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Contributions
#05
Nantes, Rennes et
Notre-Dame des-Landes. Quels jeux pour quels acteurs ?
RÉSUMÉ > La théorie des jeux, plus souvent appliquée en économie qu’en géographie de l’aménagement, permet cependant d’éclairer les choix des collectivités, Rennes et Nantes en particulier, à propos de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Coopération ou concurrence? Les compagnies aériennes s’en mêleront certainement et de nombreux éléments peuvent entrer en ligne de compte. Mais, même si la coopération sera indispensable pour obtenir une ligne à grande vitesse, l’aéroport de Rennes/Saint-Jacques a beaucoup plus à y perdre qu’à y gagner.

      Depuis le décret du 9 février 2008 qui déclare « d’utilité publique les travaux nécessaires à la réalisation du projet d’aéroport du Grand Ouest – Notre-Dame-des-Landes […] » , l’aéroport est en passe de devenir une réalité. La question de sa vocation n’a cependant pas été tranchée. Si bien que les deux options proposées lors de la procédure de débat public restent ouvertes . Dans la première, la concurrence entre les aéroports permet à la nouvelle plate-forme de devenir le plus grand aéroport de l’Ouest. Dans la seconde, les collectivités décident de faire de NDDL l’aéroport du Grand Ouest en coordonnant leurs stratégies aéroportuaires. 
     Cette opposition renvoie à deux dynamiques très différentes des territoires. Dans le premier cas, la vision dominante est celle d’un aéroport qui « aspire » les hommes et les capitaux au détriment relatif du reste du territoire. Nantes profitera de cette évolution pour renforcer son leadership régional. Dans la seconde hypothèse, la vision est celle d’un aéroport qui « irrigue » dans la mesure où ses effets seront le résultat d’une action collective et profiteront à l’ensemble des acteurs. Méfions-nous néanmoins d’une opposition trop réductrice entre la nature « prédatrice » de la première hypothèse par opposition à la nature « équitable » de la seconde. Au bout du compte, la question reste de savoir lequel des deux scénarios l’emportera. L’objectif de cet article est de présenter les conclusions d’un travail de recherche qui a mobilisé les ressources de la théorie des jeux pour éclairer la question de l’impact de l’aéroport NDDL sur le devenir des relations entre Nantes et Rennes.
     La problématique liée au futur aéroport concerne différentes catégories d’acteurs. Les collectivités (Nantes et Rennes notamment), les gestionnaires d’aéroports et les compagnies aériennes (classiques et « low cost »). Dans le cadre de la théorie des jeux, les individus sont engagés dans des situations qui sont assimilables à des jeux et chacun d’eux peut être également assimilé à un joueur. Lors de l’analyse, il conviendra cependant de distinguer ce qui relève du modèle et la situation réelle des individus.

     Dans la bataille à laquelle se livrent les acteurs locaux pour attirer et/ou conserver les activités et les investissements, un aéroport joue un rôle important. L’accès à la collectivité est plus facile et celle-ci devient plus attractive. Cette dynamique a cependant son revers. La concurrence territoriale entraîne souvent les acteurs dans des dilemmes sociaux qui conduisent à des gaspillages de ressources. Les jeux non coopératifs de la théorie des jeux permettent d’analyser ce type d’interactions dans lesquels les joueurs ne cherchent pas, a priori, la coopération mais la maximisation de leurs intérêts. Les hypothèses retenues par cette catégorie de jeux offrent un certain degré de réalisme avec la situation réelle des collectivités.
     Le modèle développé analyse les stratégies aéroportuaires de deux collectivités A et B disposant chacune d’un aéroport (A dispose d’un aéroport interrégional et B d’un aéroport local). Chaque collectivité a le choix entre deux types de stratégies : la coopération et la concurrence. La combinaison de ces stratégies aboutit à quatre scénarios distincts pour la gestion des aéroports: gestion négociée, relation hiérarchique, leadership contrarié et gestion concurrentielle.

Le jeu aéroports – compagnies aériennes

     Depuis la libéralisation du transport aérien en Europe, la plupart des aéroports secondaires se trouvent en situation de dépendance vis-à-vis d’Air France. Et si les compagnies « low-cost » renouvellent l’offre aérienne et offrent des opportunités de développement à nombre d’entre eux, elles savent aussi négocier avantageusement leur venue.
     Pour décrire cette interaction, nous avons utilisé un modèle de marchandage (jeux coopératifs) qui explicite deux paramètres essentiels du rapport aéroports – compagnies aériennes : le premier porte sur le pouvoir de négociation qui se traduit par la capacité d’un acteur à imposer ses choix à l’autre et le second concerne la sensibilité aux risques de chacun des acteurs. Nous avons analysé, à partir de plusieurs simulations, les conséquences des stratégies aéroportuaires issues du jeu des collectivités sur le résultat de ce marchandage.

     Créé en réponse à l’appel de coopération métropolitaine de la Datar en 2004, l’Espace métropolitain Loire- Bretagne (EMLB) associe les Communautés urbaines et d’agglomération de Nantes, Saint-Nazaire, Angers, Rennes et Brest. Il vise à renforcer l’attractivité du Grand Ouest en Europe. Le jeu s’est s’intéressé aux interactions entre les aéroports des cinq agglomérations constituant l’EMLB afin de déterminer si au sein de cet espace prévu pour la coopération métropolitaine, la coopération aéroportuaire est possible. Dans un jeu à plus de deux joueurs, la théorie des jeux propose des outils (jeux coalitionnels) qui permettent d’analyser la formation des alliances entre les joueurs ainsi que le partage du surplus de la coopération.
     L’idée générale qui se dégage des modèles (jeux) est que les collectivités A et B, du fait de l’asymétrie de leurs aéroports, ont des intérêts divergents pour la coopération ou la concurrence. Qui dispose de l’aéroport leader (interrégional) gagne toujours plus à choisir la concurrence que la coopération. Le jeu de marchandage, entre les aéroports et les compagnies aériennes, montre là encore que l’aéroport leader parvient à établir un rapport relativement équilibré avec les compagnies aériennes (classiques et « low cost »), ce qui assure sa rentabilité. Enfin, dans le jeu coalitionnel dont le cadre est l’EMLB, si l’aéroport leader applique une stratégie agressive (non-coopérative) il obtient toujours le gain maximum. Globalement, il apparaît que la stratégie de concurrence pour la collectivité A et son aéroport présente plus d’intérêt même si le résultat n’est pas collectivement optimal du fait de l’absence de coopération.

     À l’inverse, le joueur B qui dispose de l’aéroport local a davantage intérêt à la coopération. Il gagne toujours plus lorsque A joue la coopération que la concurrence. Son gain est maximum avec le scénario Gestion négociée. Dans ses relations avec les compagnies aériennes (jeu de marchandage), l’aéroport de B ne parvient pas, lorsqu’il est seul, à établir un rapport équilibré. Dans tous les cas (avec les compagnies classiques et surtout avec les compagnies low cost), les concessions qu’il est amené à faire nuisent à sa rentabilité. Enfin dans le jeu coalitionnel, l’aéroport de B gagne toujours plus lorsqu’il intègre une coalition, notamment avec l’aéroport leader, que lorsqu’il joue seul. Aussi, la collectivité B et son aéroport ont-ils un intérêt plus grand pour la stratégie de coopération que pour la concurrence.
     Dans l’étude du jeu des collectivités et du jeu coalitionnel, il a été envisagé le recours à la coopération afin de permettre aux joueurs d’obtenir le gain collectif le plus élevé. La question était de savoir si le partage équitable du gain de la coopération pouvait permettre à cette stratégie de s’imposer. Sur ce point, les modèles apportent également des éléments de réponse qui, d’ailleurs, ne plaident pas forcément pour la coopération. En effet, si elle améliore nettement la situation du joueur B et de son aéroport, la coopération a des effets beaucoup plus limités pour le joueur A et sa plate-forme aéroportuaire.
     En outre, le recours à la coopération soulève plusieurs questions. La première porte sur l’acceptabilité par le joueur A de la solution adoptée pour le partage du surplus de la coopération. Si ce partage répond surtout à une norme d’équité, il ne tient pas compte cependant du rapport de force entre les joueurs. La collectivité A peut vouloir profiter de sa situation (disposer de l’aéroport leader) et conditionner sa coopération à une répartition qui lui soit plus favorable. En cas d’échec entre A et B pour partager le surplus, certains modèles de la théorie des jeux proposent l’intervention d’un médiateur. On n’est pas sûr malgré tout d’aboutir à un accord stable. En outre, cela pose la question dans le cas de Nantes et Rennes de savoir qui pourrait jouer le rôle de médiateur pour faire évoluer la situation vers l’optimum?
     Appliqués à Nantes et Rennes, ces éléments suggèrent que la coopération aéroportuaire ne va pas de soi et que l’hypothèse NDDL comme le plus grand aéroport de l’Ouest (vision dominatrice) paraît plus probable que celle de NDDL comme l’aéroport du Grand Ouest (vision fédératrice). Cela dit, les résultats issus de ces jeux doivent être mis en perspective en tenant compte du contexte dans lequel s’insère cette problématique.

La desserte de l’aéroport sera déterminante

     Le degré de concurrence entre les aéroports NDDL et Rennes-Saint-Jacques (RSJ) dépendra du recouvrement des aires de chalandise des deux plates-formes. L’efficacité des liaisons terrestres dans l’acheminement des passagers devient alors un élément essentiel. Dans cette perspective, le projet de LGV entre Nantes et Rennes, via l’aéroport NDDL, est doublement stratégique. D’une part, il conditionne la capacité de NDDL à devenir l’aéroport référent du Grand Ouest et d’autre part, il accroît la menace sur le développement de RSJ. Il en résulte un dilemme pour chacune des deux collectivités. En effet, si on peut s’attendre à ce que Nantes ait une préférence pour la concurrence aéroportuaire (jeu des collectivités), elle devra néanmoins coopérer avec Rennes et les autres collectivités afin de concrétiser ce projet ferroviaire qui conditionne au final la réussite de NDDL. Rennes, quant à elle, pourra profiter de cette situation pour exiger des contreparties. Au pire, elle peut s’opposer au projet LGV pour protéger sa plate-forme de la concurrence de NDDL tout en sachant qu’un tel choix risque de nuire globalement à ses intérêts.
     Aussi, la prise en compte de la desserte de l’aéroport NDDL et de sa connexion aux autres modes de transport permet-elle d’envisager différentes temporalités à notre problématique. À court terme, l’aéroport NDDL induira peu de changements dans les stratégies des acteurs (compagnies aériennes, passagers notamment) et ses effets sur RSJ resteront limités. À plus long terme, le raccordement de la plate-forme NDDL avec le reste du territoire (horizon 2025?) qui ne pourra résulter que d’un approfondissement de la coopération entre les collectivités, posera de façon cruciale la question du devenir de RSJ.

     Le jeu aéroport – compagnies aériennes a montré que les stratégies des compagnies peuvent conduire à une complémentarité de fait entre l’aéroport leader et l’aéroport local. Dans le cas de NDDL et RSJ, cela signifie que les « low cost » privilégieraient Rennes : elles recherchent en effet les aéroports secondaires disposant d’une marge plus faible de négociation. Les compagnies classiques, elles, joueraient la sécurité en choisissant NDDL car elles recherchent une aire de chalandise et un potentiel de clientèle plus important, des prestataires aéroportuaires nombreux et mieux équipés. À terme, le risque pour l’aéroport RSJ, à l’instar de l’aéroport de Dinard, est de se retrouver totalement dépendant d’un « low cost » de type Ryanair.
     Les résultats du jeu aéroport – compagnies aériennes suggèrent également que la coopération entre les aéroports NDDL et RSJ pourrait être contre-productive. En effet, si la coopération vise à renforcer le pouvoir de négociation de RSJ vis-à-vis des transporteurs, celui-ci risque au final de se priver des compagnies « low cost » susceptibles d’y venir. Par contre, si la coopération vise à répartir l’offre de destination entre les deux aéroports afin de limiter la concurrence, cela risque d’être préjudiciable au besoin de développement de NDDL.

Un jeu complexe avec d’autres acteurs

     Le jeu des acteurs concernés par le futur aéroport est évidemment plus complexe que ceux retenus dans les modèles. Sur ce point, plusieurs remarques peuvent être faites:
     L’aéroport de Rennes est désormais géré par la Région Bretagne tandis que celui de NDDL le sera par une société ad hoc dans laquelle l’État sera, dans un premier temps, fortement représenté. Cette multiplication des acteurs complique les stratégies et surtout peut conduire à des conflits d’intérêts entre les collectivités. Il serait alors souhaitable qu’elles disposent d’une instance commune pour pouvoir se coordonner. En outre, le transfert de Nantes-Atlantique sur le site de NDDL va modifier à la fois la dimension et la fonction du futur aéroport. À terme, il est possible que les enjeux qui lui seront associés (en termes économiques et territoriaux notamment) dépassent le strict cadre de Nantes et Rennes.
     Aussi, les décisions de Nantes et Rennes devront également prendre en compte d’autres éléments. Le premier tient à leur proximité géographique qui favorise les échanges tout en les isolant relativement des autres villes de même taille. L’aéroport NDDL va encore augmenter l’effet de proximité en développant l’axe Nantes – Rennes. Le second élément tient aux « risques de périphéricisation » de l’Ouest de la France par rapport à Paris et à la mégalopole européenne qui va accroître le coût de la non-coopération pour Nantes et Rennes. Dans les deux cas, la coopération peut devenir une réponse collectivement rationnelle. Enfin, le dernier élément porte sur la gouvernance des relations entre Nantes et Rennes. Les recherches issues de la théorie des jeux portant sur les problèmes de coordination, de conflits d’intérêt, de blocages dans la coopération, d’effet de réputation, etc., peuventêtre source d’inspiration dans la gestion de leurs rapports.
     Si les domaines d’application de la théorie des jeux sont multiples, elle est encore très peu utilisée sur les questions d’aménagement de l’espace. La démarche retenue ne cherche pas à représenter toute la complexité du réel mais seulement à décrire les interactions stratégiques des acteurs pour en tirer logiquement les implications et les conséquences. Elle n’a pas pour but de fournir une solution prête à l’emploi au décideur (l’élu en l’occurrence) mais bien plutôt de l’aider à clarifier ses choix en lui offrant un éclairage particulier de la situation. Avec la modélisation réflexive, il s’agit davantage d’une pratique de la théorie des jeux que d’une application de modèles stricto sensu dans une perspective normative.