à ces travaux, le CHU pourra accueillir en pionnier des équipements lourds d’imagerie médicale à la fin des années 1970.
Les chimistes rennais, sous l’impulsion d’Albert Bouzat, créent, dès 1919, un institut de chimie qui deviendra plus tard l’école nationale supérieure de chimie de Rennes et s’insère dans la vie économique locale.
En 1956, c’est Paul Hagenmuller (né en 1921) qui donne à Rennes une réputation internationale dans la chimie des matériaux. Ceux qu’il forme vont devenir les grands acteurs de la chimie dans les universités de l’Ouest de la France. Un de ses élèves, Jacques Lucas (né en 1937) est le seul Rennais à être membre de l’Académie des sciences. Il a démarré sa recherche place Pasteur avant de fonder le célèbre laboratoire « verres et céramiques » à Beaulieu.
Sans doute oubliées des Rennais, des vignes expérimentales ont été plantées dans les jardins de l’ancien grand séminaire, place Hoche, par le botaniste de la faculté, Lucien Daniel (1856-1940), celui qui grâce à ses études des phénomènes de la greffe a permis de sauver le vignoble français au début du 20e siècle.
En 1938, sous l’impulsion d’Yves Milon (1897-1987), géologue, c’est au tour de la géologie d’avoir des nouveaux locaux, l’Institut de géologie, rue du Thabor. Rennes doit beaucoup à Yves Milon qui, sortant de la Résistance, fut son maire de la Libération à 1953. Il s’inscrit dans cette lignée de scientifiques qui, depuis François Massieu créant le réseau d’égout, captant l’eau potable, Henri Le Moal (1912-2001), dotant Rennes de campus modernes, ou encore René Dabard (né en 1931), premier président fondateur de Rennes Atalante, ont contribué au développement de Rennes.