C’est la rencontre improbable d’une ruine nippone et d’une jeune Vannetaise. La ruine surgit de la mer, à une quinzaine de kilomètres du port de Nagasaki, au sud-ouest du Japon. C’est un lieu fantastique battu, dit-on, par les vents, les typhons et les raz-de-marée. Microscopique, l’île Hashima, dite aussi Gunkajima, mesure 480 m de long par 160 m de large. C’est une plate-forme gagnée sur la mer à partir de la fin du 19e siècle pour que la firme Mitsubishi y exploite le charbon et y loge ses mineurs. Pour eux, à côté de l’usine, le patronat érige « une cité d’entreprise composée d’une improbable superposition verticale de bâtiments géomé- triques à tendance brutaliste ».
Dans ces soixante-dix bâtiments d’habitation, de loisirs, d’éducation, s’entassent plus de 5000 habitants, ce qui constitue une sorte de record mondial de la densité humaine (84 000 habitants au km2). Hashima fait figure de laboratoire d’architecture : on y trouve le premier immeuble en béton armé (1916) ainsi que les premiers « toits jardins » du Japon.
Et puis tout s’arrête brutalement. Années 70, le Japon préfère importer son charbon. Mitsubishi ferme l’île en 1974. En trois mois, tous les habitants ont vidé les lieux. Sur Gunkanjima s’installe à jamais le fantomatique silence de la ruine.
Pauline Le Basse, la Vannetaise, n’était pas née à la mort de l’île. Des années passent. Au lycée Saint-Paul, de Vannes, Pauline apprend le japonais. Elle découvre, fascinée, la culture « incroyable » du Pays du soleil levant. Ensuite, raconte-t-elle, « arrivée à l’Ecole d’architecture de Rennes, je me suis prise de passion pour l’architecture japonaise. À cause de son aspect à la fois précurseur, ingénieux et poétique. »
Dès lors, elle ne rate pas une occasion de se rendre sur place. Un jour, un ami lui parle d’une île extraordinaire mais interdite au large de Nagasaki. De retour, elle lit dans la revue Géo qu’après quarante ans d’accostage prohibé, Hashima devient enfin accessible au public. La ville de Nagasaki vient de la racheter à Mistubishi pour exploiter son potentiel touristique.
Février 2010, Pauline prend l’avion et reste un mois sur place. L’éblouissement se confirme. « Je suis tombée sous le charme », raconte-t-elle. Surtout, elle se lie d’amitié avec Monsieur Sakamoto, responsable de l’association de sauvegarde et ancien habitant de l’île. « Il m’a prise sous son aile, m’a permis d’avoir accès à une foule de données et a favorisé des rencontres inoubliables ».
Dès lors, Pauline Le Basse devient une « maniaque » de Gunkanjima. Revenue en France, elle noue des contacts avec d’autres passionnés de l’île. Et quand il s’agit de trouver un sujet de fin d’étude, elle n’hésite pas une seconde. Elle ne planchera pas sur des immeubles ou des stations de métro de Rennes. Non, son travail portera sur « ce bout de territoire extrême » qu’est Gunkanjima.
Son travail? Imaginer un parcours à travers les ruines, parcours qui prolongerait le cheminement très limité que la ville de Nagasaki a commencé à mettre en oeuvre. C’est un projet évolutif dans la mesure où Gunkanjima est destinée à retourner au néant, mais progressivement: la végétation envahissante, l’érosion climatique, la lèpre du temps, vont grignoter la ruine. « Mon projet évolue selon une analyse de la décomposition inévitable du site. Au fil du temps, à certains endroits, certains cheminements deviendront inaccessibles pour des raisons de sécurité. Mon but n’est pas d’interférer avec l’ordre des choses. Mon projet est en symbiose avec l’île. Il essaie d’accompagner le visiteur afin qu’il puisse observer le retour cyclique vers l’état d’origine. »
Les membres du jury du « Prix jeunes talents d’architecture » de la Ville de Rennes disent avoir été « scotchés » par le travail de Pauline Le Basse. Son « observatoire du devenir et de l’écoulement de la ruine, parcours évolutif ponctué de stations », possède une charge poétique et romantique évidente. Projet architectural « impermanent et sensible aux mouvements du temps », il rejoint aussi une sensibilité japonaise très différente de la nôtre. Là-bas, « c’est le vide qui initie un art de la mémoire, et par la vision shinto d’un éternel cycle de la nature, ce qui retourne vers le rien et voué à renaître un jour », rappelle Pauline Le Basse.
Et maintenant? Avec sa mention spéciale et son diplôme d’architecte, Pauline recherche du travail. Mais, comment oublier Gunkanjima? Les contacts avec l’association de sauvegarde restent nourris. Les amis Japonais ont en main les plans, coupes et relevés réalisé en CAO-PAO par la jeune architecte. Pauline aimerait pouvoir aller plus loin et travailler avec eux à la réalisation de son étonnant parcours. Aller jusqu’au bout de ce voyage halluciné à l’intérieur d’une ruine fantastique unique au monde.