<
>
Contributions
#05
L’annulation du PLU
de Brest. Un non-événement qui vaut avertissement
RÉSUMÉ > Annulé le 22 octobre 2009 par le tribunal administratif de Rennes, le plan local d’urbanisme de la communauté urbaine de Brest a été voté à nouveau le 11 décembre 2009. L’annulation a été sans conséquence pour l’agglomération brestoise. Mais ce non- événement rappelle le soin méticuleux avec lequel doivent être établis les documents d’urbanisme

     Le mois d’octobre a été, pour l’agglomération de Brest, un temps de crise comme l’urbanisme et ses imbroglios juridiques peuvent en produire. Cette affaire, longtemps annoncée, espérée par les uns et redoutée par les autres, tombait au plus mal.
       Deux motifs bien différents alimentaient les spéculations. Tout d’abord, alors que les chantiers pour la future ligne de tramway venaient de débuter dans le centreville, la décision d’annulation du Plan local d’urbanisme ne pouvait manquer de susciter un intérêt, mais aussi une inquiétude au sein de la population brestoise. L’abondance des articles de presse était à ce titre un bon indicateur… Ensuite, après la mésaventure de l’agglomération d’Angers, pour d’autres raisons, mais avec les mêmes conséquences et le même message médiatique, la décision du tribunal risquait de révéler au grand jour l’extrême fragilité des documents d’urbanisme. Alors que les « Grenelles » redonnaient la primauté aux villes dans l’aménagement du territoire, la programmation des projets urbains des agglomérations pouvait être compromise. 
     Née en 1974, alors que la périurbanisation développait ses premiers effets, la communauté urbaine de Brest, dont le nom est devenu Brest métropole océane en 2004, regroupe Brest et les sept communes qui lui sont contiguës: Bohars, Gouesnou, Guipavas, Guilers, Le Relecq- Kerhuon, Plougastel-Daoulas et Plouzané. Dès sa création, elle a exercé de plein droit les compétences en matière d’urbanisme (article L 5215-20 du Code Général des collectivités territoriales). C’est dans ce cadre que le conseil de communauté a prescrit, le 22 mars 2002, une révision du plan d’occupation des sols (Pos) afin de le transformer, suivant les nouvelles dispositions de la loi, en plan local d’urbanisme (PLU). Cette révision a été approuvée quatre ans plus tard par une délibération du même conseil le 7 juillet 2006.
     Quelques mois après, la délibération a fait l’objet de requêtes devant le tribunal administratif de Rennes. Les dépôts de celles-ci se sont échelonnés de septembre 2006 au premier semestre 2007. Le Tribunal a prononcé l’annulation du PLU 22 octobre 2009.
     On connaît la suite… Chacun y allant de ses critiques politico-administratives, fustigeant tout à la fois l’incompétence des élus, l’insécurité juridique des « titulaires d’autorisation d’occuper le sol » et le gel des permis de construire… Ce feuilleton brestois où tout a été dit, et parfois mal dit, ne méritait sans doute pas un tel déferlement d’opinions disparates. Il réclamait davantage quelques réflexions dépassionnées, peu originales sans doute, tant une telle annulation fait partie de la vie ordinaire des PLU, encadrés par un droit complexe et où le risque de se tromper est sans doute inexistant.
Pour résumer cette affaire, trois observations méritent d’être avancées :
— la première est relative aux requérants ;
— la seconde à l’annulation elle-même;
— la troisième à l’avenir de la politique urbaine de BMO.

     Les requérants étaient onze, ce qui est bien peu. On en retrouve trois dans la commune de Guipavas, cinq à Brest, deux à Plougastel-Daoulas et un au Relecq-Kerhuon. Certains malveillants se sont alors étonnés, avec quelque agacement, qu’une poignée, voire une pincée de trublions puisse faire disparaître par voie de justice le PLU et donc la politique urbaine de BMO. Mais la démocratie juridique est ainsi faite. Depuis la fin de l’empire libéral de Napoléon III, tout individu à qui une décision administrative fait grief, c’est-à-dire provoque une gêne, a le droit d’en demander l’annulation devant le juge administratif par une requête qualifiée de « recours pour excès de pouvoir ». Celui-ci examine si la décision litigieuse respecte le droit et, si tel n’est pas le cas, il l’annule, c’est-à-dire qu’il la fait disparaître de l’ordre juridique.
     Ce recours, dit « pour excès de pouvoir » est libre, gratuit et dispensé du ministère d’avocat. De simples écritures par lettre recommandée suffisent pour que le tribunal examine la requête et décèle une illégalité. Grâce à ce recours chacun peut a posteriori exiger que l’administration rende des comptes au tribunal et lui explique en quoi sa décision respecte le droit.
     Dans les principes, il en va de nos libertés publiques surtout lorsque la commune et plus généralement les établissements publics intercommunaux ont obtenu depuis les lois de décentralisation des compétences sans partage pour élaborer et approuver les documents d’urbanisme et délivrer les autorisations d’occuper le sol « sous le contrôle du juge », pour reprendre l’expression consacrée, et… la vigilance de chacun.

 

     Un PLU doit être annulé lorsqu’il ne respecte pas le droit de l’urbanisme et ce dernier est d’une telle complexité qu’il conduit bien souvent à l’erreur juridique. Mais un PLU peut être aussi annulé lorsqu’il ne respecte pas le droit tout court, particulièrement le droit des collectivités territoriales. Il faut donc conjuguer (entre autres) les prescriptions du Code de l’urbanisme et les prescriptions du Code général des collectivités territoriales pour mettre en oeuvre une élaboration ou une révision d’un PLU.
     Dans le cas de la communauté urbaine de Brest, le PLU a été annulé totalement pour ne pas avoir respecté le Code général des collectivités territoriales pour un « vice de forme » qui affecte la convocation des conseillers communautaires. En revanche, au fond, le jugement donne à voir un contentieux de l’anecdote urbaine où il est question d’un sentier qui traverse à tort un potager et d’un terrain en zone naturelle en pleine ville.

     L’annulation est fondée sur la violation de deux articles du code général des Collectivités territoriales applicables aux communes de plus de 3 500 habitants et transposables à BMO. Aux termes de celui-ci : « Dans les communes de 3500 habitants une notice explicative de synthèse sur les affaires données à délibération doit être adressée avec la convocation aux membres du Conseil municipal ». Cette notice doit informer de manière suffisante les Conseillers municipaux qui doivent aussi être renseignés sur les observations du public au cours de l’enquête.
     Cette disposition procède du droit à l’information reconnu aux conseillers pour exercer leur mandat prévu par le même code qui dispose: « Tout membre du conseil municipal a le droit dans le cadre de sa fonction d’être informé des affaires de la commune qui font l’objet d’une délibération » Soucieux de protéger cette liberté, le juge a considéré que l’envoi de la note explicative de synthèse est une formalité substantielle. Son non-respect entache d’irrégularité la délibération.
     Une telle note, nous dit la jurisprudence, doit « comporter de manière suffisamment précise les éléments d’information les plus importants relatifs notamment aux motifs et à la portée de la question sur laquelle les conseillers devront débattre avant de prendre une décision qui engagera la collectivité ». Or, il n’y avait pas de notice explicative jointe à la convocation des conseillers et rien au dossier ne permet de déduire que tous les conseillers sans exception ont été suffisamment informés au moment du vote des choix urbanistiques retenus et de leur portée.
     On peut légitimement s’étonner qu’une institution comme BMO disposant, à l’inverse des communes petites et moyennes, de services et conseils juridiques avisés, ait pu commettre une telle erreur. Les dispositions de l’article visé sont limpides et pratiquées depuis des décennies. Le même étonnement vaut pour le préfet qui, à l’occasion du contrôle de légalité, aurait dû relever cette erreur juridique et demander à BMO de prendre une nouvelle délibération. L’affaire eut été réglée en quelques dizaines de jours. On peut aussi s’interroger sur la rigueur du juge car la question est quand même de savoir si les conseillers présents disposaient d’une information suffisante leur permettant de voter en « toute connaissance de cause ».
     En jugeant que tous les conseillers devaient être informés, le tribunal suggère que certains conseillers présents au moment du vote n’avaient aucune idée des orientations de la politique urbaine menée par BMO depuis quatre ans dans le cadre de la révision. Il préjuge de l’ignorance politique de certains élus communautaires. En réalité, c’est le politique lui-même qui est en cause dans l’exercice de ses fonctions, car après tout, si l’on suit le Tribunal, certains auraient voté sans rien comprendre et n’auraient entendu ni leur groupe, ni les débats au moment du vote. Il y a des décalages surprenants entre le juge et la démocratie qu’il contrôle, d’autant que l’article L 123-18 du Code impose à la Communauté d’exercer sa compétence avec les communes dont l’avis sur le document est systématiquement requis.
     Mais le juge préfère appliquer la lettre de la loi, ce qui est finalement son rôle.

Les salades ne doivent pas être piétinées…

     Sur les onze requêtes déposées et leur batterie d’illégalités, le juge a retenu deux illégalités anecdotiques, partielles au fond, qui concernent la ville de Brest. Pour la première, il est question, semble-t-il, de faire respecter la croissance des salades qui, chacun le sait, ne supportent pas le piétinement. Pour la seconde, il s’agit d’un terrain situé en espace urbain recevant, on ne sait pourquoi la qualification d’espace naturel. Si les objets peuvent sembler anecdotiques, les conséquences, dans un jugement, le sont fatalement moins.
     Le PLU peut désormais prévoir dans le détail la politique de circulation publique. L’article L 123-1 du code qui permet de préciser le tracé et les caractéristiques des voies de circulation à conserver, à modifier ou à créer… y compris les rues ou sentiers piétonniers et les itinéraires cyclables. Le « y compris » inséré dans le texte précise aux élus, ce qui ne va pas de soi, que de tels itinéraires de promenade peuvent figurer sur les documents graphiques, dans le règlement et dans le rapport de présentation. Une sorte de mise en forme d’un droit à la balade. Ils n’y sont pas obligés, mais ils le peuvent. Le 8° du même article leur permet de fixer un emplacement réservé aux voies publiques.
     Dans ce cadre, le PLU de Brest avait classé en emplacement réservé à usage de chemin piétonnier deux parcelles comprises dans un vaste ensemble naturel classé en NPF. Mais le tracé du chemin coupait en deux les parcelles « à usage de potager ». Dans l’incapacité d’expliquer pourquoi ce tracé a été retenu et dès lors qu’il « n’y a aucune justification particulière d’un intérêt général » et que « sans inconvénient supplémentaire et avec la même utilité, ce tracé aurait pu être fixé en bordure desdites parcelles », BMO a commis, nous dit le juge, « une erreur manifeste d’appréciation ». Il s’agit donc de passer en bordure du jardin et pas au milieu… Il appartient donc aux auteurs du PLU, notamment dans le rapport de présentation et par la suite devant le juge, de justifier l’intérêt général qui s’attache aux choix retenus. L’obligation vaut pour tous les choix opérés, de la rocade de contournement au petit chemin de promenade.
     On notera en effet que si BMO avait pu justifier le tracé, celui-ci eut été régulier. C’est donc bien une deuxième défaillance du service public qui fonde l’annulation.

La collectivité doit justifier ses choix

     Sept requérants avaient demandé au Tribunal d’annuler les classements en zone naturelle5 de leurs terrains situés en bordure d’espaces bâtis, et dont certains étaient compris en zone urbaine dans le Pos antérieur. Le juge a rejeté six requêtes sur sept et a retenu une seule erreur d’appréciation.
     Ces zones « naturelles » sont protégées en raison, soit de la qualité des sites, des milieux naturels, des paysages et de leur intérêt, notamment du point de vue esthétique, historique ou écologique, soit de l’existence d’une exploitation forestière, soit de leur caractère d’espace naturel.
     Pour annuler un seul classement sur les sept proposés, le juge estime que la parcelle est comprise dans un ensemble urbain qui ne peut, faute de justifications, être classé en espace naturel à protéger. Là encore, BMO est incapable, pièces à l’appui, de valider son choix. Cette annulation n’est pas anodine, elle est au coeur du débat juridique sur les PLU qui sont producteurs d’inégalités dans l’exercice du droit de propriété. Enrichissement sans cause pour ceux dont les terrains naturels deviennent constructibles, appauvrissement sans cause pour les terrains classés en zone naturelle.
     La privation du droit de construire par un classement en zone naturelle ne donne aucun droit à indemnité et l’on comprend que les propriétaires fassent feu de tout bois pour requalifier le zonage d’un terrain constructible. Ici la démarche du juge semble pragmatique, mais pour autant, elle semble incompréhensible. Pourquoi six requêtes portant sur le même objet ont-elles été rejetées ? Pourquoi a-t-il fait droit à une seule demande?
     À notre sens, la réponse est dans le dossier et derrière le pragmatisme apparent du juge se cache une vraie rhétorique juridique qui tient en deux principes :
     — le classement en zone urbaine d’un espace naturel suppose qu’il soit justifié par des raisons urbanistiques ou d’intérêt général, non seulement par le document d’urbanisme lui-même mais par tout moyen;
     — le classement en zone urbaine d’un espace naturel doit être cohérent. Cette cohérence relève d’une analyse par le juge notamment de l’urbanisation des espaces voisins périphériques ou concentriques ;
     Deux hypothèses sont alors retenues :
     — ou le terrain peut se rattacher à un ensemble naturel dont il est une composante et dans ce cas le classement en zone naturelle (N) est régulier,
     — ou le terrain est entouré de constructions desservies par des voies publiques et dans ce cas il peut devenir une zone urbaine constructible.
     Dans tous les cas, la collectivité locale doit justifier son choix et c’est la moindre des choses.

     Qu’adviendra-t-il de la politique urbaine de BMO dès lors que le PLU a été annulé? Elle restera!
     Dans l’immédiat, l’article L 1218 du Code de l’urbanisme a pour effet de remettre en vigueur le Pos immédiatement antérieur, celui-là même qui a fait l’objet de la révision. Retour case départ, avec une cohorte de conséquences, une chance, notamment pour ceux qui dans ce Pos disposaient de terrains constructibles requalifiés en zone naturelle (N) par le PLU annulé et qui vont sans doute se dépêcher de déposer un permis de construire.
     Faut-il parallèlement prescrire une nouvelle révision du Pos valant PLU remplaçant celui qui a disparu ou suffit-il de prendre une nouvelle délibération en n’omettant pas cette fois-ci de prendre garde à la convocation des conseillers communautaires qui doit impérativement être assortie d’une notice explicative?
     La question semble réglée par le jugement lui-même. Il y est dit que l’exécution du présent jugement implique seulement que la Communauté urbaine statue sur l’approbation du document d’urbanisme par une nouvelle délibération et le tribunal de poursuivre en indiquant qu’« il n’y a pas lieu de prescrire et d’approuver l’élaboration d’un nouveau document d’urbanisme ». Il y est dit aussi que BMO doit, dans un délai de deux mois, procéder à un nouveau classement de la parcelle annulée et modifier le tracé de la promenade.

     Le jugement dispose d’une « autorité définitive de chose jugée » dès lors qu’il n’y a pas eu d’appel… Il n’y aura donc pas de nouveau PLU. Le Conseil communautaire a fait revivre le PLU annulé par une délibération du 11 décembre 2009.
     En guise de conclusions, trois observations méritent d’être avancées. Deux d’entre elles concernent la gestion administrative du PLU, la dernière les effets du contentieux. L’élaboration du PLU est encadrée par le droit : c’est une lapalissade. L’examen de celui-ci et de sa mise en oeuvre doit être minutieux, méthodique et orthodoxe. Il faut se garder des interprétations. Les textes sont codifiés et chaque disposition de ceux-ci mérite d’être appliquée à la lettre. L’oubli peut être fatal. Une lecture quasi monastique du Code de l’urbanisme et du Code général des collectivités territoriales est une impérieuse nécessité.
     Un zonage du PLU qui constitue la représentation par le droit de la destination du sol, ne peut « tomber du ciel » et relever de l’arbitraire. Il est le résultat d’une politique urbaine. Cette politique qui s’étend et se répartit dans les zones réglementées doit pouvoir être expliquée dans le détail devant le juge faute de quoi elle encourt totalement ou partiellement l’annulation. Ici, le droit est un rempart contre l’arbitraire et l’opacité de la décision. Tout doit se comprendre surtout lorsque le droit de propriété est modifié.
     Enfin, rien ne saurait mieux caractériser le contentieux brestois que l’adage « tel est pris qui croyait prendre ». Malgré un succès apparent, les requérants n’ont obtenu aucune satisfaction. Ils ont obligé BMO à exécuter quelques heures supplémentaires pour approuver à nouveau le même PLU avec le petit toilettage que l’on sait. S’ils en ont encore les moyens ils pourront repartir en guerre, en redéposant de nouvelles requêtes… On peut douter du résultat que l’on connaîtra dans quatre ans. Mais d’ici là…