de Saint-Jacques-de-la-Lande
En août 2007, un centre de rétention a été ouvert près de Rennes, à Saint-Jacques-de-la-Lande. Il a pour fonction de maintenir les étrangers en situation irrégulière susceptibles d’être reconduits à la frontière. Théoriquement distinct des prisons, c’est bien un lieu privatif de liberté.
Le centre de Rennes peut recevoir 58 personnes adultes mais dispose aussi de 72 places pour des familles, pratique officiellement prévue par un décret du 30 mai 2005 (en 2008, 11 centres y étaient habilités en France). Car, les centres de rétention ont vocation à « accueillir » également des enfants, même très jeunes.
À Rennes, précisément, trois mois après l’ouverture du centre, un jeune couple avait été retenu avec son nourrisson de trois semaines. Il avait été mis fin à cette situation après qu’un juge avait ordonné leur libération en considérant « que placer une famille avec des enfants en bas âge en rétention administrative est constitutif d’un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme ». D’abord, confirmée en appel, cette décision vient très récemment d’être censurée par la Cour de cassation et ce malgré un avis contraire de l’avocat général.
Celui-ci avait notamment écarté les arguments de l’Administration qui justifiait le placement en rétention par le souci d’assurer le maintien de l’unité de famille. Il avait alors rappelé que l’Administration avait toujours le choix de décider du placement en rétention: il n’existe pas d’obligation d’y recourir (sans doute faut-il rappeler que les personnes qui sont ainsi privées de leur liberté n’ont pas commis de crime ou de délit si ce n’est de ne pas avoir une situation administrative régulière) ; ce placement a pour seul but de permettre à l’administration de s’assurer que les personnes en situation irrégulière restent à sa disposition en vue d’une éventuelle reconduite à la frontière. Le centre de Rennes pourra donc retenir à nouveau les enfants en très bas âge, alors même que, comme dans un des cas ayant donné lieu à cette décision de la Cour de cassation, les familles disposeraient d’un logement (l’une d’entre elles avait été arrêtée à son domicile).
Les personnes susceptibles d’être placées en rétention sont des personnes théoriquement en situation irrégulière, mais qui ne l’ont pas nécessairement toujours été.
Une personne mariée, mais qui se sera séparée de son partenaire, pourra par exemple se trouver en situation irrégulière tout comme un étudiant qui a voulu passer à un autre statut mais n’a pas réussi à obtenir ce changement.
C’est ainsi qu’un Malien présent dans la région de Rennes depuis 1999 pour y suivre régulièrement des études, a souhaité, une fois ses diplômes obtenus, prendre le statut de commerçant, mais comme il ne pouvait pas le faire sans retourner d’abord dans son pays pour postuler à ce nouvel état, il s’est retrouvé en situation irrégulière.
Les personnes retenues suivent, pour la plupart, le même chemin. Communément arrêtées au cours d’une vérification de leur situation administrative (mais semble- t-il aussi sur dénonciation…), elles font l’objet d’une décision du préfet de reconduite à la frontière. Elles sont alors placées en rétention pour 48 heures.
Au cours de ces 48 heures, elles doivent saisir le juge administratif si elles entendent contester la décision de reconduite à la frontière qui vient d’être prise. Ce juge vérifiera leur situation personnelle au regard de leur droit au séjour. Ce délai de 48 heures est un délai maximum: si pendant ce temps, elles n’ont pas été en mesure d’introduire leur recours, elles ne pourront plus contester la décision de reconduite. On comprend dès lors l’importance du rôle joué par les organisations qui assistent les étrangers placés dans les centres de rétention pour, non seulement, les informer de leurs droits, mais également les accompagner dans les démarches pour exercer de manière effective ces droits.
Si le Préfet veut garder ces personnes en rétention audelà de ces 48 heures, il doit en demander l’autorisation au juge des libertés et de la détention (qui est un juge judiciaire, différent donc de celui qui aura pu être saisi par l’étranger pour contester sa reconduite). Ce juge des libertés et de la détention va vérifier si la procédure suivie pour l’interpellation des étrangers, éventuellement pour leur placement en garde à vue, a été régulière. Si c’est bien le cas, il va autoriser la prolongation de la rétention pour une période de 15 jours, éventuellement renouvelable une fois (la durée maximale continue de la rétention en France est ainsi très sensiblement inférieure à la durée maximale de 18 mois prévue par les directives européennes en la matière), dans le but de permettre à l’administration de procéder à la reconduite à la frontière ou de laisser le juge administratif se prononcer sur la validité de la décision de reconduite.
Sinon, le juge des libertés et de la détention va remettre les intéressés en liberté. Leur libération, va leur garantir une période de sept jours pendant laquelle ils ne pourront pas être arrêtés à nouveau ; toutefois, ils ne disposent pas, pour autant, de papiers en règle. Ces sept jours sont seulement destinés à leur permettre de quitter le territoire par leurs propres moyens. Après quoi, ils seront à nouveau arrêtés et placés à nouveau en rétention.
Pour certains, dont la reconduite effective est compliquée, par exemple faute de passeport en cours de validité, le cercle arrestation, rétention, libération se répète trois fois, quatre fois… Actuellement, le taux d’éloignement effectif se situe aux environs de 35 %.
Plusieurs organisations interviennent auprès des personnes retenues. Certaines le font de manière totalement spontanée, comme diverses associations oeuvrant pour le soutien aux personnes sans-papiers. Comme il est possible de rendre visite aux personnes retenues, à la seule condition de pouvoir donner leur nom, ces associations organisent, à proximité du centre de rétention de Saint- Jacques, des « parloirs sauvages » pour connaître les identités des personnes isolées et ainsi pouvoir leur rendre visite et leur apporter un soutien minimum.
Un groupe d’avocats s’est également constitué pour assurer la défense des étrangers, et en particulier des personnes retenues, tant devant le juge judiciaire que le juge administratif.
Enfin, la Cimade (Comité intermouvements auprès des évacués) assure une mission d’assistance. Cette association, créée en 1939 pour venir en aide, notamment, aux populations évacuées d’Alsace et de Lorraine s’est occupée dès 1940 des personnes internées dans des camps à Agde, Argelès-sur-Mer, Rivesaltes, Aix-en-Provence, Gurs… (dans ce dernier camp, outre les réfugiés espagnols fuyant la dictature de Franco, furent internés les réfugiés politiques opposants au régime nazi). Elle poursuivra après la guerre son action en faveur des réfugiés, et plus largement des étrangers en situation irrégulière.
Elle a été sollicitée en 1984 pour assister les étrangers placés en centre de rétention. En effet, les centres ont été créés dès 1981, peu après l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République, en réaction à la découverte, à Marseille en 1975, de la prison clandestine d’Arenc, contrôlée par la police, où étaient séquestrés des travailleurs immigrés en instance d’expulsion sur la seule base d’un règlement de police de 1938 autorisant l’internement des étrangers sans-papiers.
Jusqu’en 2009, la Cimade a été la seule association habilitée à se rendre dans les centres de rétention afin d’y assurer la mission d’accompagnement juridique et social des personnes retenues, mission qui lui a été confiée par l’État au titre d’une convention. Cependant, en 2008, le Gouvernement a tenté à la fois d’abolir le monopole de fait de la Cimade, en mettant en place une procédure d’appel d’offres pour assurer cette mission d’accompagnement, de limiter l’étendue même de cette mission à l’information sur leurs droits des personnes retenues et de limiter la liberté de communication de l’association en imposant une obligation de « neutralité et de confidentialité ». Cette contrainte rend extrêmement difficile la poursuite de la publication d’un rapport annuel élaboré par la Cimade sur les centres de rétention.
Une partie de bras de fer a été engagée entre le gouvernement et les associations de défense des droits des étrangers qui ont tenté d’obtenir l’annulation par le Conseil d’État du décret de 2008. Le Conseil d’État a rejeté leur demande d’annulation en considérant qu’il était possible (mais pas obligatoire) de confier, par la voie d’un marché public, les missions d’assistance à des personnes morales différentes pour chaque centre de rétention. Il a toutefois formulé des réserves dans l’interprétation des dispositions du décret.
La réserve principale porte sur le contenu de l’assistance délivrée aux étrangers. Le Conseil d’État a rappelé que la convention passée avec la personne morale sélectionnée devait permettre l’exercice effectif de leurs droits par les étrangers et que la mission confiée par la convention ne pouvait pas se limiter à l’information mais comprenait également l’aide à l’exercice des droits.
La mission confiée par convention doit donc porter non seulement sur l’information mais aussi sur l’accueil et le soutien des étrangers, pour permettre l’exercice effectif de leurs droits. Le Conseil d’État a ajouté que cette convention ne pouvait être conclue qu’avec des personnes morales présentant des garanties d’indépendance et de compétences suffisantes, notamment sur le plan juridique et social, pour assurer le bon accomplissement des missions d’accueil, de soutien et d’information prévues par la loi.
La possibilité pour la Cimade de continuer à publier son rapport annuel est néanmoins incertaine. Les critiques figurant dans ces rapports expliquent probablement le souci d’y mettre fin. En effet, à l’occasion de leur publication annuelle, la Cimade traite non seulement des conditions matérielles de rétention dans les centres mais pointe aussi du doigt, de façon plus générale, les dérives qu’elle est amenée à constater dans l’application du droit des étrangers.
Dans le rapport pour 2008, elle insiste ainsi sur les dérives liées à la « politique du chiffre » du gouvernement, sur le processus de bureaucratisation qui se développe, sur le fait que les hommes, les femmes disparaissent derrière les chiffres et les dossiers.
Pour lutter contre ce processus de déshumanisation et de banalisation, le rapport annuel raconte plusieurs de ces expériences individuelles. Plusieurs concernent des personnes ayant transité par le centre de rétention de Rennes.
« En vacances en France, un couple équatorien et leur fille de deux ans, domiciliés en Belgique, sont placés depuis près d’une semaine au centre de rétention de Saint-Jacques-de-la-Lande, après avoir été arrêtés à Cherbourg. Pourtant, leurs papiers belges sont en règle et leur fille est de nationalité belge, selon la Cimade. « Nous avons été traités comme des criminels », s’indigne Suntaxi Diaz, contactée par téléphone par l’AFP.
Les policiers ont constaté que « nous n’avions pas les papiers de notre fille et que nous ne pouvions pas prouver que nous étions sur le territoire français depuis moins de trois mois (Ndlr : du fait de l’absence de contrôle aux frontières dans le cadre de l’espace Schengen). Ils nous ont donc conduits au commissariat pour des vérifications », raconte Mme Diaz. « Dès vendredi soir, les autorités belges avaient confirmé que la fillette était de nationalité belge et que les documents du couple étaient en règle. On aurait pu leur dire de rentrer chez eux », a expliqué à l’AFP Damien Nantes, représentant de la Cimade. Avant d’ajouter que le préfet de la Manche avait tout de même pris un arrêté de reconduite à la frontière et que la famille avait été placée en rétention administrative à Cherbourg, puis transférée au Centre de rétention de Rennes.
« On a été traités comme des assassins, pris en photo et fouillés », explique Suntaxi Diaz. «Mon mari a dû se dévêtir et ils m’ont également demandé de le faire ». Le cauchemar devrait toutefois se terminer pour la famille, avec une reconduite à la frontière belge. Mais sans son véhicule: « On nous a dit que nous devrons demander un visa pour revenir le chercher ». Pour Damien Nantes, c’est « une situation dramatique et absurde », dans un « contexte de fixation d’objectifs d’expulsions dans chaque préfecture ».
Mlle O., épouse C., en France depuis quatre ans, entretient une relation amoureuse avec un jeune français, M. C. devenu officiellement son conjoint le 20 janvier 2007 et avec lequel elle vit depuis près de quatre ans. Mlle O., à l’issue de la procédure d’asile qu’elle avait introduite à son arrivée en France en 2004 et dont elle a été déboutée en janvier 2007, fait alors l’objet d’une obligation de quitter le territoire français prise à son encontre par la préfecture de Seine-Saint-Denis le 13 mars 2007. Cependant, ayant changé de statut par son union avec M. C. en janvier 2007, elle décide de faire un recours gracieux auprès des services préfectoraux. En effet, leur décision ne faisait nullement mention de sa vie privée et familiale, ni de son statut de jeune femme mariée. Elle entendait de la sorte informer les services préfectoraux de son changement de situation, afin qu’ils en tirent toutes les conséquences et lui attribuent un titre de séjour en tant que conjointe de français. Ne saisissant pas la différence capitale entre les recours gracieux et les recours contentieux, elle n’a pas su contester la décision de la préfecture par la voie contentieuse qui lui garantissait l’issue la plus sûre, c’est-à-dire une réponse juridique. En agissant de la sorte, elle a laissé le délai de recours venir à son terme.
Presque un an après que la décision de la préfecture de Seine-Saint-Denis et plus de 13 mois après la célébration de leur mariage, Mlle O., épouse C., décide de rendre visite à l’une de ses amies habitant la région rennaise, même si elle se sait en danger en raison de sa situation administrative non réglée. Arrivée à la gare de Rennes, elle est interpellée, puis placée en rétention le 4 mars 2008, sur la base de la décision de la préfecture du 13 mars 2007. Son époux, apprenant la nouvelle, est très ébranlé et se rend immédiatement à Rennes. Il lui rend visite au Centre de rétention ; nous le rencontrons à plusieurs reprises en larmes, il ne comprend pas que sa femme soit enfermée et en instance d’expulsion. Il fonde beaucoup d’espoirs sur le passage devant le juge des libertés et de la détention auquel il assiste, complètement désemparé et désespéré. À l’annonce du délibéré prolongeant la rétention de sa femme, il tente de se donner la mort en se défenestrant depuis le bureau du juge au 6e étage de la cité judiciaire. Il est alors hospitalisé, mais continue de ne pas accepter la menace de séparation pesant sur son couple, ne supportant pas d’envisager l’éloignement de sa femme avec laquelle il vit depuis près de quatre ans et qu’il a épousé il y a 14 mois. Mme C. sera finalement libérée par le juge grâce à son avocat qui fait remarquer que l’obligation de quitter le territoire datait de plus d’un an (le placement en rétention n’est possible que sur la base d’une mesure d’éloignement édictée il y a moins d’un an). »
Aux portes de Rennes, au centre de rétention de Saint- Jacques-de-la-Lande, ce sont bien des hommes et des femmes qui sont privés de leur liberté. Michel Rocard, dans un discours prononcé lors du 70e anniversaire de la Cimade, le 26 septembre 2009 à Strasbourg, a rappelé que sa phrase communément reprise selon laquelle « la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde » comportait un corollaire systématiquement occulté: « La France et l’Europe peuvent et doivent accueillir toute la part qui leur revient ». La proximité du centre de rétention de Rennes ne peut qu’inciter à méditer cette injonction faite à tous.