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Dossier
#36
Le chantier naval solidaire des amis
de Georges
RÉSUMÉ >  Pari tenu pour l’association « La péniche de Saint-Malo » : permettre aux personnes fragilisées en insertion ou réinsertion de participer à la construction d’une péniche contemporaine à propulsion électrique, d’inspiration traditionnelle. Le chantier, débuté en 2013, s’achèvera au printemps 2016. Cette barge à voiles pourra naviguer en eau douce comme en mer avec tous ceux qui ont retroussé leurs manches. L’illustration concrète et solidaire d’une longue tradition maritime dans la baie de Saint-Malo.

     Gabriel est éducateur à l’institut médico-éducatif, l’IME La Passagère. À ses côtés, Brandon, Allan et Kevin, trois jeunes avec lesquels il a retroussé les manches. « Nous désherbons l’entrée du chantier pour le rendre accueillant », annonce fièrement Brandon. Comme ses camarades, il a revêtu la combinaison blanche des peintres. Kevin explique : « J’ai hâte de venir sur le bateau. Le chantier me plaît bien, même si le ponçage était difficile à faire ! ». Sur le chantier de la péniche de Saint-Malo, Gabriel conduit deux autres jeunes le mardi ou le jeudi. « Ces derniers participent en autonomie. C’est une façon pour nous de vérifier leur capacité à travailler, mais aussi de se sociabiliser avec les retraités qui encadrent le chantier. Cela leur permet de se familiariser avec des consignes de sécurité et des tâches précises à accomplir, transmises par leurs aînés ». Une forme de transmission intergénérationnelle qui a motivé Yvon, ancien marin sur navire hauturier. Partie prenante de ce projet de chantier naval solidaire, le chef mécanicien veille au grain  : «  Rencontrer des gens en insertion m’apporte beaucoup. C’est passionnant »  

     En mars 2013, démarrait la construction de la péniche malouine. Elle sera mise à l’eau le 5 mars 2016, baptisée le 28 mars 2016. Le calendrier est arrêté ! Yvonnick sera de la fête. Bénévole, il est aussi l’un des dix coproprié- taires du navire, qui ont permis le lancement du projet. « Chacun de nous a contribué à hauteur de 12 000 euros. L’association est aussi propriétaire de dix parts ». En contrepartie, Yvonnick a obtenu le précieux sésame, celui de naviguer : « Nous nous répartirons les dix-sept semaines navigables annuelles entre les copropriétaires, les bénévoles et les associations partenaires ».C’est grâce à ses amis du Secours catholique malouin que ce militant a embarqué dans l’aventure : « Un rêve auquel j’ai tout de suite adhéré. J’ai souhaité faire ce pari de la solidarité et de l’amitié, en travaillant avec des jeunes en décrochage scolaire ou en difficulté, des jeunes de l’IME, des SDF, des personnes condamnées à des travaux d’intérêt général… ». L’association est agréée par le ministère de la Justice pour l’accueil des TIG.

     Dans le hangar «  loué à prix d’ami  », les petites mains s’affairent autour de la silhouette tout juste blanchie de la péniche, en attente d’une peinture de finition bleu marine. Concentrée sur sa tache, Élodie en tenue de peintre passe le pinceau sur des pièces de bois. C’est une amie qui lui a parlé du chantier. Depuis deux mois, elle donne un coup de main. « Je suis le plus petit gabarit du groupe et c’est moi qui me glisse dans les trous de souris. J’ai poncé et peint le local des gaines techniques. J’avais l’impression de me glisser sous un capot de voiture. Les métiers manuels, c’est vraiment physique ! ». À ses côtés, un autre bénévole, Julien, participe au chantier depuis une semaine. Ce Toulousain est à la recherche d’un emploi. En attendant, l’association d’action sociale Le Goéland lui a proposé de faire œuvre utile : « Je viens tous les après-midi et j’aime bien. » Il a aussi une motivation supplémentaire : « Pour moi qui pêche, cela m’arrange de pouvoir monter à bord ! » Avant le réconfort, l’effort : « Dans ce genre de travail, il faut être précis, ce n’est pas du n’importe quoi ! Je suis maçon et en maçonnerie, on peut toujours rattraper une erreur. Ici, elle peut être fatale pour le projet… » Julien étale une couche de vernis sur les étagères de l’habitacle, sous l’œil attentif de Georges : « Fais attention de bien suivre le fil du bois ».  

      Georges Frinault est «  le patron  ». Président de l’association, il est à l’origine de ce projet original. « En vingt-six mois, nous avons vu passer soixante-quinze personnes. C’est le bouche-à-oreille qui fonctionne. Ce sont les associations sociales qui nous contactent et nous envoient des bénévoles. Notre seule demande  : qu’ils soient manuels et respectueux ! » Dans ce chantier, Georges s’engage corps et âme : « Cela prend plus que tout mon temps ! » Il avoue pourtant avoir réduit la voilure, marqué par la disparition prématurée d’un ami très engagé : « Étienne était mon adjoint direct, il se chargeait de toutes les commandes. Il en a passé plus de deux cents. Il est parti… ». Si le chantier a pris un peu de retard, le noyau dur des cinq chefs d’équipe et de la vingtaine de fidèles bénévoles n’a pas baissé les bras pour soutenir le projet « un peu fou » de leur copain. Jacques, Jean-Pierre ou Yvon ont avoué récemment à Georges être venus pour lui, par amitié, au départ sans vraiment croire à l’aboutissement de ce projet. Ils ont fini par se laisser prendre au jeu.

     «  J’ai eu la chance d’être en préretraite à l’âge de 57 ans. Je travaillais dans la construction navale, la production de bateaux de 30 à 100 mètres. » Il y a huit ans, avec un copain, Georges s’est lancé dans la construction d’un premier bateau bois-epoxy. « Il nous a fallu apprendre le métier du contreplaqué ». Le bateau sorti de cale, le militant associatif, bénévole au Samu social et au Secours Catholique, nourrit un autre désir : « Je voulais ouvrir un chantier naval solidaire. Il y a quatre ans et demi, j’ai embarqué cinq ou six copains dans l’aventure. Nous avons travaillé deux ans sur le papier. » L’idée  : construire une péniche capable de naviguer en mer pour rejoindre les canaux. Avec l’ingénieur et architecte naval nazairien Frédéric Neuman, l’équipée embarque pour tester différents modèles de péniche. Un constat  : «  Elles étaient toutes très bruyantes. Nous avons donc choisi un concept ultramoderne de propulsion électrique, pour pouvoir naviguer tout en continuant la discussion avec nos amis ». La péniche fonctionnera à l’énergie solaire. À bord : une batterie lithium dernière génération de 750  kg, garantit deux jours d’autonomie électrique. « Notre fournisseur nous a soutenus en finançant 30 % de son coût ».  

     Le principe de la solidarité prôné par Georges sur le chantier se conjugue du côté des mécènes, entreprises ou associations partenaires. «  Le Secours catholique nous a fourni le tissu pour aménager l’intérieur. On nous a offert le double-vitrage, le chauffe-eau et toute l’électronique de navigation ». L’association souhaite obtenir un dernier coup de pouce : « Nous aimerions trouver un généreux donateur pour les voiles ! » Et pas n’importe lesquelles : des voiles au tiers sur des mâts rabattables, communes aux barges ou gabarres de Rance. Un modèle dont s’est inspiré l’architecte naval pour concevoir ce bateau écologique et innovant. «  Nous avons reçu tous les composants parfaitement numérotés avec des chiffres et de lettres. Un vrai jeu de mécano à monter ! Le travail était mâché avec une précision extrême dans la découpe des pièces », souligne Georges.

     Pour permettre la navigation en mer, il a fallu construire une coque de bateau arrondie, retournée après fabrication. Celle-ci sera dotée d’une quille axiale et de deux ailerons latéraux à l’arrière qui facilitent l’échouage. Cette péniche électrique à voile pourra à la fois naviguer sur les eaux fluviales et rejoindre les fleuves, par les estuaires en mer : « L’objectif est de nous rendre jusqu’au beau Danube bleu. Nous commencerons par la Vilaine, puis la Garonne… ». Georges n’a plus qu’un souhait : « pouvoir naviguer avec toutes les personnes qui se sont tant accrochées dans la construction… ».

     Le chantier n’est pas encore achevé que le président envisage une nouvelle escale : « Je ne construirais plus de bateau, car je prends un an supplémentaire tous les ans. Nous avons envie d’ouvrir un jardin solidaire. Il sera situé près de Paramé et pourra nourrir 120 personnes. Un projet que nous devrions lancer en 2016, cette fois-ci en direction des sans domicile fixe ». Le petit vent de solidarité des amis de Georges n’a pas fini de souffler…