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Dossier
#16
Gaëlle Andro, adjointe au maire « Le modèle associatif rennais existe toujours »
RÉSUMÉ > Gaëlle Andro, adjointe au maire déléguée à la vie associative, a hérité, après la dissolution de l’Office social et culturel rennais en 2004, d’une situation de crise. La Ville avait souhaité remettre à plat ses relations avec les associations (financement, aide, conseil…). Mais si les principes ne font pas débat, l’organisation du mouvement inter-associatif piétine. Prenons le temps, dit l’adjointe au maire. Les associations évoluent. Elles n’ont plus les mêmes besoins ni les mêmes raisons d’être.

PLACE PUBLIQUE> Qu’est devenu le « modèle associatif rennais » tant vanté au long des années 80 ? 

GAËLLE ANDRO > Il existe toujours ! Nous recevons constamment des visiteurs qui voient Rennes comme un exemple de la manière dont une municipalité peut aborder la vie associative. C’est souvent une question-clé quand une nouvelle équipe arrive aux responsabilités. Elle va construire son identité sur son dialogue avec les associations qui est aussi son rapport avec la société civile et la démocratie.

PLACE PUBLIQUE > Qu’est ce qui caractérise ce modèle ?

GAËLLE ANDRO >
D’abord le pluralisme. La diversité est une richesse qu’il faut absolument préserver sans se préoccuper de « normaliser », d’institutionnaliser. L’un des aspects les plus marquants de pluralisme, c’est la gestion par vingt-six associations des quarante équipements de proximité de la ville. Ces vingt-six associations ont des histoires très différentes les unes des autres : on trouve des mouvements laïcs, des anciens patronages, des fédérations d’éducation populaire, des associations de quartiers. Et tout cela fonctionne. Ce qui a créé la confiance, c’est près de trente-cinq ans de stabilité, de permanence du pouvoir municipal. Quand on partage un cadre commun, des valeurs communes, on peut avoir des discussions compliquées, voire « musclées ». Au bout, il y a toujours un accord.

PLACE PUBLIQUE > Même avec des comités de défense qui s’opposent à la politique municipale ?

GAËLLE ANDRO >
La deuxième caractéristique du modèle rennais, c’est le respect de l’autonomie. Par rapport au pouvoir municipal et par rapport aux autres associations. L’autonomie, c’est à la fois la garantie de l’existence d’une association et de son projet associatif. Qu’est-ce qui fait que la Ville reconnaît une association ? C’est qu’elle a un projet, que l’on soit d’accord ou pas.

PLACE PUBLIQUE > N’est-ce pas ambigu, tout de même ? Cette reconnaissance peut-elle aller jusqu’à une action de soutien d’une association avec laquelle on n’est pas d’accord ?

GAËLLE ANDRO >
Il n’y a pas ambigüité, il y a dialogue. On a beaucoup discuté de cela avec les associations qui gèrent les équipements de quartier. La Ville revendique de défendre fortement des objectifs en lien avec son projet municipal, en termes de jeunesse, d’enfance. De leur côté, les associations revendiquent très fortement leur autonomie, leur responsabilité et leurs limites aussi au regard de financements qui n’évoluent pas comme elles le souhaiteraient. Tout le travail consiste à croiser les approches. Il faut donc faire très attention au vocabulaire que l’on utilise, respecter les autres, prendre en compte les temporalités de la vie associative. Il faut en réunir des ingrédients… La permanence facilite bien les choses. C’est une question de confiance.

PLACE PUBLIQUE > On fait aux municipalités socialistes successives le reproche d’avoir quadrillé la ville par un réseau d’associations…

GAËLLE ANDRO >
Alors là, c’est ignorer ce que sont les associations ! On n’a pas en face de nous les associations en général… Il y a autant de débats entre les associations qu’entre les associations et la Ville, par exemple sur les questions de gouvernance, sur les relations entre bénévoles et salariés, direction et conseil d’administration. Des associations, il y en a de plus ou moins dynamiques, de plus ou moins ouvertes à certains publics. Mais elles sont toutes jalouses de leur autonomie, de leur indépendance. C’est extrêmement divers.

PLACE PUBLIQUE > Une subvention n’est pas synonyme de perte d’indépendance ?

GAËLLE ANDRO >
Il y a de tout dans les associations. Les associations d’éducation populaire conventionnées qui gèrent les équipements de quartier dépendent de la Ville à hauteur de 40 % à 65 %. Mais ça ne reflète pas la réalité du monde associatif. Si l’on regarde le secteur social ou caritatif, on est autour de 5 %. Il ne faut pas limiter le partenariat à certaines associations ; il faut discuter, y compris avec celles qui ne dépendent pas financièrement de nous et se demander comment on peut agir ensemble sur le territoire rennais. Ce qui nous rend légitime, c’est que nous sommes respectueux des projets associatifs même de ceux des associations que nous finançons.

PLACE PUBLIQUE > Pas de copinage ?

GAËLLE ANDRO >
Beaucoup de dossiers de demandes de subventions sont instruits en dehors de nous, par la Chambre régionale de l’économie sociale, par la Maison internationale ou par l’Office des sports. La ville doit rendre possible le dialogue et lisible les critères. C’est très nécessaire aujourd’hui. Après, il peut y avoir des choses très diverses, et c’est très bien. Ce que je défends dans les quartiers, c’est l’idée qu’il faut être attentif à la survie de notre modèle, à sa capacité à parler à la jeunesse, notamment aux jeunes adultes et aux jeunes actifs, à prendre en compte leurs aspirations. Le dialogue, le partenariat, c’est la troisième composante du « modèle » rennais.

PLACE PUBLIQUE > Pourquoi la réforme de 2005 était-elle nécessaire ?

GAËLLE ANDRO >
La nouvelle organisation des outils de soutien à la vie associative a été rendue nécessaire parce que le tissu associatif change, parce que la société change. De fait, une association naît, vit et meurt. Les durées de vie sont beaucoup plus courtes que par le passé, les projets beaucoup plus éphémères… Le comité de quartier qui fête ses cinquante ans n’est plus la norme. C’est formidable bien sûr.Mais il y a aussi des associations qui vivent seulement deux ou trois ans. Nous devons tenir compte de ces situations-là. Et on n’a pas fini de s’adapter.

PLACE PUBLIQUE > L’OSCR ne correspondait plus à l’évolution des associations ?

GAËLLE ANDRO >
L’OSCR était une association. Il avait fini par ne plus voir que sa place d’association. Mais en plus, il devait aussi représenter l’ensemble des associations rennaises.

PLACE PUBLIQUE > Ses fonctions ont été séparées en deux…

GAËLLE ANDRO >
Oui. Nous avons d’un côté le Centre de ressources de la vie associative1 dont le rôle est d’apporter des outils de soutien et d’accompagnement au milieu associatif et d’un autre le Mouvement associatif rennais (Mar) dont la fonction est de représenter les associations et de faire vivre le dialogue inter-associatif. C’est là que c’est difficile. Le Mar a hérité d’une situation de crise. Il n’apparaît pas toujours comme nécessaire aux yeux de toutes les associations. Chacune a son projet et vit sa vie. Partager avec d’autres des préoccupations, des revendications, est parfois second. Bâtir un réseau rennais d’associations autour d’intérêts communs est pourtant indispensable. C’est défendre des valeurs, la cohésion sociale et l’ouverture, alors même que le tissu associatif peut être tenté par le repli sur soi, l’individualisme, le communautarisme. La dureté de la société d’aujourd’hui, la peur, l’individualisme traversent aussi le monde associatif.

PLACE PUBLIQUE > Avez-vous constaté des avancées ?

GAËLLE ANDRO >
Quand on est convaincu qu’il y a du sens à constituer ce réseau-là, à le faire vivre, il ne faut pas se soumettre à la dictature de la productivité. À Rennes, il y a vraiment une appétence pour le dialogue civique, pour l’intérêt général. Je crois en la capacité du tissu associatif de s’organiser, de trouver les bons modes de faire. Il faut y travailler patiemment, mobiliser les énergies Les associations sont aussi sollicitées de partout. Il y a des réseaux régionaux et nationaux, par exemple la Conférence permanente des coordinations associatives, la Chambre régionale de l’économie sociale. Pour un responsable d’association, c’est très consommateur de temps. Et beaucoup de ces réseaux ne se parlent pas… Nous pensons que le Comité de développement du pays de Rennes, le Codespar, pourrait mener une étude autour des ces dynamiques inter-associatives et faire des préconisations à l’échelle du Pays de Rennes. En tout cas, la ville ne doit pas être dans une posture d’injonction à l’égard des associations.

PLACE PUBLIQUE > La Conférence Ville-associations s’est-elle réunie trois fois par an comme c’était prévu ?

GAËLLE ANDRO >
Elle s’est réunie jusqu’à il y a dix-huit mois après avoir engagé quelques chantiers qui se poursuivent : mutualisation, financement et emploi, observatoire des associations. Nous avons revu les critères des subventions et introduit des évaluations. Il faut poursuivre. La Conférence a fait l’objet d’une auto-évaluation qui nous a conduits collectivement à changer notre fonctionnement. On n’a pas besoin d’avoir des réunions tous les trimestres pour continuer à travailler.

PLACE PUBLIQUE > Quand les collectivités locales se décideront- elles à uniformiser leurs imprimés de demandes de subvention et à standardiser les listes des pièces nécessaires ? C’est une corvée pour les responsables d’associations qui font appel à plusieurs collectivités de remplir ces demandes !

GAËLLE ANDRO >
Et pour obtenir parfois 300 €…Oui, il faut que nous travaillions avec les associations pour rendre cela plus facile, plus accessible. La mise en place par la Ville d’un guichet unique informatisé. Pour le moins cela permettrait à l’avenir de simplifier les démarches.

PLACE PUBLIQUE > La pluri-annualité des subventions ?

GAËLLE ANDRO >
La réforme du fonds d’aide au fonctionnement va vers là. Quand un accord est donné pour une subvention, c’est pour trois ans. Mais pour le moment, comme l’informatisation n’est pas terminée, il faut quand même présenter un dossier tous les ans. Il faut améliorer cela avec un dossier unique qu’il suffira d’actualiser informatiquement. Je rappelle et, c’est tout le sens du conventionnement que pour les associations gestionnaires d’équipements de quartier, la durée est de six ans.

PLACE PUBLIQUE > L’État se désengage du financement de la vie associative ? Qu’en pensez-vous ?

GAËLLE ANDRO >
Très clairement, la disparition des dispositifs d’État de soutien à la vie associative est significatif d’un choix de société… La vie associative peut-elle reposer exclusivement sur des financements locaux. Non ! Il faut des financements nationaux, en particulier pour les fédérations.

PLACE PUBLIQUE > Les associations sont inquiètes pour l’emploi de leurs salariés ? La collectivité se sent-elle une responsabilité ?

GAËLLE ANDRO >
Elle doit en tout cas être solidaire des associations envers les responsables départementaux et nationaux. La vie sociale en dépend. Il faut des dispositifs de soutien au fonctionnement, à l’existence des associations (locaux, salariés…). Il faut aussi que ce soit légalement possible. À ce sujet, les débats autour de la législation européenne relative aux aides apportées par les collectivités publiques n’ont abouti qu’à un cadre fragile et susceptible d’évoluer. Il faut qu’il y ait initiative de la part d’une association pour qu’elle puisse bénéficier d’une aide. S’il y a commande de la part de la collectivité, il faut passer par la procédure des marchés publics. Or dans notre modèle rennais, nous revendiquons qu’il y ait co-initiative ville-association, co-construction de tel ou tel projet. Comme résultat d’un dialogue, d’une négociation. Or le cadre de la circulaire de janvier 2010 tel qu’il est défini ne sécurise pas cette possibilité. Nous partageons l’inquiétude légitime du monde associatif et nous revendiquons avec lui la clarification du cadre légal d’intervention.

PLACE PUBLIQUE > Faut-il réfléchir à d’autres formes de financement ?

GAËLLE ANDRO >
Le mécénat, le sponsoring sont des voies à explorer. Mais ce ne sera pas la solution-miracle. Les associations auront aussi intérêt à revisiter leurs projets associatifs, à se recentrer sur leurs priorités stratégiques, à réfléchir à leur gouvernance. Il existe des associations qui travaillent avec les jeunes mais n’acceptent pas d’ouvrir leurs conseils d’administration à ces jeunes. C’est regrettable… et le mot est prudent. Par ailleurs, il faudrait réfléchir à des modes d’accompagnement qui permettraient de consolider les associations et d’intervenir de manière plus opérante lorsque des difficultés se présentent. Peutêtre faut-il compléter les dispositifs locaux d’accompagnement2, inventer des systèmes de médiation pour prévenir les conflits, insister sur la formation nécessaire à la comptabilité ou à la gestion des ressources humaines.

PLACE PUBLIQUE > L’élan des années 80 n’est-il pas cassé ? N’est-il pas trop difficile aujourd’hui de diriger une association ?

GAËLLE ANDRO >
Non, l’élan est toujours là. Beaucoup d’associations continuent de se créer. Par contre, notre inquiétude porte sur le renouvellement des responsables. C’est une vraie difficulté.