L’article de Guy Baudelle paru dans le dernier Place publique a le mérite de remettre en débat ce qui peut apparaître comme une constante de la doxa de la politique de l’aménagement du territoire du pays de Rennes : la ville-archipel.
Alors que la révision du schéma de cohérence territoriale (ScoT) du pays de Rennes a débouché sur un projet arrêté en janvier 2014 qui devrait être adopté au cours du premier trimestre 2015, ce questionnement a toute sa place dans l’enquête publique qui vient de s’achever. Il est plus qu’opportun au sens où il interpelle les urbanistes comme les élus sur le bien-fondé du maintien du concept de ville-archipel. Celui-ci a structuré le développement local durant les dernières décennies et il en a même été l’un des signes distinctifs à l’échelle nationale.
Mais avant de reprendre les différents points de l’argumentaire développé par Guy Baudelle, rappelons rapidement les enjeux de ce futur SCoT. Le territoire du pays de Rennes doit en effet répondre de manière efficace à plusieurs obligations, dont la première est de satisfaire aux besoins liés à la croissance démographique très élevée du territoire (+ de 8 600 habitants par an dans l’aire urbaine1).
Cet accueil généré par le développement économique du territoire doit se faire en répondant aux besoins des ménages, qu’ils soient nouveaux arrivants ou liés à la jeunesse de la population et à l’importance de son solde naturel. Il doit de même intégrer les objectifs de limitation de la consommation foncière et de l’étalement périurbain, ce que rappelle avec force la loi portant Engagement national pour l’environnement (ENE, dite loi Grenelle). Il doit aussi contribuer à une meilleure mixité sociale, en assurant un certain niveau de production de logements locatifs sociaux : c’est l’une des obligations fixées par la loi pour l’Accès au logement et un urbanisme rénové (loi ALUR) de 2014. Les options d’aménagement du territoire mises en avant par le pays se doivent enfin d’anticiper la transition énergétique à venir en luttant contre la production de gaz à effet de serre, en favorisant des systèmes de mobilité comme des types d’habitat économes en consommation d’énergies fossiles et enfin en favorisant la production d’énergie renouvelable.
Sur cette base, le concept de « ceinture verte » est-il toujours le plus opérant pour répondre à ces enjeux ?
Il me semble déjà nécessaire à ce stade de préciser que l’objectif visé par le SCoT du pays de Rennes est très différent de celui de la ceinture verte. Les références historiques attachées à ce concept et en particulier celles faisant état du souci des populations aisées de se protéger des « miasmes » d’industries polluantes du 19e siècle comme de la population urbaine ouvrière ou « pauvre » ne peuvent pas s’appliquer à celui de « ville archipel » rennais.
De fait, ce concept vise d’abord à préserver l’ensemble des espaces agro-naturels du territoire pour y maintenir une agriculture parmi les plus performantes de France et qui bénéficie d’une terre d’une richesse agronomique très élevée. C’est tout l’objet des « champs urbains2 ». Ils visent à offrir aux agriculteurs des garanties quant à la pérennité de leur exploitation et de leur investissement3. De même pour les périmètres des milieux naturels d’intérêt écologique (MNIE) visant à conserver des espaces remarquables pour la biodiversité. Beau discours direz-vous, ce ne sont que des objectifs vertueux pour dissimuler la mise en place et la pérennisation d’un véritable cordon sanitaire entourant la ville centre et ses populations modestes !
Mais ce sont toutes les communes du pays de Rennes (au nombre de 76), et quelle que soit leur taille, et quel que soit leur profil sociodémographique, qui sont environnées d’espaces protégés ou réservés à l’agriculture. Elles ont aussi l’obligation dans leur développement de limiter leurs extensions urbaines. La ville archipel ne s’applique donc pas seulement aux frontières de la ville de Rennes et comme le définit le SCoT au seul « coeur de métropole » (Rennes plus les villes de Chantepie, Saint- Grégoire, Cesson-Sévigné et Saint Jacques de la Lande).
Est-ce que la ville archipel rennaise a pour conséquences de limiter la mixité sociale ?
Même si la loi ALUR a durci les objectifs de mixité sociale tout récemment, il faut noter que le territoire local avait largement pris les devants, d’abord au sein de Rennes Métropole mais aussi au sein des EPCI voisins membres du pays de Rennes. En effet, le Plan local de l’habitat (PLH) de Rennes Métropole de 2008 a fortement accentué les obligations de production de logements aidés sur toutes les communes de la métropole. En fixant à 50 % la part de ces logements dont 25 % minimum pour le locatif social dans les ZAC et en conditionnant l’octroi des aides financières de la métropole au respect de cet objectif, ce PLH a contribué à diffuser ce parc dans toutes les communes. En fait de cordon sanitaire, le processus à l’oeuvre est plutôt celui d’une mixité sociale de plus en plus généralisée à toutes les communes. Ce principe de mixité sociale s’étend à tous les EPCI dans le SCoT révisé avec des objectifs certes plus modestes (25 % de logements aidés dans les nouvelles opérations4) mais qui n’empêche pas chaque PLH de les accroître.
Est-ce que la ville archipel rennaise entraîne un étalement urbain et un rejet des ménages modestes accédants à la propriété en périphérie du pays de Rennes ?
Confirmons tout d’abord que la croissance géographique de l’aire urbaine (AU) rennaise a été effective sur la période 2006-2011. Elle intègre aujourd’hui 190 communes contre 141 en 2006. Cependant ce phénomène n’est pas l’apanage de l’aire urbaine rennaise et donc du modèle de développement du pays de Rennes. L’INSEE nous rappelle en effet que toutes les aires urbaines attractives et en croissance démographique ont été l’objet d’une telle extension5. Cela a même été le cas de celles en décroissance.
Ce n’est donc pas une conséquence de l’application du concept de Ville Archipel : ce principe d’aménagement n’ayant pas fait école. Force est de constater qu’avec ou sans ce modèle de développement, la périurbanisation a continué à s’accroître en France et que les solutions pour endiguer ce phénomène sont difficiles à définir et à mettre en oeuvre. L’article de Guy Baudelle est intéressant en ce sens qu’il alerte sur le fait que la solution ne peut se réduire à la seule application d’un modèle de développement du type « ville archipel ». Et c’est effectivement ce qui a été constaté dans l’aire urbaine rennaise où la montée en puissance de la politique de l’habitat après 2008 a permis d’inverser cette tendance avec une croissance plus forte dans la métropole et en baisse dans les couronnes. D’où la volonté de poursuivre cette politique dans le projet de SCoT actuel.
D’abord, le SCoT révisé prône des objectifs de construction importants pour que le pays de Rennes puisse accueillir au moins 70 % de la croissance démographique dont il est le générateur (un taux correspondant à son poids dans l’aire urbaine). Cet objectif trouve sa traduction dans les PLH des EPCI en cours d’élaboration ou de révision. Il s’agit de construire plus de 5 000 logements par an pour éviter que la demande n’excède l’offre et que les ménages demandeurs ne soient obligés d’aller chercher hors du pays un logement correspondant à leurs attentes.
Deuxièmement, le projet de SCoT arrêté a défini une armature urbaine hiérarchisée pour que cet accueil de nouvelles populations se fasse de manière organisée sur le territoire. Plutôt qu’un développement homothétique, le territoire a fait le choix d’une polarisation dans le coeur de métropole et dans certaines communes dites « pôles structurants de bassin de vie6 ». Ce choix d’un développement polarisé vise à constituer, autour du coeur de métropole, de véritables villes moyennes aptes à répondre aux besoins en services de la population des communes constituant leur bassin de vie et à bénéficier d’un système de transports en commun performant et viable vers le coeur de métropole. Dans ces villes, des formes urbaines denses et moins consommatrices de foncier trouveront plus facilement leur place. Comme il sera logique d’y implanter davantage de logements locatifs sociaux au regard des services d’accompagnement des populations fragiles qu’elles peuvent offrir. Ce réseau de villes moyennes jouera donc un rôle renforcé dans l’accueil de population et contribuera à limiter la périurbanisation lointaine7.
Reste toutefois la question récurrente des coûts de l’accession à la propriété. C’est aussi en partie pour des raisons économiques que certains ménages choisissent délibérément de se localiser dans des communes de grande couronne. Le différentiel de coûts d’achat explique en partie les taux de croissance passés de certains EPCI hors du pays. Car la prise en compte des coûts liés à la mobilité par les ménages candidats à l’accession n’est pas encore un facteur dans leur choix d’implantation résidentielle.
Cette question du coût est toujours posée en ce qui concerne la capacité du territoire à accueillir et loger les ménages à revenus intermédiaires susceptibles d’accéder à la propriété mais qui n’ont, ni le capital de départ, ni les ressources pour accéder aux biens immobiliers métropolitains. C’est pourquoi les politiques foncières actives menées par les EPCI sont essentielles. Outre l’appui à la production de logements aidés, elles devront s’attacher à faciliter aussi la production de logements à coût maîtrisé, un des points faibles de l’offre développée dans le pays de Rennes8.
Est-ce que la ville archipel n’est finalement qu’un concept plus virtuel que réel, un espace traversé de toute part par des infrastructures routières ou ferroviaires ?
La ville archipel n’a pas pour vocation d’isoler les villes entre elles, d’en faire des îles enserrées par un « océan de verdure » empêchant les circulations et les échanges.
Dans sa mise en application idéalisée, ce concept devrait permettre de constituer un réseau de villes moyennes et d’une ville-centre connectées entre elles à la fois dans un schéma radial et circulaire permettant l’accès à l’hypercentralité, comme des déplacements reliant les pôles périphériques entre eux. Ce schéma fonctionne sur une répartition équilibrée de différentes centralités dans l’espace métropolitain. Il n’exclut pas les pénétrantes et les axes ferroviaires desservant une métropole régionale dont le rayonnement économique est très important : 2 personnes physiques sur trois qui utilisent son réseau de transports en commun (le STAR) n’habitent pas dans la métropole9.
Tout le travail sur la trame verte et bleue (TVB) consiste dans ce schéma maillé et dense à préserver et/ ou reconstituer les corridors de biodiversité pour que les espèces faunistiques et floristiques puissent continuer elles aussi à circuler, à vivre et à se reproduire. Il consiste aussi à préserver les espaces agricoles comme le maintien de conditions d’exploitations satisfaisantes des entreprises concernées. Cela demande donc pour tout projet d’extension urbaine, une prise en compte, en amont, du fonctionnement de la TVB. C’est pourquoi le SCoT actuel comme le révisé ont défini des « flèches d’urbanisation » en compatibilité avec cette trame. C’est aussi pourquoi a été négocié entre les acteurs un programme local de l’agriculture pour combiner intelligemment développement urbain et activité agricole dans le territoire.
In fine, cette trame verte et bleue s’appuie effectivement sur les grands corridors naturels liés aux fleuves comme la Vilaine, aux canaux et aux forêts qui constituent son armature mais elle ne s’en contente pas.
Est-ce qu’une urbanisation au-delà de la rocade pourrait être plus vertueuse ? Le présupposé de cette affirmation repose sur l’hypothèse qu’un tel développement réduirait de manière sensible l’étalement urbain hors du pays de Rennes. Il permettrait la production d’un foncier accessible autant en quantité qu’en termes de coût à proximité immédiate de la ville-centre de Rennes, d’où une production de logements à la hauteur des besoins.
À moins d’un travail de simulation encore à faire, il n’est pas possible de voir si ce schéma est réaliste. à un extrême, un tel développement pourrait amener l’agglomération rennaise à évoluer vers un schéma à la toulousaine : un développement en tache d’huile avec un environnement de « marées pavillonnaires ». Ce type de développement a un bilan écologique et énergétique peu flatteur. C’est un risque à ne pas perdre de vue. À un autre extrême, elle pourrait se traduire par un développement en doigts de gants le long des corridors de déplacements sur lesquels, bien sûr une desserte de transports en commun efficiente pourrait être instaurée. Toutefois, dans cette configuration se posera la question de la possibilité de constitution de centralités secondaires sur ces axes, suffisamment fortes pour décharger la ville-centre des usages et pratiques qu’elle n’a pas seule vocation à porter (hormis pour ses habitants) et qui ne correspondent pas à ses fonctions métropolitaines. Tout resterait concentré sur la villecentre ou le coeur de métropole avec pour conséquences saturation et engorgements. Enfin, signalons pour les villes de Rennes et de Cesson-Sévigné que l’espace intra-rocade dispose encore d’un potentiel d’accueil de logement et d’activités très important. Le projet Via Silva en est l’illustration. Il vise à accueillir 40 000 habitants et 25 000 emplois, sous réserve des évolutions qui seront apportées au projet. D’autres opportunités existent ou existeront au travers des emprises ferroviaires ou d’activités liées à la Défense amenées à évoluer.
Le territoire rennais a la chance d’être un territoire en croissance. Même si son développement est impacté par les crises économiques et les mutations de son système de production, il reste un territoire dynamique, attractif et moteur du développement régional. D’ici 2020, il bénéficiera en outre d’équipements métropolitains majeurs comme d’une liaison grande vitesse à Paris, d’une deuxième ligne de métro… qui devraient être des accélérateurs de son développement. Comment donc concilier à la fois une trajectoire qui pourrait lui permettre de devenir une métropole de rang européen10 à moyen long terme et cet objectif de conservation de ses espaces agro naturels, de sa trame verte et bleue qui constituent un des éléments de son image de marque ? C’est la question posée aux élus locaux. Ils y ont répondu notamment par un projet de SCoT. Ce projet a l’ambition de donner au territoire des capacités d’accueil à la hauteur de son attractivité et lui permet de continuer à offrir à ses habitants comme à ses usagers un environnement naturel préservé. Dans la perspective du réchauffement climatique et de ses conséquences, on peut penser que ce capital « nature » du territoire fera de plus en plus partie des aménités attendues par les ménages.