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Dossier
#19
La politique de logement d’Edmond Hervé
RÉSUMÉ > Maîtrise foncière, création de 40 Zac et de 10 000 logements locatifs aidés… Edmond Hervé insiste dans cet entretien sur le volontarisme qui guida la municipalité socialiste pour mettre en œuvre une politique sociale de l’habitat à compter de 1977.

PLACE PUBLIQUE > Quelles étaient vos intentions en matière de logement quand vous arrivez à la mairie de Rennes en 1977 ?

EDMOND HERVÉ
> Dans notre programme municipal, nous avions fixé le logement aidé comme l’une de nos grandes priorités. Le droit au logement est une condition du droit à la ville. Or, si nous laissons faire sans intervenir, la ville devient une machine à exclure pour la bonne raison qu’elle est prise par les lois du marché.

PLACE PUBLIQUE > Quelle est votre première grande décision?

EDMOND HERVÉ >
Le 2 mai 1977, le conseil municipal décide d’élargir sa zone d’intervention foncière. Alors que l’un des derniers actes de la municipalité sortante Fréville avait été de restreindre cette zone. Nous poursuivrons ensuite cette démarche d’extension car, selon nous, il n’y a pas de politique de logement possible sans une maîtrise foncière et immobilière, sans le pouvoir de préempter. Cela ne suffit pas, mais c’est la base. Nous allons ainsi créer en trois décennies une bonne trentaine de Zac sur la ville, ce qui est assez unique.

PLACE PUBLIQUE > Malgré tout, vous ne partiez pas de zéro?

EDMOND HERVÉ >
C’est vrai, il y a toujours eu à Rennes une grande tradition de maîtrise foncière. Depuis la Libération, on constate un point commun aux socialistes et aux chrétiens- démocrates à la mairie, c’est la question de la maîtrise foncière, c’est la question du logement. Toutefois il faut reconnaître qu’au cours de son dernier mandat, la municipalité Fréville avait levé le pied sur le logement social. Si bien que notre politique se présentait comme une relance.

PLACE PUBLIQUE > En remontant dans l’histoire de la ville, n’est-ce pas l’incendie de 1720 qui explique cette culture de l’encadrement public?

EDMOND HERVÉ >
Effectivement les plans de Robelin puis de Gabriel, au 18e siècle, illustrent cela parfaitement, avec sans doute une première en France qui est le système de copropriété installé après l’incendie de 1720 sur la place du Parlement et aux alentours. Après l’incendie, chacun veut retrouver son lopin pour construire en hauteur. Mais les reconstructeurs disent « non »: on va faire un système de copropriété par étages. Quand vous regardez les immeubles de la place du Parlement, vous voyez qu’au fur et à mesure que l’on s’élève, les plafonds s’abaissent. Le rez-de-chaussée est haut, le premier étage un peu moins, et sous le toit encore moins. Vous avez là un exemple de mixité respectueuse de la hiérarchie sociale. Le poids de l’autorité publique est donc déjà lisible sur les plans du 18e siècle.

PLACE PUBLIQUE > D’entrée de jeu, quelles autres mesures prenez-vous ?

EDMOND HERVÉ >
Décision vraiment symbolique, le 30 octobre 1978, nous décidons de construire 200 logements aidés au Colombier alors qu’aucun n’y était prévu. Nous avions hérité de ce nouveau centre de ville conçu par la municipalité précédente et destiné à une population « tertiaire supérieur ». Décider de créer des logements sociaux dans ce genre de programme, c’était une affirmation politique très forte. D’autant plus que ce choix nous obligeait à assumer financièrement un déficit de sept millions de francs. De même que diminuer la surface commerciale, créer des locaux sociaux, dé-densifier le quartier, cela avait une incidence sur le budget.

PLACE PUBLIQUE > D’autres mesures fondatrices ?

EDMOND HERVÉ >
Autre grand moment : en 1978, nous attribuons à l’office d’Hlm une subvention de 800 000 francs afin qu’il réhabilite et entretienne le parc existant. Je crois qu’à l’époque, nous sommes la seule ville à faire cela car auparavant on finançait les Hlm pour la construction mais pas pour l’entretien. Cette subvention augmentera continuellement.

PLACE PUBLIQUE > La réhabilitation concerne le quartier de Cleunay?

EDMOND HERVÉ >
Nous avons lancé à Cleunay une opération complexe et critiquée, « Habitat et vie sociale » (HVS). Il s’agissait de réhabiliter, restructurer, requalifier ce quartier pauvre et enclavé. De l’enrichir et d’y ajouter une Zac de 1 440 logements neufs dont 31 % de locatifs aidés. Je me rappelle que la réhabilitation était ressentie culturellement comme un événement: les peintres, les maçons débarquaient dans les appartements pour des mois. Parallèlement nous créons des activités économiques et nous raccordons le quartier à la rocade, ce à quoi certains étaient très hostiles. C’est donc une approche très globale que nous mettons en oeuvre sur ce quartier de Cleunay.

PLACE PUBLIQUE > On réhabilite également le centre-ville?

EDMOND HERVÉ >
C’est un point important : nous avons créé au total 1 100 logements aidés dans le centre et centre proche: au Bas-des-Lices, au Colombier, à Bourg-l’Evêque, au Champs-Dolent, rue Vasselot, rue de la Parcheminerie, rue de Saint-Malo. Soit en neuf, soit en réhabilitation dans le cadre d’une Opération programmée d’amélioration de l’habitat. En effet, si on avait laissé chaque propriétaire réhabiliter son immeuble, inévitablement cela serait devenu une opération spéculative à cause de la valeur que prend l’immeuble. Avec l’Opah, il y a une convention avec le propriétaire si bien que pendant neuf ans, celui-ci est obligé de louer en respectant une limite de loyer.

PLACE PUBLIQUE > Parmi « vos » trente Zac, lesquelles retenez- vous ?

EDMOND HERVÉ >
Je parlerai de la première, celle que nous lançons en 1979 aux Longchamps: 1 100 logements dont la moitié de locatifs aidés alors que la municipalité précédente n’en avait programmé que 600. Autre exemple la même année, la Zac de l’Arsenal (Cité judiciaire) lancée par nos prédécesseurs mais non réalisée. Nous avons modifié cette Zac vouée uniquement aux activités tertiaires pour y créer 170 logements dont 50 % de sociaux. Enfin, citons la Zac de la Poterie en mai 1981: 1 200 logements dont 40 % d’aidés.

PLACE PUBLIQUE > Quelles sont les grandes règles qui guident votre politique de l’habitat ?

EDMOND HERVÉ >
De manière systématique, nous appliquons les principes de la mixité sociale, de la mixité d’activité et de la mixité géographique. Vous pouvez avoir 25 % de logements aidés dans une ville, mais si ces 25 % sont dans le même endroit, vous avez un ghetto. Donc, il faut étaler, diffuser. Chaque fois que l’on crée du logement, nous mettons une proportion importante de social. Ainsi, de 1977 à 2008, nous avons construit à Rennes 40 000 logements dont un quart de locatif aidé. Preuve que notre politique a changé la physionomie de la ville dans le sens de la mixité : en 1977, quatre quartiers (Blosne, Villejean, Maurepas, Cleunay) concentraient à eux seuls 80 % des logements Hlm. Trente ans plus tard, ce pourcentage est passé au-dessous de 60 % pour ces mêmes quartiers. Ce qui veut dire que les logements sociaux se sont répartis dans tous les quartiers, y compris dans le centre.

PLACE PUBLIQUE > Cette politique sociale a un coût. D’où vient l’argent ?

EDMOND HERVÉ >
Nous avons toujours pratiqué à Rennes le principe de la péréquation financière foncière. Prenons un terrain sur lequel nous voulons construire. Nous réservons une partie de ce terrain pour le logement social et nous le vendons à l’Office Hlm un tiers au-dessous du prix du marché. Le reste du terrain nous le vendons aux promoteurs mais au prix du marché. Cette différence de prix du foncier équilibre les finances de la Zac et permet le logement aidé. Si le prix du terrain du logement aidé était trop élevé, en fin de course vous auriez un loyer beaucoup trop cher.

PLACE PUBLIQUE > Pour équilibrer n’êtes-vous pas aussi dans l’obligation d’abaisser tous les coûtset donc de construire au rabais ?

EDMOND HERVÉ >
C’est un débat que nous avons ouvert en 1981. Aux promoteurs qui nous reprochaient d’avoir un foncier trop cher, j’ai démontré que la part du foncier dans le coût final de la construction avait baissé alors que la Tva avait augmenté ainsi que les frais de la promotion. Nous avons toujours fait attention à l’évolution du coût de la construction. Pour réussir, il faut que chaque élément soit maîtrisé: terrain, construction, assurance, promotion… Cela implique que cette maîtrise du coût soit l’affaire de chacun des acteurs. Aujourd’hui, je crois que ce souci partagé fait partie de notre identité.

PLACE PUBLIQUE > Quelles furent vos relations avec les promoteurs immobiliers durant ces trente ans ?

EDMOND HERVÉ >
Nous avons toujours eu de bonnes relations. Ce sont des relations contractuelles dans un dialogue franc. Notre intérêt était d’avoir des promoteurs qualifiés et leur intérêt à eux était d’avoir de bonnes relations avec nous parce que nous leur assurions des terrains. Prenez Cleunay, on est frappé par le nombre de programmes, une vingtaine, réalisés avec des architectes et des promoteurs différents.

PLACE PUBLIQUE > Jamais de problèmes avec des promoteurs?

EDMOND HERVÉ >
Dans les années 80, il y a eu l’affaire Oberthür : l’imprimerie était transférée et le terrain de la rue de Paris en vente. Les promoteurs rennais nous ont présenté un projet correspondant grosso modo à nos attentes. Ils achètent donc ce terrain pour 14 millions de francs. Mais, dans les quinze jours qui suivent, un promoteur de Caen décide de surenchérir, comme il en a le droit. Nous connaissons cette personne car la ville a un contentieux avec elle et nous savons que ce personnage veut faire des « coups ». Les nouvelles enchères ont lieu chez un notaire, rue Nationale avec les bougies. J’y suis, sans délibération, puisqu’il n’est pas question de révéler le montant de notre enveloppe. On démarre à 14 millions. Puis de 100 000 F en 100 000 F, on arrive à 15 millions, à 16, à 17, à 20… Dans ma tête, je m’étais dit : “tu peux aller jusqu’à 24”. Le promoteur met 23,8. Je mets 23,9 millions. Terminé! Il aurait mis 100 000 F de plus, il l’emportait. Eh bien, ce jour-là, nous avons montré que nous étions prêts à mettre le prix pour que dans cette ville un promoteur ne fasse pas n’importe quoi. Je considère que cette affaire de l’acquisition par la ville du terrain Oberthür, rue de Paris, est un élément fort, démonstratif, de notre volontarisme.

PLACE PUBLIQUE > Au bout de 25 ans de mandat, un acte majeur, le Plan local de l’habitat (Plh) est mis en place. C’est un aboutissement ?

EDMOND HERVÉ >
Une ville centre doit innover mais aussi partager. Au cours de ces années, notre politique foncière d’urbanisme de Rennes est progressivement reconnue, acceptée, pratiquée par les autres communes et intégrée dans la démarche de Rennes Métropole. D’où le Plh, document essentiel, avancée déterminante du même ordre selon moi que Rennes Atalante ou le Val. Document très contraignant adopté en 2005 par toutes les communes sauf deux. Un objectif de 4 500 logements par an, avec 25 % de locatif aidé, 25 % d’accession sociale. Au moins 50 % d’habitat collectif, etc. Obligation de retrouver cette répartition dans chaque commune. C’est très volontaire et très politique. Pour favoriser la réalisation de ce Plh, Rennes Métropole offre une aide technique et des subventions très importantes de 50 millions d’euros par an.

PLACE PUBLIQUE > D’où l’instauration de votre nouvel impôt « ménage » pour financer ce Plh?

EDMOND HERVÉ >
J’ai effectivement proposé en 2003 à mes collègues un nouveau dispositif fiscal car j’étais convaincu qu’un jour on supprimerait la taxe professionnelle. Ce nouvel impôt ménage a fait grincer des dents, y compris parmi mes proches mais pour moi la sécurité de la politique de Rennes Métropole exigeait cet impôt. Et je reste très fier de cette décision. Il rapporte en gros 10 millions d’euros et finance donc 1/5 du PLH.

PLACE PUBLIQUE > De ces trente ans de politique urbaine marquée par le social, quelles leçons tirez-vous ?

EDMOND HERVÉ >
Plusieurs leçons. Une politique de logement ne peut se faire que dans le temps long, ce qui est difficile puisque dans le même temps les mutations de la société sont très rapides. Elle ne peut se faire que dans une ville en expansion. Elle exige que l’on ait une volonté politique. Que l’on accepte de se heurter parfois à l’opinion et aux rumeurs. Ainsi lors des préemptions, on nous accusait de vouloir faire main basse sur la ville. Une politique du logement implique aussi que l’on ait un projet urbain, une vision prospective de la ville dans vingt ou trente ans. Cet exercice prospectif doit être pluridisciplinaire avec une approche de plus en plus globale qui inclut habitat, culture, économie… Il faut encore que cette démarche soit conduite démocratiquement, car ç’en est fini de l’urbanisme secret et centralisé. Il faut aussi assurer les choses techniquement et financièrement. Enfin il faut que l’élu, dans une démarche collective et soutenu par l’administration, entretienne continuellement une tension vers le futur. Sachant que le logement est un levier déterminant pour le développement économique.

PLACE PUBLIQUE > Pour finir, parlons de la Résidence Lucien Rose, un symbole fort qui vous tient particulièrement à coeur.

EDMOND HERVÉ >
Je revendique cette initiative portée de manière collective. C’est en effet un symbole que de construire 81 logements sociaux en plein centre-ville dans un de ses lieux les plus majestueux, entre Thabor et école de la Duchesse Anne. Ce terrain de la Ville qui accueillait les serres municipales, nous aurions pu le vendre, y compris à des promoteurs privés, faire une opération spéculative. Mais nous avons décidé de céder gratuitement cet espace à l’Office municipal Hlm. La réalisation due à l’architecte Philippe Croisier de l’Atelier du Pont est particulièrement réussie et a reçu le prix Architecture Bretagne en 2010. Le nom de cette résidence est aussi l’expression d’une reconnaissance à l’égard de Lucien Rose1, ami très proche, homme engagé, militant d’origine modeste et élu de Rennes. Pour lui, la démocratie, c’était aussi le partage de ce qui est beau.