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Contributions
#14
RÉSUMÉ > À la fois spectacle et exposition autour de l’œuvre d’une artiste disparue (réelle ou imaginaire?), Flavy Kazetten tourne au gré de 200 représentations données essentiellement dans la région. Sans que l’on sache s’il s’agit de réalité ou si tout est inventé. Cette joyeuse production est signée par les Rennais de Théâtre Quidam.

     Suivez le guide ! Vous étiez venu au théâtre et vous vous retrouvez dans une expo. Sur scène, il y a des tableaux, 120 cm sur 120 cm, vous l’apprendrez vite, écoutez donc la guide! Et soyez attentifs, sinon elle fait sombrer sur vous son regard comme un skud et les spectateurs deviennent, par moment, en riant, des acteurs. On est debout, on écoute donc la guide vous présenter avec componction la fluidité de l’œuvre de l’artiste Flavy Kazetten (1920-2004) ou ses ressorts, le symbolique des traits ou la tristesse d’un bidon qui oublie de regarder son plus proche voisin.  

     Par moment votre regard est distrait car ce discours sur l’art provoque son lot de démangeaisons. Pas sur vous, mais sur la guide en question! Elle se gratte la cuisse jusque haut ou le bas du cou jusque bas, elle moule sa crotte de nez, artistiquement sans doute et prenez gare à ne pas être sur son trajet. La guide est une comédienne et vous êtes bien au théâtre!
     C’était le 1er octobre à Melesse dans le cadre des dix ans de Val d’Ille en Scène. Nous sommes ici dans ces confins théâtraux où la scène est partout, immense ou réduite, sans cintre ou avec, adaptée à n’importe quel espace de la cité. Ici un gymnase, une salle des fêtes, là un lycée, un écomusée ou une maison de retraite.
     Il faudra faire avec les néons un peu froid ou les poules qui pépient. Pas grave, le Théâtre Quidam est un animal qui s’adapte, une Compagnie citoyenne. Cette troupe ne fait pas n’importe quoi mais peut aller chez n’importe qui, au domicile éventuellement, y compris pour des veillées funèbres, avec ou sans corbillard devant la porte! Ou en novembre prochain, à l’écomusée de La Bintinais dans le cadre de l’exposition intitulée « Le grand espoir, campagnes 60 ».

     L’architecte du Théâtre Quidam, le concepteur, le collecteur des paroles d’anciens, l’auteur et le metteur en scène ou figurant à son heure, une figure donc, s’appelle Loïc Choneau. Citoyen auteur, dramaturge donc, pas peur des grands mots puisque les siens sont imprégnés des nôtres. En effet, il écoute les gens, relie leurs mots, dans un Ehpad : les mots des gens racontant ou contournant leur terrifiant Alzheimer. Ou bien dans Jours de fêtes à Grand Abattoir, ce sont les mots de ceux qui bossent à pas d’heure, les mains engourdies par l’agroalimentaire! Pour être complet, il faut citer les deux actrices qui disent le Loïc Choneau dans le texte: Chantal Kernéis, ce jour-là, ou Isabelle Séné qui tient le rôle de Flavy Kazetten durant 200 représentations.

     Dans ce jeu théâtral, les spectateurs sont autant citoyens que l’auteur, ils ambulent et déambulent, ils ne sont pas dans un théâtre de rue, ils sont dans la rue du théâtre: celle qui interroge les pouvoirs, dérange les idées reçues ou nous catapulte au coeur des abattoirs industriels qui n’abattent pas que les volailles.
     Quidam inventorie nos rituels et interroge, il court de rue en rue, de fausses conférences en vrai dévernissage! Méfiez vous de ces artistes qui se mêlent de ce qui les regarde. Le théâtre Quidam est de ce genre-là, à questionner l’art (« La folie d’un peintre ne détruit jamais personne ! »), les droits de l’enfant, le féminisme ou l’éthique, pas question de trancher.
     C’est au spectateur de couper sa poire en mille et de revenir écouter chuchoter les mots dans les tuyaux aux fêtes de quartier, freiner les corbillards devant les MJC ou regarder les cimaises que Quidam met en scène autour de Rennes, ou plus loin: à Aurillac, Chalon ou Ouarzazate quand on l’y appelle!