Rennes est numérique y compris ses jardins ouvriers, qu’on dit désormais familiaux. Mettons. J’ai un nouveau voisin. La trentaine conquérante, il fait face à la friche, parcelle n° 24. Mettons. Il est courageux. Sa parcelle n’a pas été cultivée depuis un an et l’oeuvre du temps a fait son oeuvre. Face aux parcelles, au début de roncier, aux orties signant une terre azotée, aux liserons liant le tout et s’emberlificotant à l’envi, face à l’adversité donc, il est debout. Il fait front. Nous sommes fin juin, il me dit : j’ai regardé sur Internet, pour ce qui est des pommes de terre, c’est râpé.
Rennes est numérique et ses jardins le deviennent. Les plus anciens de mes voisins occupent leurs parcelles de manière ancestrale mais en 2013, quelque chose a changé. Il a tellement plu, le froid a tellement persisté que plus aucun proverbe ne tient. Saint Barnabé ou Saints de glaces, Saint Médard ou Pâques aux tisons, jusque juin, le désastre fut général. Le baromètre des dictons est à la renverse, l’aune proverbiale est caduque. Certains vont jusque négliger les lunaisons. Fort de ce charivari, un ancien me dit : C’est quand même pas le poireau qui commande et moi qui lui obéis. Et d’ajouter, sourdement colérique, je vais quand même pas regarder sur l’ordinateur la météo à dix jours !
À Rennes la numérique, les jardiniers sont branchés. Ma voisine du bas, le long de la ligne, se décourage. Elle ne retrouve plus ses haricots verts. L’herbe les dépasse, tout est enfoui. Elle se place au coin de sa parcelle comme un boxeur sonné. Elle sort la tablette de son sac. L’écran s’éclaire et ses yeux aussi. Elle pianote un SOS. Ma voisine du bas s’appelle Olympe. Turque d’origine. La jardinière réticulaire affole les réseaux: ils arrivent à sept ou neuf en moins de deux. En bras de chemises, en silence et en rang. Les haricots ont retrouvé l’air et l’herbe est en tas. Je suis un peu écoeuré, me sens un peu seul. Pour me consoler, dans ma sacoche, ma tablette de chocolat ! Mince, elle a fondu.
Rennes est un jardin numérique. Une nouvelle culture qui germe de partout. Dans une cabane assez banale, deux pièces quand même, quelques ajouts, un salon-salle à manger sur plancher de palettes, un évier de zinc, abondé par une gouttière. Dans l’appentis accolé les outils, tous ceux qu’il faut et les autres, ceux qui pourraient servir. La brouette, et celle qu’on prête. Tout un fourbis. Le jardinier est encore derrière. Branchée sur une hélice discrètement montée au faite d’un cerisier, son imprimante 3 D est en train de travailler, une carotte plus vraie que vraie sort doucement. La question de ce labo clandestin dont je ne dirai rien des abscisses ni rien des ordonnées, porte, pour l’heure sur sa comestibilité.