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Histoire & Patrimoine
#05
RÉSUMÉ > « Pour le fonds des choses renfermées dans ce manuscrit, c’est un chiffre dont ils n’ont pas la clé ». Lettre de Dom Charles Taillandier à Christophe-Paul de Robien, 26 novembre 1753

     De tous les manuscrits médiévaux que possède la Bibliothèque de Rennes Métropole, celui que l’on appelle prosaïquement le « Recueil irlandais » est sans doute l’un des plus curieux et des plus énigmatiques. Depuis plus de deux siècles, il attire les collectionneurs, laisse perplexe les bibliothécaires, et passionne les chercheurs, donnant lieu à de nombreux articles, mais il n’a cependant jamais fait l’objet d’une étude complète approfondie. Ses atouts ne manquent pas : contenu rare, voire unique pour quelques pièces, possesseur prestigieux, histoire connue et documentée; mais son écriture, une onciale « hiberno-saxonne » du 15e siècle, le rend difficile d’accès pour le commun des mortels qui ne pratique pas couramment le gaélique irlandais médiéval. 
     Au premier regard, ce manuscrit n’attire pas l’oeil. Extérieurement, sa reliure en veau brun ordinaire, sans aucun décor, est fatiguée et usée. À l’intérieur, ce n’est guère mieux: un assemblage hétéroclite de plusieurs pièces dont le format n’a pas été harmonisé; un parchemin grossier, mal blanchi, troué en de nombreux endroits ; une écriture épaisse, à l’encre noire ou brune, pas toujours très appliquée; une ornementation pauvre, composée de quelques lettrines parfois rehaussées de couleur. On a donc affaire à un manuscrit modeste, qui a beaucoup servi, bien éloigné de ces manuscrits enluminés prestigieux recherchés par les bibliophiles et autres amateurs d’oeuvres d’art.
     Pourtant, c’est bien pour son aspect externe que Christophe-Paul de Robien, le plus grand collectionneur breton du 18e siècle, en fait l’acquisition en Irlande vers 1750, sans même savoir ce qu’il contient. Amateur de curiosités en tous genres, il s’intéresse à son écriture étrange, au point de le prêter à deux érudits, Dom Tassin et Dom Toustain, qui rédigent à l’époque leur Nouveau traité de diplomatique. Les deux bénédictins évoqueront le manuscrit de Rennes dans leur ouvrage et en reproduiront même un extrait en fac-similé, comme exemple d’écriture onciale anglo-saxonne, sans être non plus capables de le déchiffrer. Entré par les confiscations révolutionnaires de 1792 dans les collections de la Bibliothèque publique de Rennes, avec l’ensemble des livres de la famille de Robien, le « manuscrit irlandois » garde son mystère quelques décennies encore, même si une note en anglais insérée au 17e siècle au début du volume permet aux premiers bibliothécaires d’en décrire succinctement le contenu, à savoir « diverses pièces sur la morale et la piété ». La datation en reste quant à elle plus qu’approximative, entre le 11e et le 13e siècle si l’on en croit les différents érudits qui s’y intéressent à cette époque.

     Il faut attendre le milieu du 19e siècle pour voir paraître la première analyse sérieuse de ce recueil : on la doit à un chercheur irlandais, James Henthorn Todd, qui en établit enfin une datation scientifique (la fin du 15e siècle) et dévoile de manière précise et exhaustive ce qu’il renferme. Malgré le caractère rapide de son étude, il perçoit déjà l’intérêt de certains textes, ce que confirmeront dans les années 1880-1900 les celtisants qui l’étudieront de plus près.
     Les travaux de ces chercheurs révèlent que ce mystérieux manuscrit se compose de vingt-trois textes différents, groupés en trois ensembles distincts. Il s’agit essentiellement de petits textes de deux ou trois feuillets, à caractère religieux (sermons, recueils de sentences et traités divers, vies de saints), mais on y rencontre également deux textes profanes plus longs :
– le Dindshenchas, recueil de légendes en prose et en vers sur les noms géographiques de l’Irlande compilé vers le 11e siècle et connu à travers une douzaine de manuscrits;
– une traduction irlandaise du Voyage d’outremer de Jean de Mandeville, chevalier d’origine anglaise du milieu du 14e siècle, regroupant des récits décrivant la Terre sainte, l’Égypte et l’Asie. Ce texte a connu un grand succès au Moyen Âge, et a été traduit dans de nombreuses langues, mais cette version en gaélique n’existe que dans deux manuscrits seulement.
     Ces deux textes sont des témoins rares et précieux de l’histoire de la littérature et de la langue irlandaise, et rendent le manuscrit de Rennes particulièrement important aux yeux des philologues. Mais d’autres aspects de ce manuscrit restent encore aujourd’hui inexplorés : comment et où le président de Robien se l’est-il procuré? Pourquoi a-t-il fait appel à un certain Ailbhe O’Hally, Irlandais installé à Nantes en 1755 qui a noté son nom au feuillet 44 verso? Qui étaient Edmund O’Kelly et Tomas Mac Edward, dont on trouve les signatures sur le feuillet 74 verso, accompagnées respectivement des dates de 1599 et 1640? Qui a relié ensemble ces fragments et dans quel but ? Ou tout simplement par qui et pour qui ces textes ont-ils été copiés au 15e siècle?
Le recueil irlandais de Rennes n’a pas encore livré tous ses mystères et certaines clés demandent encore à être déchiffrées.

     Tolga Sezgin est un photographe turc. En février, à l’occasion du festival Travelling, consacré au cinéma turc, il a exposé au Carré d’art du Centre culturel Pôle Sud à Chartres-de-Bretagne, sous le titre « Fragments d’Istanbul », sa production et celle de quatre autres photographes indépendants du collectif Nar Photos. Invité à résider quelques jours à Rennes, il a été accompagné par le groupe de photographes rennais « Il pleut encore ». Il a travaillé à Chartres-de-Bretagne, à Saint-Jacques-de-la-Lande et à Rennes et a été enthousiasmé à l’idée de publier dans Place Publique. Tolga Sezgin a 37 ans, les yeux bleus et le cheveu fou. Il vit sur une petite île proche d’Istanbul où il est né. Il a découvert tardivement la photographie, après des études de chimie. Il s’est formé seul, entamant en 1998 un projet à portée documentaire et sociale sur les enfants des rues. Puis il a suivi pendant trois ans un cours de photojournalisme organisé par World Press Photo. Photographe engagé, il a participé au projet Merhabarev qui groupait des photographes turcs et arméniens puis part en Irak, à la veille de la guerre, en suivant des personnes volontaires pour servir de « boucliers humains ».

« Durant mon séjour à Rennes, j’ai travaillé, dit-il, dans trois lieux différents.
Chartres-de-Bretagne a été ma première rencontre avec la Bretagne. Grâce à mon guide, François, j’ai découvert une ville calme, tranquille, organisée, verte, où enfants et personnes âgées se côtoient. Je crois que je suis de ceux qui apprécient une ville suivant la place qu’elle accorde dans la vie quotidienne aux personnes âgées et aux enfants. Mon ignorance de la langue et l’effort de compréhension qu’il m’a fallu fournir m’ont contraint à suivre certaines situations à distance. Cela transparaît d’ailleurs sur mes photos.
Ma deuxième découverte fut Saint-Jacques-de-la-Lande que j’ai ressentie comme une candidate à être l’un des centres alternatifs que la transformation urbaine a créés autour de la ville-centre. C’est pour moi une nouvelle représentation de la société postmoderne.
Le temps que j’ai passé à Rennes fut très différent. Il était plus facile de me mêler à la foule. C’est là que j’ai réalisé mes prises de vus en plans rapprochés. Au milieu d’une architecture de différentes époques, je me suis parfois cru sur le tournage d’un film. Il est évident qu’en si peu de temps, il est difficile de toucher l’histoire réelle des lieux. Peut-être faut-il lire ces photos comme le regard furtif d’un photographe, voyageur étranger qui traverse la ville. J’espère avoir un jour l’occasion de prendre le temps de fixer davantage mon regard sur votre belle ville »