À la fin du 19e siècle, l’encadrement de la jeunesse devient un enjeu socio-politique majeur et ce d’autant plus qu’il recouvre alors un enjeu national et patriotique autour du conflit avec l’Allemagne
L’affrontement des « deux jeunesses », catholique et laïque, s’articule pour beaucoup autour du conflit scolaire. Mais il tient aussi à la volonté des responsables des deux bords d’encadrer au plus près les jeunes en dehors du temps scolaire.
Forte d’un encadrement clérical important, tout au long du 19e siècle, l’Église a de l’avance en ce domaine, fruit de préoccupations sociales nullement circonscrites à la jeunesse. Il s’agissait alors de développer les oeuvres catholiques. C’est en 1859 cependant, en s’installant dans le faubourg d’Antrain, que l’oeuvre catholique de Notre- Dame de Toutes-Grâces oriente son action vers la jeunesse, premier pas vers ce qui deviendra en 1902, les « Cadets de Bretagne ». Entre temps, la mobilisation cléricale sur le « territoire des oeuvres » s’est accélérée avec l’impulsion donnée par le pape Léon XIII au catholicisme social.
Les oeuvres en direction de l’enfance et de la jeunesse se multiplient alors que le conflit avec la République laïque et anticléricale s’accentue dès les années 1880. La guerre scolaire qui s’intensifie au début du siècle en redouble l’enjeu, comme structures d’encadrement postscolaires et élément d’un dispositif d’ensemble qui prend la forme d’une contre-société catholique. L’enjeu est d’autant plus fort à Rennes que la ville est siège métropolitain depuis 1859 et que l’archevêché entend donner l’exemple.
À partir de là et s’appuyant sur le maillage paroissial, l’Église cherche à développer les patronages dans la cité. Au sud de la ville, un grand patronage est ainsi créé, en 1897, celui de la Sainte-Famille, rebaptisé en 1900 « La Tour d’Auvergne » («la T.A.»). Ces patronages, qui privilégient de plus en plus l’action concrète au détriment des préoccupations apologétiques des premiers temps, multiplient les sections sportives notamment de gymnastique. Outre qu’elle répond à l’objectif d’une saine éducation du corps, la gymnastique participe à l’affirmation d’une virilité catholique, ostensiblement disciplinée, particulièrement lors des rassemblements qui répondent aux exigences politiques du moment.
Parallèlement, le football fait sa première apparition et son dynamisme immédiat contribue fortement à l’essor du sport catholique dans la ville, stimulé par la création de la Fédération gymnastique et sportive des patronages de France (FGSPF). Cette dynamique sportive n’est pas sans provoquer quelques interrogations au sein du clergé surtout attentif à la vocation d’éducation morale et religieuse des patronages.
Cet investissement catholique suscite des inquiétudes croissantes des milieux républicains et laïques rennais dans le contexte des vigoureux affrontements entre l’Église et la République au lendemain de la Séparation des Églises et de l’État. La presse républicaine comme Les Nouvelles Rennaises ou le Cercle républicain d’enseignement laïque d’Ille-et-Vilaine s’en font ainsi l’écho et poussent à une réponse en ce domaine. L’élection de Jean Janvier à la mairie de Rennes, en mai 1908, va s’avérer ici un facteur favorable déterminant.
C’est en 1910 qu’est alors officiellement fondé, à l’instigation de la Société des anciens élèves des écoles laïques municipales, un patronage laïque auquel est donné le nom de Paul Bert, grande figure républicaine et laïque, décédé en 1886.
Les liens du « Cercle » avec les écoles publiques sont patents tant dans la participation à son comité fondateur d’un certain nombre d’enseignants que par le fait qu’au sein de chaque école un instituteur est désigné pour rejoindre le comité. Dans l’univers du patronage laïque, la figure de l’instituteur répond à celle du curé dans le monde des patronages catholiques.
À peine créé, le « Cercle Paul Bert » (CPB) vient s’installer dans des locaux, rue de Paris, acquis par la municipalité dans le cadre de la loi de Séparation. C’est ici que le conseil municipal décide de construire dès 1911 une salle de gymnastique. À l’instar de ce que l’on observe dans le monde catholique, la gymnastique comme le tir sont des activités privilégiées toujours dans cet esprit nationaliste et revanchard qui caractérise l’époque.
Les antagonismes politiques qui traversent alors la ville trouvent désormais sur le plan associatif un terrain d’expression. La compétition se joue sur la capacité à attirer le maximum d’enfants, en complément de la guerre scolaire que se livrent les milieux laïques et catholiques, et à occuper l’espace public par des manifestations qui ont vocation à témoigner de leur vitalité. Largement perceptible avant la Grande Guerre, cette compétition s’amplifie durant l’entre-deux-guerres.
Face à l’essor des oeuvres postscolaires laïques, dans le cadre de l’Union des fédérations d’oeuvres laïques d’éducation physique (Ufolep), les milieux catholiques renforcent leur quadrillage associatif. On note ainsi la création, au lendemain de la guerre, du patronage Saint-Étienne, rue Papu, à partir duquel va se développer « L’Avenir », et du patronage Saint-Hélier. Ces créations contribuent à l’essor d’activités sportives, comme le basket, mais également culturelles comme le théâtre.
À la structure centralisée du « Cercle Paul Bert » correspond donc l’éclatement paroissial des patronages catholiques. Mais des deux côtés, l’essor est rapide, fruit, entre autres, de soutiens multiples. Si les patronages catholiques bénéficient du soutien d’un réseau clérical conséquent, le « Cercle Paul Bert » peut, quant à lui, s’appuyer sur le réseau des écoles publiques et de la Fédération des oeuvres laïques d’Ille-et-Vilaine. Il peut aussi compter sur le soutien, notamment financier, de la municipalité rennaise.
Le succès, dès 1925, de la fête de la jeunesse des élèves de l’école publique participe aussi à son rayonnement. Entre 1921 et 1936 le nombre de ses sociétaires passe de 1 000 à 2 896. Sa reconnaissance comme association d’utilité publique en 1932 favorise également son développement qui se traduit, ici aussi, par la multiplication et la diversité des activités proposées à ses membres. Le théâtre comme la musique côtoient ainsi des activités sportives de plus en plus nombreuses.
La période qui va des années 1950 au début des années 1970 est sans aucun doute le moment où cette émulation associative est la plus remarquable. Si sa dimension idéologique tend à s’atténuer, au gré des évolutions politiques du pays qui substituent d’autres enjeux au vieux clivage entre catholiques et laïques, elle ne perd par toute son acuité car la compétition scolaire, dans laquelle les patronages, peu ou prou, s’inscrivent encore, reste toujours fortement présente à Rennes comme en Bretagne.
Ce vieil antagonisme trouve à s’exprimer alors, de manière certes euphémisée mais encore bien réelle, dans le cadre des compétitions sportives qui mêlent bien plus qu’auparavant les clubs laïques et catholiques. Dorénavant, la compétition sportive se joue aussi sur le terrain de l’encadrement féminin, terrain sur lequel le CPB avait pris de l’avance. Des considérations morales ont, en effet, longtemps freiné le développement du sport catholique féminin tandis que le CPB s’était affirmé dès l’entre-deuxguerres à la pointe de la pratique sportive féminine. Si la première section féminine était apparue au « Cercle Paul Bert » dès 1920, il a fallu attendre 1952 pour qu’elle apparaisse à « La Tour d’Auvergne ».
L’apogée du dynamisme associatif des deux côtés tient aussi à leur quadrillage renforcé de l’espace urbain. Face au réseau serré des patronages catholiques, le CPB s’engage résolument dans la création de sections de quartiers. La première, celle du sud-ouest avait d’ailleurs été créée en 1934 et son succès avait montré les possibilités d’expansion en ce domaine. Dès les lendemains de la guerre, les sections du « Cercle » se multiplient, renforçant ses capacités d’encadrement. Au début de l’année 1947, tous les cantons rennais ont ainsi leur section.
Si le terrain sportif a été l’objet privilégié de l’émulation entre les deux réseaux associatifs, la logique de l’encadrement de la jeunesse s’est aussi jouée, on l’a dit, dans le domaine des activités culturelles. On voudrait ici terminer sur le terrain du cinéma : il faut bien constater que malgré les efforts entrepris dans le cadre du « Cercle Paul Bert », les milieux laïques n’ont jamais pu rivaliser sur ce terrain avec les patronages catholiques dont l’héritage s’est longtemps affirmé dans la ville.
Déjà engagés dans ce domaine depuis le début du siècle, non sans réticence parfois, les milieux catholiques investissent avec une nouvelle ardeur ce secteur, au lendemain de la guerre, en fondant, en 1949, le Groupement des associations familiales de l’Ouest (GASFO), dont le siège est situé boulevard de Chézy. Les patronages créent alors de nombreuses salles de projection : Le Rallye (Cadets de Bretagne), L’Arvor (Saint-Hélier), le Lorraine, (Jeanne d’Arc)… ont durablement marqué la vie cinématographique de Rennes.
Les antagonismes idéologiques initiaux, dans un contexte de vive animosité, ont donc incontestablement participé à l’émulation associative rennaise et contribué à un quadrillage spatial remarquable. Dépositaires de valeurs bien identifiées, ces associations ont ces dernières décennies constaté, non sans regret ni dépit, la perte de ces valeurs auprès d’un public venu simplement pratiquer une activité sportive et culturelle auprès du club le plus commode d’accès. Les valeurs de consommation ont, ici comme ailleurs, obéré les valeurs de militance et d’engagement.
Certes les souvenirs des temps premiers n’ont pas totalement disparu et les valeurs laïques d’un côté, catholiques de l’autre, restent partiellement présentes au sein des équipes dirigeantes mais force est de constater qu’elles n’irriguent plus comme avant l’existence de ces associations. Du reste, pour les Rennais, y compris pour leurs édiles actuels, ce maillage associatif qui est une des richesses de leur ville, est désormais vu dans sa complémentarité plutôt qu’en terme de rivalité.