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Contributions
#05
RÉSUMÉ > Jadis isolée au nord-est du quartier, l’usine d’incinération de Villejean se trouve depuis la construction du quartier de Beauregard au cœur d’une population de 20 000 habitants. Depuis la création de l’usine, son propriétaire a changé, les connaissances scientifiques ont progressé, la réglementation aussi. Les riverains souhaitent une plus grande transparence.

     Autour de 1960, s’ouvre une nouvelle et importante page dans les relations, déjà longues, de la Ville de Rennes et de la Générale des Eaux (aujourd’hui Véolia). La municipalité Fréville s’est donné des axes au cours de sa première mandature (1953-1959); parmi lesquels le choix d’urbaniser au nord-ouest, alors que la ville s’arrêtait encore à la voie ferrée de Saint-Malo (le vieux Pontchaillou et Coëtlogon exceptés). Grand projet comprenant à la fois un programme de logements d’une ampleur inédite (plus de 5500) et une composante universitaire (École de la santé, Facultés de lettres et de médecine: cf. Place Publique, n° 2); on retient, pour le désigner, le nom des deux premières exploitations agricoles qu’on rencontre en venant de la rue de Brest, sur la demi-douzaine concernée: Malifeu et Villejean. Cinquante ans après, on ne dira plus que « Villejean ». Mis en place par la 5e République naissante, le cadre réglementaire de la Zup (zone à urbaniser en priorité) tombe à pic pour formater l’opération. 

L’incinération produit de la chaleur pour tout Villejean

     La Compagnie générale des eaux (CGE), de son côté, est en pleine mutation. Après s’être consacrée cent ans à l’eau – le château d’eau de Villejean en 1963 vient couronner un nouveau programme d’adduction – la voici qui élargit ses préoccupations vers le domaine des déchets: collecte et traitement. Son cheval de bataille: l’incinération. Qui a soufflé à l’oreille de qui? Difficile de le savoir. Toujours est-il que Villejean, encore en projet, se retrouve au centre d’une expérimentation à plusieurs étages. D’une part, la Ville adopte pour les ordures ménagères (et assimilées) le principe de l’incinération. Mais c’est sans doute la CGE qui, vu les circonstances, met un « plus » sur la table, fait avancer la perspective d’expérimentation (pour elle aussi) d’un cran: récupération et utilisation de la chaleur produite pour le chauffage collectif (et la fourniture d’eau chaude).
     Et d’une, donc, grande première à Rennes et même en Bretagne, Villejean étrennera le principe du chauffage urbain (qui desservira aussi Pontchaillou). Et, de deux, dans ces conditions, l’usine d’incinération ne peut être qu’à Villejean; on la prévoit en bordure nord-est de la Zup, qui ne sera donc pas dans la trace des vents dominants. L’exploitation de la chaufferie (1965) puis de l’usine d’incinération (1968) est concédée à une société sur mesure, la Société Bretonne d’Exploitation de Chauffage (Sobrec), dont le siège est à Saint-André-des-Eaux… dans le département du Nord, tout comme celui de la CGE. Rappelons au passage que, pendant une dizaine d’années, à partir de 1996, la Ville a imposé aux riverains une troisième expérimentation: le traitement des boues d’épuration, de nauséabonde mémoire.
     Tout le monde a mis du temps avant de commencer à se poser des questions sur l’impact environnemental du dispositif. Les premiers soucis ont été acoustiques : dans les débuts, les camions-poubelles bennaient à l’air libre jusque tard le soir, agrémentant les soirées des habitants des rues de Lorraine ou de Franche-Comté, qui finirent par obtenir l’installation d’un sas. Puis, à partir du premier choc pétrolier, c’est le bond des charges de chauffage et d’eau chaude qui met le système sur la sellette: estil juste que, pour l’usager, les tarifs soient indexés pour l’essentiel sur l’évolution du prix du fuel, alors même que l’installation permet précisément d’économiser le fuel? Ce sera, à Villejean, la longue « action chauffage »: manif de rue, blocage des charges, etc.

Une surveillance de l’air insuffisante

     S’il y a donc d’autres préoccupations, il faut dire aussi que les capacités technologiques et, par suite, la réglementation ont mis un moment à y voir un peu clair dans ces fumées d’un nouveau type. Le système de surveillance de l’air mis en place à peu près dès le départ ne sait guère reconnaître que le plus gros; et comme le capteur est situé à l’École de la Santé, il n’enregistre rien de particulier en provenance de l’usine, car les vents de plein nord restent assez exceptionnels par ici ! Aucun souci donc à créer des jardins familiaux au pied de la cheminée.
     Plus récemment, Air Breizh a effectué des mesures à partir de stations mobiles; celles-ci, étant plutôt conçues pour l’évaluation de la pollution automobile, n’ont pas su dire grand-chose sur les cocktails plus subtils dont l’usine d’incinération a le secret. Prenez les fameuses dioxines, ces « composés aromatiques » comme disent les chimistes pour des raisons qui leur appartiennent, et qui ne sont pourtant pas en odeur de sainteté auprès de ceux que préoccupent les questions sanitaires. Si on les connaît depuis peut-être un siècle, cela ne fait pas très longtemps qu’on est capable d’en détecter et d’en mesurer la présence; il y a peu encore, en France, seul un laboratoire nantais pouvait assurer ces analyses.

Dioxines : jusqu’en 2005, des rejets élevés

     Enfin, les incinérateurs se multipliant en France (et ailleurs), la recherche a progressé et s’est affinée; on a appris à mieux lire le lait des vaches, on s’est donné les moyens de faire parler les lichens, ces témoins silencieux. Du même pas, la réglementation nationale et européenne a imposé des normes et une surveillance sévères (résultats sur les sites de la Métropole et de la Préfecture). Reprenons les dioxines. La norme aujourd’hui est de 0,1 ng/m3 (un nanogramme : un milliardième de gramme par mètre cube). .    
     Mais tout le monde admet qu’avant cette limitation et les travaux qu’elle a requis – la préfète de Région plaçant l’usine sous menace de fermeture au cas où, un fameux 28 décembre 2005, on ne serait pas aux normes – ce sont des rejets jusqu’à trente fois plus élevés que distribuait généreusement l’incinérateur, métabolisés vaille que vaille par des populations présentes parfois depuis plus de trente ans.
     Et qu’en disent les études sanitaires? Il y en a eu principalement deux: l’une par l’Institut national de veille sanitaire (INVS) sur l’incidence des incinérateurs sur l’épidémiologie des cancers, l’autre par l’Afssa (Agence française de sécurité sanitaire des aliments) sur les aliments provenant des environs des usines, à travers un exemple, celui des oeufs de poule (bons fixateurs des dioxines). Conclusion? Prudence scientifique oblige, elle a quelque chose de normand: « Pour dire qu’il n’y a pas de risque, on ne peut pas dire qu’il n’y a pas de risque! Pour dire qu’il y a un risque, les éléments ne sont pas suffisants pour affirmer un lien de causalité simple et direct »… Et il est vrai qu’en fait de cancer, en dépit de certaines propagandes, il n’y a jamais de causalité « simple et directe ». Reste que, scientifiquement, « on ne peut pas dire qu’il n’y a pas de risque »! D’autant qu’on n’est pas complètement sûr d’avoir identifié tous les ingrédients de ces fumées et qu’on est sûr, par contre, d’avoir presque tout à apprendre sur l’effet multiplicateur des liaisons dangereuses qui se trament dans la cheminée. Peu étudié, enfin, l’impact sur d’autres pathologies que le cancer.

Les ordures de toute la métropole ont pris le chemin de Villejean

     Alors, dans quels termes aujourd’hui aborder la question? Par rapport à la situation de départ, si les éléments technologiques et réglementaires ont évolué, la donne démographique aussi a changé, avec le peuplement de Beauregard (à partir de 1997): des milliers de logements créés et en création dans l’immédiat nord-est de l’usine, c’est-à-dire sous la trace même des vents dominants. L’usine d’incinération est désormais au coeur d’une population de plus 20 000 habitants.
     La donne administrative, également, n’est plus la même. D’un côté, l’usine a changé de propriétaire, dans le cadre de la marche à l’intercommunalité. C’est désormais Rennes-Métropole qui en a la responsabilité (1995). Ce qui n’est pas un simple jeu d’écritures. Progressivement, ce sont les ordures des 37 communes qui ont appris le chemin de Villejean. Ces communes avaient d’ailleurs été mises à contribution pour le financement du troisième four (surtout destiné à l’époque au traitement des boues d’épuration de Rennes). Et ce n’est pas fini. Rennes- Métropole met en avant dans sa « communication » les succès de sa politique de réduction des déchets. Cette politique a un revers dont on parle moins: une saine gestion impose au propriétaire et à l’exploitant d’optimiser le fonctionnement de l’installation, c’est-à-dire d’élargir à mesure l’aire de collecte. En témoigne le ralliement récent de la communauté de Redon à la solution villejeannaise. Bref, pour les riverains, rien de changé: aucune perspective, pour le moment, de voir ralentir ou s’évanouir cette source de nuisances.
     Côté administratif, les choses n’ont pas fini de bouger. C’est effectivement à l’échelle du département (tant qu’il existe), qu’il va falloir penser. Une mesure de 2004 met à la charge des départements l’élaboration d’un « plan d’élimination des déchets ménagers et assimilés » (en Ille-et-Vilaine, on met son point d’honneur à dire d’abord « prévention », ce qui, pour les initiés, donne PPEDMA). Ce plan, censé comprendre une étude d’impact environnemental et déboucher sur une enquête publique, pour l’Ille-et-Vilaine, n’est pas très avancé: on se donne comme horizon 2016 - 2021. On parle de « concertation dans la durée »…

     Mais quelle concertation et avec qui? Il y a désormais une forme de concertation institutionnalisée à travers la Clis (Commission locale d’information et de surveillance), mise en place en 2002 par la préfète en personne et où se rencontrent, sous la responsabilité de la préfecture, la Sobrec, les élus (métropole, ville, département), les services préfectoraux et les représentants associatifs. Ceux-ci comprennent d’une part des représentants des « grandes » associations, celles qui siègent à la MCE: Eaux et Rivières de Bretagne, Ciele, et jusqu’à récemment, l’UFC-Que choisir ; d’autre part, des membres d’un collectif de riverains, à l’appellation interminable, le Comité de défense et d’action contre les nuisances de l’usine de Villejean-Beauregard », formé de l’Association des résidents de Villejean (ARV), de l’ASPSL (Association syndicale des propriétaires du square du Lyonnais) et de l’association Vivre à Beauregard. Si ces « locaux » sont reconnus de la Préfecture par les nominations à la Clis, ils sont toujours ignorés au groupe « Évaluation de la politique déchets » de Rennes-Métropole et aux ateliers et commission PPEDMA du conseil général. Concertation dans la durée, vous dit-on!
     Et pourtant des échéances proches sollicitent la réflexion, telles que le renouvellement en 2011 de la concession d’exploitation de l’usine. La réflexion à moyen et long terme – et elle concerne, outre les riverains, tout citoyen bénéficiaire du dispositif. Autant il serait puéril d’imaginer une révision technologique ou économique impromptue dès l’année à venir, autant la négociation du prochain contrat, dans ses clauses, sa durée, ne peut faire l’économie d’un effort de prospective, que le département, de son côté est appelé à fournir. Les élus ont cru bon de jouer la carte de la « nécessaire discrétion », c’est-à-dire comme toujours de l’information après coup, autrement dit de la non-concertation. Les riverains ont pourtant quelque chose à dire, d’assez simple et facile à comprendre: jusqu’à quand? À quand l’après-incinération? Véolia n’arrête pas d’expérimenter, la biométhanisation, par exemple – c’est son site internet qui nous le dit. Alors, on se le fait ce concours d’idées ?