« On peut dire que je l’ai attendue, cette médiathèque ! Le lieu est beau et Le Rheu en avait besoin. J’aime les livres et aller aux Perrières, c’était loin pour moi ». Thérèse est accompagnée de sa belle-fille toulousaine qui découvre L’Autre Lieu. « Dans le quartier de Toulouse où nous habitons, précise cette dernière, nous avons une médiathèque du même style. Je trouve que celle du Rheu est bien dimensionnée pour la commune ». Notre lectrice, octogénaire, est née ici. « J’ai bien connu la ferme de la Mare et ses occupants. Au début des travaux, mon mari et moi pensions que trop d’argent était mis dans ce projet, car les vieux bâtiments ne valaient rien. Nous disions qu’il fallait les abattre ; je suis plus tournée sur l’avenir que sur le passé ! ». Ses enfants, au contraire, appréciaient le charme de ce vieux bâti de terre situé au coeur du bourg. À présent, Thérèse s’avoue satisfaite : « C’est comme le métro, on dit que c’est bien quand c’est fini ! ».
Lucas, Nathan et Guillaume ont repéré l’espace « se connecter ». « Les livres ? Ce n’est pas trop notre truc ». Les lycéens ont pris place sur la mezzanine, face à la baie vitrée : une pause visuelle sur le coeur de ville : « Ici, c’est calme et reposant. Il n’y a pas de bruit ». L’épaisse moquette brune absorbe les déplacements. « C’est spacieux, moderne et surtout lumineux. Cela nous fait tout bizarre d’avoir cela au Rheu. On se croirait en ville ! ».
C’est aussi la grandeur et la luminosité qui ont étonné Myriam, la maman de Célia et d’Éline. « L’ancienne bibliothèque était rikiki. Ici, l’espace est vaste avec plus d’ouvrages à disposition et il est donc plus fréquenté. Il faut espérer que ce ne soit pas vite trop petit ». Myriam a récemment profité avec ses filles d’un spectacle diffusé dans le cadre du festival du Grand Soufflet. « Le nouvel auditorium est agréable avec des enfants ». La petite famille a aussi suivi la construction du nouvel équipement : « Mon mari a travaillé sur le chantier. Il est plombier-chauffagiste. Il nous a accompagnées à l’ouverture pour montrer aux filles les sanitaires qu’il avait installés ». Aujourd’hui, Myriam est secondée par Céline, la mamie. « Venir à la médiathèque pour lire des livres était la sortie du jour. Nous finirons par les jeux d’enfants, dans le square », explique la maman. « J’apprécie ce côté cocon, intime, avec cette grande banquette et ses petits poufs. En revanche, je ne suis pas très rassurée sur la mezzanine avec l’impression de vide donnée par le garde-corps vitré ».
Pour découvrir l’exposition « Ce qui nous nourrit » du photographe Philippe Henry, Jacqueline, Jeanine et Albert se retrouvent pour la première fois dans les lieux. « C’est amusant de découvrir les portraits d’habitants que nous connaissons », explique Jeanine. Et d’ajouter : « Autrefois, nous allions à la bibliothèque pour les enfants. Elle était éloignée du centre bourg. Il fallait savoir qu’elle existait, à l’étage de la ferme des Perrières ! Ici, on la voit bien. C’est joli, accueillant et aménagé avec goût. » Pourtant, Albert s’interroge : « Il fallait sans doute cela pour l’avenir de la commune, mais il y a dû en avoir des surprises… J’ai bien peur de voir nos impôts flamber ! »
« Un tel investissement est lourd pour la commune », confirme le maire Jean-Luc Chenut. D’autant plus qu’un effort exceptionnel est consenti pour doter la médiathèque des six postes de permanents nécessaires au bon fonctionnement. Pour l’équipe municipale, il s’agit d’un choix politique fort et prospectif . « La réponse aux besoins des Rheusois en matière de lecture publique était sous-dimensionnée, quatre fois inférieure à celle préconisée pour le ratio actuel de la population. Et en 2020, nous serons 10 000 habitants ! », rappelle le maire. « Cet équipement nous permet désormais de développer un projet de lecture publique et une médiation culturelle menés en interface avec un grand nombre de structures et d’associations de la commune », ajoute-t-il. Une programmation partenariale qui propose des conférences, des projections, des spectacles, grâce à l’auditorium de 79 places.
Par ailleurs, une fois la médiation culturelle renforcée, deux autres objectifs politiques ont sous-tendu l’élaboration du programme de L’Autre Lieu. « Il y a dans le projet de la médiathèque une dimension de mixité sociale et intergénérationnelle renforcée avec une volonté de mutualiser les services », souligne Lison Lissillour, sa responsable. Désormais, la médiathèque héberge l’espace de la vie sociale, doté de trois bureaux avec un accès privilégié à l’espace multimédia. Les habitants y sont reçus sur rendez-vous pour les permanences tenues par différents organismes sociaux. Citons la Caisse d’allocations familiales, la Caisse primaire d’assurance maladie, le Centre communal d’action sociale, le Centre d’information sur le droit des femmes et des familles, la Mission locale, le Centre d’information jeunesse Bretagne, la Point accueil emploi, etc. « Ce sera l’occasion pour les personnes reçues de bénéficier de la proximité des espaces de lecture et numérique. Nous voulons leur donner envie de revenir à la médiathèque », commente Lison Lissillour.
Avec à l’ouverture 1 800 inscrits, le développement des publics passe par celui de l’outil numérique, troisième pilier affirmé du programme : « Nous sommes à une période charnière où nous devons réinventer la dimension numérique et anticiper la disparition progressive des supports classiques. Dans le domaine de la musique, nous avons une collection hybride de compilations pour répondre aux besoins spécifiques des enfants et des seniors. Pour soutenir la scène locale, nous proposons les supports des artistes ». Par ailleurs, des sélections musicales ou cinématographiques sont diffusées sur liseuses et tablettes numériques. Via un site Internet dédié, les abonnés ont accès à une sélection de ressources numériques et à des outils d’autoformation.
L’ensemble des missions de L’Autre Lieu s’inscrit dans le concept nordique de « bibliothèque 3e lieu », souligne Lison Lissillour : « Un lieu qui, entre le chemin du foyer et du lieu de travail, a vocation à favoriser les échanges, la cohésion sociale, la vie communautaire informelle. Notre volonté est de créer un espace de vie pour différents publics qui ne soit pas simplement un lieu pour lire un livre dans le silence. Les Rheusois peuvent se retrouver autour d’un café, en plein centre bourg ».
Au-delà du projet d’équipement, la construction de ce pôle culturel vient achever l’aménagement urbain de la ZAC des Champs-Freslons, commencé en 1985. « La commune comptait alors 1 600 logements. Cette première Zone d’aménagement concerté à l’échelle de l’agglomération rennaise devait accueillir 1 000 logements supplémentaires », explique le maire. Un aménagement mené en quatre tranches opérationnelles, programmé sur vingt ans. Sur le site de la ferme de la Mare, construite au 19e siècle, les trois bâtiments étaient voués à la démolition pour laisser place à une opération d’une quarantaine de logements. Un projet en suspens questionné à chaque alternance municipale. « En 2001, à notre arrivée, il nous semblait important de prendre une décision », poursuit Jean-Luc Chenut. Les partisans de la démolition d’un bâti très dégradé s’opposent aux défenseurs, attachés à l’image patrimoniale d’une architecture liée à l’histoire communale. Cette prise de conscience pour l’intérêt patrimonial d’un bâti de terre menacé dans le bassin rennais n’est sans doute pas étrangère à la sensibilisation menée par l’écomusée du Pays de Rennes, avec l’exposition « Constructions de terre en Ille-et-Vilaine ».
« Nous ne voulions prendre aucune décision sans équilibre économique. Nous devions renoncer à près de 600 000 euros de recettes en abandonnant la construction de logements sur le site. Il nous fallait trouver l’équivalent aux abords », précise le maire. Les étudiants du Master 2 Urbanisme et Aménagement de l’Université de Rennes 2 et les étudiants de l’École Nationale d’Architecture de Bretagne sont invités à réfléchir à un projet d’aménagement. Les propositions donnent lieu à une exposition qui met en évidence la faisabilité d’une opération en bordure du site. En 2006, un concours d’architecture et d’urbanisme est lancé auprès de six promoteurs associés à six architectes pour poursuivre l’aménagement du centre bourg avec la construction de quatre bâtiments de logements. La municipalité désigne Bouygues immobilier associé à Jean-François Golhen, architecte.
« Une fois le choix du projet urbain stabilisé, nous avons mené une réflexion en parallèle afin de définir un programme de centralité pour un équipement polyvalent dédié à la lecture publique », commente le maire. L’élaboration du cahier des charges du dernier projet structurant du centre bourg est confiée à l’architecte Thierry Dupeux et le projet d’établissement à Lison Lissillour. Un projet d’équipement mûrement réfléchi, de 2008 à 2010, avec la responsable de la médiathèque : « J’ai eu la chance de pouvoir travailler bien en amont avec Danielle Breton, élue en charge de la vie associative et du développement culturel, le directeur des services techniques, le directeur général des services ».
Le concours d’architecture est lancé en 2010. Le lauréat est de nouveau Jean-François Golhen qui a réalisé la Maison du livre de Bécherel, la médiathèque intercommunale de Pontchâteau et celle de Combourg. Un comité de pilotage composé d’acteurs culturels et associatifs est constitué et se réunit régulièrement avec l’architecte, durant deux ans. Une démarche partenariale collaborative et constructive entre les maîtres d’ouvrage, d’oeuvre et d’usage qui garantit l’adéquation avec les attentes d’un tel établissement public.
Pour Jean-François Golhen, la manière de concevoir un bâtiment façonne un espace extérieur qui induit des usages. La forme urbaine ainsi produite est la traduction du cahier des charges au travers d’une écriture architecturale spécifique. « Pouvoir s’appuyer sur un bâti ancien pour installer un espace public était pour moi une chance. Une belle opportunité d’inscrire un tel projet dans l’histoire de la commune », commente l’architecte. L’ensemble du bâti de terre avec un solin de schiste est composé d’un corps d’habitation déjà remanié, d’anciennes étables et d’un petit bâtiment de stockage. « Son implantation dessinait un espace central, la cour de la ferme, où il était possible d’installer la médiathèque ». Même en piteux état, il convient pour le maître d’oeuvre de conserver les bâtiments en les exploitant au mieux. La fragilité des murs de terre nécessite de s’entourer d’entreprises compétentes et impliquées. « Il nous fallait déconstruire une partie de ce bâti de terre. Nous avons gardé l’enveloppe pour mieux nous en affranchir. Nous sommes allés chercher la technique la mieux adaptée aux problèmes à résoudre.Une prouesse technique réalisée grâce à un plancher béton porté par une structure indépendante. Ce sont des poteaux métalliques qui le supportent ». Au final, l’imposante « boîte » en béton enjambe le premier bâtiment et ferme la cour. Ce pari tenu a permis de doubler la capacité de l’auditorium initialement prévue. Dans cette même « boîte » est logée la salle d’animation. Au rez-de-chaussée, la galerie d’exposition se glisse en retrait, sous toute la longueur, et en toute transparence. Cette volumétrie ostentatoire offre à la structure son identité, « telle une grande bouche ouverte sur la ville », explique l’architecte. L’entrée du public se fait à l’ouest, en pénétrant sous ce volume. Le sas d’entrée tout en transparence s’ouvre sur un espace de convivialité qui jouxte la salle de la médiathèque et dessert l’espace social, aménagé au sud, dans l’ancienne grange. Un escalier mène à la mezzanine qui conduit à l’auditorium et à la salle d’animation et à l’administration, située au-dessus de l’espace social. « Ce qui était important dans ce volume global était d’ouvrir cette passerelle sur la salle de la médiathèque, en connexion directe grâce au garde-corps vitré, afin qu’elle ne soit pas uniquement une desserte, mais bien un lieu pour se poser. Cet espace peut accueillir des événements. Un écran mobile intégré dans le plafond permet des projections vidéo ». Dans la salle de la médiathèque, des douches de lumière zénithale varient au fil du jour, diffusées par un jeu de sept ovoïdes qui sont en fait des trappes de désenfumage. Généreusement vitré, le pignon est s’ouvre sur un petit amphithéâtre paysager surplombé par les petits collectifs réalisés antérieurement par l’architecte. Si les murs de terre recouverts d’enduit à la chaux et le schiste en soubassement font mémoire, les percements de passage à l’intérieur du bâtiment comme ceux des fenêtres extérieures sont des U de béton, n’en chagrinent les puristes du bâti de terre. Pas question de pastiche pour l’architecte, la démarche se veut contemporaine et les transformations parfaitement lisibles. « Nous avons préféré les matériaux bruts : le béton, le bois en intérieur décliné à l’extérieur. » Des lames de bois habillent et rythment la façade et font office de filtres solaires. Cette construction BBC doit résoudre l’apport de lumière naturelle important tout en gérant les variations thermiques.
Une des problématiques était aussi d’envisager des temps différents de fonctionnement, en dehors des heures d’ouverture de la médiathèque et donc d’imaginer des circulations indépendantes de cette dernière et des accès différents et autonomes. Dernier point : l’annexe de terre conservée qui joue comme une greffe sur le hall, héberge les locaux techniques.
Et Jean-François Golhen de conclure : « Cette opération fait partie pour moi de ces projets plaisirs où nous sommes vraiment dans le coeur de notre métier : un projet complexe où nous devons fabriquer de l’espace public ! »