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Dossier
#18
RÉSUMÉ > Le Blosne engage sa métamorphose: il sera demain un « quartier de centre-ville », attractif et animé, avec plus de logements, plus d’habitants et plus d’équipements. Le projet s’articule autour de la création d’un grand parc « en réseau » qui s’étendra depuis le parc des Hautes-Ourmes jusqu’à l’avenue Henri-Fré- ville. Le paysagiste-urbanisme Ronan Désormeaux, dans la continuité de son article précédent traitant de l’alliage de la ville et de la nature, raconte et défend ici ce projet urbain du Blosne, participatif et inédit par son ampleur.

     Le Blosne fait partie des quartiers aux tissus très lâches. Les configurations parfois introverties et le manque d’animation de ces quartiers nous renvoient une image anémiée, peu dynamique, qui crée une sorte de marginalisation par rapport aux quartiers denses de la ville. Si l’abondance des « espaces verts » semble un grand atout pour l’attractivité de ces lieux, cet atout peut parfois devenir un handicap, car il crée de la distance, du vide, accentue les phénomènes de rupture, de discontinuité et parfois de ségrégation.
     Comment renouveler et revitaliser ce genre de quartiers ? Comment les rattacher à l’écosystème territorial qui se constitue sur la région rennaise? Comment insuffler de la densité urbaine tout en amplifiant la présence de la nature? Quel rôle doivent y jouer les espaces verts et d’une manière générale les espaces publics ?
     C’est cette équation qu’essaie de résoudre le projet urbain du Blosne. Situé sur le versant sud de la ville, le Blosne s’étend sur un large territoire de 220 hectares. Au sud, il est borné par la rocade et la « ceinture verte » de Rennes. Il a été conçu durant les années soixante, alors que les usines Citroën s’implantaient à la Janais et que la rocade Sud naissait.

     Ces grands programmes d’aménagement bousculaient l’organisation préexistante installée au cours des siècles aux franges de la ville ancienne. La toile bocagère des haies et des chemins fut pratiquement anéantie; le réseau des fossés disparut sous les nivellements et le ruisseau du Blosne, qui cheminait paisiblement au coeur de ce paysage bocager, fut canalisé dans un cadre en béton de deux mètres sur deux, qui circule toujours en souterrain aux confins du quartier : escamoté, enfoui, disparu…
     La dénaturation de cette partie du territoire est presque absolue: restent malgré tout quelques traces bocagères éparses, un unique témoin bâti situé hors rocade (La Bintinais) et le bois des Hautes-Ourmes « recyclé » en parc urbain.
     Si l’acte d’aménagement s’avère très violent, d’un autre côté la conception urbanistique de ce nouveau quartier accorde une large place au paysage avec des espaces verts très abondants, des avenues surlignées d’alignements d’arbres, et des peuplements denses d’arbres de haut jet qui colonisent l’ensemble des espaces.

     Le Blosne ressemble aux schémas de Le Corbusier à l’époque de la charte d’Athènes: un territoire innervé par de grandes voies routières; un tapis « vert » ponctué d’arbres qui se déroule comme une toile de fond; un semis aéré de tours qui « survolent » le tout dans la clarté du ciel.
     L’idée de nature est ici très évanescente; elle est rêvée comme un élément de propreté policé et attrayant; elle est dessinée et scénographiée à la manière des paysagistes du 19e siècle, à grands renforts d’allées courbes et de contrecourbes de « style paysager ». Pour des raisons d’efficacité, on plante à cette époque des arbres à croissance rapide: peupliers, érables, bouleaux et acacias sont pléthores. Ce patrimoine végétal arrive en fin de vie, ce qui nécessite aujourd’hui un renouvellement végétal sur la totalité du quartier.

     La situation urbaine du quartier du Blosne est paradoxale: alors que l’ensemble de la ville de Rennes est en mouvement et qu’elle s’illustre par le dynamisme de son redéploiement urbain, le quartier du Blosne se caractérise par son immobilisme. Sa configuration initiale n’a pratiquement pas changée; son nombre d’habitants décroît ; sa population vieillit ; ses structures (logements, équipements, infrastructures, patrimoine végétal, etc.) doivent être modernisées.
     Cette conception d’îlots juxtaposés, organisés chacun autour d’une offre d’équipements, crée une situation figée, peu flexible et aujourd’hui inadaptée aux évolutions de la ville. On est frappé par exemple quand on sort de la station de métro du Blosne, place de Zagreb, d’arriver dans une sorte de no man’s land: larges espaces informels ; absence d’immeubles dans un rayon de cent mètres; pas de café ni de marchand de fleurs… Qui n’a pas erré dans le quartier un soir de concert pour trouver le centre culturel du Triangle? Qui n’y a pas cherché son chemin pour aller visiter un ami à l’hôpital Sud?

     L’exigence d’introduire de la « vraie ville » dans le quartier s’impose donc. Il convient de construise de nouveaux alignements bâtis, des perspectives et des repères ; que demain, il y ait du monde dans les rues, comme sur la place Sainte-Anne, sur la dalle de Villejean ou sur l’esplanade De Gaulle. Faire rentrer massivement de la « ville dans la ville » devient aujourd’hui un objectif vital pour le quartier.
     Et puis, on découvre le Blosne « coté jardin » avec ses coeurs d’îlots verdoyants, ses arbres et ses espaces verts. Depuis la fenêtre du quinzième étage, la canopée des arbres semble se dérouler jusqu’aux coteaux de Laillé et jusqu’à la ligne d’horizon du bassin rennais… et on se plaît à imaginer que la conception de la ville dense peut se conjuguer facilement avec l’omniprésence de la nature et que les deux systèmes de construction de l’espace peuvent s’emboîter et s’imbriquer intimement.

     Le projet urbain du Blosne, actuellement en cours d’élaboration, se fonde sur ces quelques réalités basiques: Faire de la « ville » et développer des polarités fortes autour des trois stations de métro et sur l’avenue Fréville; intensifier les usages et l’attractivité du quartier; exploiter la présence des équipements existants (Triangle, Ecomusée, marché du Blosne, hôpital Sud) et futurs (conservatoire de Musique) et les enraciner dans la réalité du quartier de demain.
     Amplifier la présence de la « nature »; décloisonner les coeurs d’îlots et les assembler dans l’idée de créer un grand parc partagé qui puisse structurer le quartier de part en part, depuis le parc des Hautes-Ourmes jusqu’à l’avenue Fréville: le Parc en réseau.

     Le projet de Parc en réseau porte dans sa dénomination les ambitions de ses objectifs. Il s’agit bien de fédérer l’ensemble du quartier autour d’un grand parc partagé qui se combinera avec les espaces publics majeurs, les grands équipements et les stations de métro. Ce grand parc a pour vocation de fonctionner comme une « machine à relier », de soutenir les processus de mixité et d’intensification générés par le projet urbain, d’amplifier l’image « verte » du quartier, de consolider son identité et son attractivité.
     Il constitue la pièce-maîtresse d’un processus de remaillage paysager lisible et cohérent sur l’ensemble du quartier.
     Les dimensions du projet sont éloquentes puisqu’il s’étendra sur environ trois kilomètres et couvrira une aire de l’ordre de trente à quarante hectares, soit trois à quatre fois la surface du Thabor !

     Il s’imposera à terme comme le plus grand parc de la ville de Rennes. Ses caractéristiques XXL l’imposent comme un maillon stratégique majeur à l’échelle de ce grand secteur de l’agglomération. Le parc en réseau pourra assurer des relations de continuité avec la trame verte de la Poterie, avec la grande liaison paysagère vers le bois de Soeuvre, avec les grands ensembles ruraux situés au sud de la rocade ainsi qu’avec les secteurs de la vallée de la Seiche. Des relations privilégiées pourront être trouvées avec le site de l’Écomusée de la Bintinais, que l’on peut imaginer s’intégrer à part en entière dans la géographie du quartier tant sur le plan fonctionnel (conditions d’accès) que sur le plan culturel et identitaire.
     Ainsi le projet de Parc en réseau s’inscrit à l’intérieur d’une dynamique territoriale élargie. L’idée de nature sera présente partout selon une logique de mise en relation des espaces et des continuités « vertes ».

     Les grandes orientations et les contenus du projet sont sans cesse enrichis par les contributions des habitants, des professionnels, des techniciens et des élus. La mise en débat est permanente via un processus de concertation participative mené par l’Institut d’urbanisme de Rennes et l’Audiar.
     Le désir de nature et de valorisation paysagère des espaces apparaît comme une tendance lourde. Pour autant, les habitants expriment aussi leurs attentes en terme d’usages. Ils pointent l’inadaptation des configurations actuelles, trop chiches en espaces de convivialité. Ils souhaitent plus d’espaces d’activités sportives libres, ou ludiques, plus de capacité à accueillir des événements festifs ou culturels dans des espaces paysagers adaptés.
     Ces espaces doivent concilier « nature » et « intensité d’usage » mais sans aboutir à une « oeuvre paysagère figée ». Il s’agit de définir les éléments structurels du Parc en réseau, de dessiner « l’armature paysagère générale », mais aussi de permettre des d’appropriations flexibles, ouvertes aux attentes sociales et à la créativité, adaptables aux évolutions du quartier et de la ville.

     Parmi les demandes exprimées, il y a la création de zones de jardinage partagées. Demande révélatrice d’un besoin de nature, d’un rapport actif avec la terre, mais aussi d’un désir de développer des lieux du « vivre ensemble ». On a vu un porteur de projet de « jardin partagé » déclarer que l’objectif du projet était « de cultiver… de la solidarité ». Les habitants évoquent aussi le souhait d’un verger conservatoire, d’un chantier de réhabilitation bocagère, d’une session de plantation associant les habitants.
     Le processus de reconfiguration des espaces se veut tout sauf brutal. Il s’agit plutôt d’amplifier petit à petit la présence de la nature en ville et de solidifier le paysage dans une vision durable. La biodiversité est ici une question centrale pour les futurs remodelages, même les plus modestes. N’oublions pas que les « espaces verts » du Blosne furent conçus à l’origine comme un « décor vert », loin de toute philosophie d’installation du vivant. De ce fait, nous héritons d’espaces verts de faible qualité biologique. Il convient d’y insuffler des dynamiques écologiques fructueuses.

     Ces remodelages paysagers souvent modestes doivent impérativement intégrer des dispositifs de réception des eaux pluviales: réaliser des noues, des fossés, des dépressions et même des mares écologiques, tous ces dispositifs abreuvent le milieu naturel et sont des vecteurs puissants de développement de la biodiversité. Il faudra aussi distinguer clairement les espaces qui continueront à être entretenus de manière traditionnelle, et les espaces du « cadre paysager » qui pourront être gérés de manière plus extensive.
     On sait qu’un gazon tondu régulièrement, prévu pour un usage intensif, ne sera pas en mesure de développer une dynamique écologique. Par contre, des zones de prairies gérées de manière extensive (à la manière des bords de route) vont favoriser l’apparition de nombreuses plantes sauvages et de toute une faune associée: grillons, sauterelles, coléoptères, papillons…
     Le renouvellement des arbres offrira aussi une opportunité de réintroduire à l’intérieur du Blosne, une plus grande diversité d’espèces végétales: plus durables et plus adaptée aux différentes situations urbaines (voiries, espaces minéraux, espaces verts et naturels). De son côté, le réservoir génétique entretenu par l’Écomusée de la Bintinais dans une vision conservatoire pourra se diffuser sur l’ensemble du quartier.

     La ville est par définition le lieu privilégiée d’une mise en réseau de flux de toutes natures : culturels, économiques, sociaux, artistiques… c’est un lieu de créativité et d’expression sans cesse renouvelé. À heure des réseaux sociaux, les processus de renouvellement de la ville sont à penser dans leur capacité à développer de l’entre-soi, du vivre-ensemble et de l’échange. Une ville fluide, mobile et flexible où chaque élément est ouvert à l’interaction et la mise en relation.
     À ce titre, le parc en réseau est sans doute à considérer comme une traduction et une métaphore de la « ville moderne », verte et dense.