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Dossier
#14
RÉSUMÉ > Le cycle ouvert en 1977 est en train de s’achever, estime Franck Louvrier. Des personnalités de droite peuvent profiter de successions incertaines pour ravir les villes tenues par la gauche. À condition d’être bien implantées et de savoir rassembler au delà de leur camp.

PLACE PUBLIQUE> Comment expliquez-vous l’ampleur du basculement municipal de 1977 dans l’Ouest?

FRANCK LOUVRIER > Vous savez, je suis né le 30 mai 1968. J’avais donc un regard un peu juvénile sur ces élections… Mais avec le recul j’y vois clairement une volonté d’alternance. Les Français jugeaient, à juste titre, que les formations politiques en place étaient depuis trop longtemps au pouvoir. Au plan local, les municipales de 1977 ont été le signe précurseur de la présidentielle de 1981. Il faut également noter que, si les Pays de la Loire ont longtemps été considérés comme une terre dite  de droite, les mouvements de population et la perte d’influence religieuse notamment, ont peu à peu atténué cette tendance. 

PLACE PUBLIQUE > Il n’y aurait donc aucune explication locale à cette déroute de la droite en 1977?

FRANCK LOUVRIER >
Ah, je n’ai pas dit cela! Les majorités en place étaient souvent usées. Elles se reposaient sur leurs lauriers, n’étaient plus en phase avec la population. Sur des dossiers aussi importants que les transports, c’est la gauche qui avait raison de vouloir le tramway à Nantes, le métro à Rennes. Et puis il y a un autre facteur auquel on ne songe pas assez : la gauche s’était préparée, elle avait détecté des personnalités de valeur décidées à se consacrer entièrement à leur mandat. Ça, ce n’est pas, ce n’était pas, la culture de la droite. Or on ne peut pas être à la fois chef d’entreprise ou professeur de médecine et maire d’une grande ville… Aujourd’hui, nous sommes beaucoup plus attentifs à cela. Avec Nicolas Sarkozy, nous nous sommes professionnalisés, car, oui, la politique est un métier… Comme c’est un jeune président, il s’est entouré de gens jeunes, et c’est ainsi qu’il existe dans nos rangs une dizaine de quadragénaires ayant une étoffe de Premier ministre.

PLACE PUBLIQUE > À part Nantes et Brest, perdues par la gauche en 1983, mais regagnées en 1989, la plupart des villes conquises en 1977 sont toujours à gauche. Les communes périphériques ont à leur tour basculé, les Conseils généraux du Finistère, d’Ille-et-Vilaine, de Loire-Atlantique sont désormais tenus par les socialistes. Comment expliquer l’ampleur et la durée du phénomène?

FRANCK LOUVRIER >
Je le répète: la gauche s’est installée parce qu’elle avait des élus de valeur et qui étaient souvent jeunes. Et comme les citoyens comprennent bien qu’on ne peut pas changer de maire à chaque mandat, alors les sortants durent. Cela dit, quatre mandats à Nantes pour Jean-Marc Ayrault, cela commence à être un peu longuet. Je suis sûr que les électeurs partagent ce sentiment.

PLACE PUBLIQUE > Il se trouve aussi que la droite n’a jamais envoyé de candidats de premier plan pour conquérir les villes de gauche. Olivier Guichard ne s’est pas risqué à Nantes, Pierre Méhaignerie est prudemment resté à Vitré…

FRANCK LOUVRIER >
C’est vrai, je le regrette. Les tentatives de parachutage ne sont pas allées bien loin non plus à Nantes où on avait sollicité Juppé, Madelin, Fillon... Quant aux leaders de l’opposition, ils se sont usés car c’est très dur, très ingrat d’être dans l’opposition municipale et de ramer à contre courant.

PLACE PUBLIQUE > Justement, il y a quatre ans nous avions interrogé Jean-Luc Harousseau, l’un des leaders de la droite nantaise, qui se demandait si la droite n’était pas condamnée à perdre les élections locales...

FRANCK LOUVRIER >
Oui, cet entretien avait fait quelque bruit dans nos rangs… Mais Jean-Luc Harousseau avait tort de se montrer défaitiste. Aujourd’hui, nous arrivons à la fin d’un cycle. La carrière locale de Jean-Marc Ayrault est plutôt derrière lui...

PLACE PUBLIQUE > Bien sûr, mais Rennes offre l’exemple d’une transition réussie où Edmond Hervé a tranquillement passé le flambeau à Daniel Delaveau.

FRANCK LOUVRIER >
Nantes n’est pas Rennes… Vous verrez, les socialistes et les écologistes vont se diviser; on s’oriente vers une recomposition politique. Et puis ce n’est pas le PS qui est à la tête de Nantes, c’est un homme, Jean- Marc Ayrault. Les Nantais ne l’ont pas réélu parce qu’il était socialiste, mais parce que, c’est vrai, il a, comme on dit, réveillé la belle endormie, parce qu’il avait une réelle ambition pour sa ville. Jean-Marc Ayrault a une image beaucoup plus politique à Paris qu’à Nantes… Je dirais même que c’est une chance pour lui de n’avoir jamais été ministre. La personnalité compte beaucoup plus que l’étiquette, surtout dans une région très modérée comme la nôtre où l’on n’aime pas les extrêmes. Une élection municipale, c’est le choix d’un individu, pas d’une tendance politique. Il faut donc que dans nos rangs se dégage une personnalité qui s’imposera au fil du temps, qui incarnera l’envie de changement des Nantais et que les électeurs choisiront quand ils auront envie de zapper, auront envie d’une autre équipe.

PLACE PUBLIQUE > Vous voyez-vous dans ce rôle?

FRANCK LOUVRIER >
La politique, c’est la rencontre d’un homme et d’une situation. L’homme, je crois que je le connais un peu… Mais quelle sera la situation? On verra le moment venu. On ne peut pas parler d’une telle ambition tant qu’on n’a pas pris de décision. Vous savez, quand j’étais l’assistant parlementaire d’Élisabeth Hubert, je ne me doutais pas qu’un jour je travaillerais avec le président de la République… Cela dit, il faut se préparer: la guerre est plus facile quand la préparation est difficile.

PLACE PUBLIQUE > Depuis le début de cet entretien, vous insistez beaucoup sur le rôle des individus et peu sur celui des idées. Il n’y aurait donc pas de politique municipale de gauche et de politique municipale de droite?

FRANCK LOUVRIER >
En effet, je ne crois pas du tout qu’il existe une politique urbanistique, culturelle et encore moins économique de droite ou de gauche. Le clivage se fait plutôt entre les conservateurs et les réformistes. Croyezvous que Jean-Marc Ayrault gère Nantes de manière très différente d’Alain Juppé à Bordeaux ou de Jean-Louis Borloo à Valenciennes? Un écoquartier n’est ni de gauche ni de droite. La culture, c’est un bien commun, pas un bien partisan et il faut arrêter de dire que cela coûte trop cher !

PLACE PUBLIQUE > Comme le font souvent vos amis politiques…

FRANCK LOUVRIER >
De temps en temps… Nous ferions mieux de formuler des propositions positives et d’arrêter de tenir Jean Blaise, par exemple, pour un militant partisan. Nous ne pouvons nous en tenir aux idées de nos aînés.

PLACE PUBLIQUE > Mais alors, à quoi bon les étiquettes politiques ?

FRANCK LOUVRIER >
Elles sont indispensables parce que, pour être désigné, il faut appartenir à une famille politique. Je ne crois pas du tout à ceux qui opposent la soidisant société civile à la société politique. Nous vivons tous dans le même monde. Simplement, le maire d’une ville doit être nantais, rennais, angevin, brestois avant d’être socialiste ou UMP. Le mandat de maire, c’est quand même le seul où vous avez un lien direct avec la population, où vous êtes jugé sur vos réalisations. Il faut donc assumer sa position politique, mais savoir aller au-delà, savoir la transcender. À cette condition, il n’y a aucune fatalité à ce que les villes de l’Ouest restent à gauche pour l’éternité.