La villégiature anglaise sur la côte bretonne proche de Saint-Malo débute à partir des années 1830. Elle a été initiée par la présence de colons britanniques à Avranches et à Dinan, sur les bords de la Rance. La culture anglaise bercée par le Romantisme et la diffusion des pensées thérapeutiques du littoral, motivent des Anglais à s’installer sur la rive gauche de la Rance, en face de la cité corsaire. Le petit hameau de pêcheurs loin de son bourg, Saint-Enogat, se mue en lieu de villégiature. En un demi-siècle, Dinard devient une station prisée où l’English touch crée un univers balnéaire original. Season après season, la colonie britannique importe dans ses bagages de nouvelles pratiques qui sont rapidement adoptées par l’élite française, motivée par son anglomanie. La villégiature anglaise sur la Côte d’Émeraude réinvente les usages du temps libre.
Il est loin le temps où les Anglais, lors d’une brève incursion à Saint-Briac, incendiaient en septembre 1758 le village de Saint-Alexandre à Dinard.
Si l’on se réfère à la plaque commémorative apposée sur le bloc rocheux de l’esplanade de l’Écluse, l’installation du premier britannique à Dinard remonte à 1836. L’histoire du settlement anglais à la pointe du Moulinet, autour de l’église anglicane Saint Barholomey de Dinard est celle de la colonisation d’un territoire. Cette colonisation est issue d’un transfert de plusieurs membres des communautés de Dinan, Avranches (d’où vient la haute aristocratie anglaise) et de Pau (d’où viennent les anciens officiers de l’Armée des Indes).
La France attire alors de nombreux retraités anglais des armées coloniales qui profitent d’un pouvoir d’achat supérieur leur permettant de continuer de mener leur train de vie colonial. Outre les retraités des Armées des Indes et d’Égypte, les bords de la Manche accueillent d’anciens prisonniers anglais des guerres maritimes napoléoniennes. Un consul, chargé de défendre leurs intérêts, a été nommé à Saint-Malo à la Restauration, à la fin des années 1810. À partir des années 1830, les Anglais implantés localement prennent l’habitude de rendre visite à leurs consuls Alpyn Thomson, puis John Seldwich. Robert Monteith, qui a antérieurement habité le château de Montmarin, est le troisième consul : il occupe le Prieuré des Trinitaires le 10 mai 1850. Situé au cœur de l’hémicycle de la grève, encadré par la lande et la forêt de la pointe de la Vicomté, le lieu est grandiose face aux remparts de Saint-Malo. Ces consuls sont les « découvreurs du lieu ». La famille Monteith invite la famille Faber, membre de la gentry de Dinan, qui est immédiatement séduite par le lieu et décide de s’installer. Devenue veuve, Mrs Lyona Faber devient « l’inventeur du lieu » en vantant à son tour les bienfaits de la situation du hameau et vendant à ses amis des villas qu’elle fait construire : elle devient le premier promoteur immobilier de Dinard. L’attractivité de Dinard est alors grandissante.
Le Dinard britannique se développe à partir des lieux les plus propices au développement de leur romantisme. Les emplacements les plus prisés de la colonie sont des sites pouvant apporter la meilleure combinaison entre la topographie pittoresque, la sublime nature et la réminiscence historique. La pointe du Moulinet est le lieu d’implantation idéal des premiers Anglais et donc l’épicentre du développement d’un quartier anglais. 45 villas y seront construites et habitées par des étrangers : l’amé- ricain James Erhart Coppinger, propriétaire d’un terrain à la pointe du Moulinet édifie en 1858 la première villa de Dinard, le Château du Bec de la vallée. Lyona Faber fait construire la villa Sainte-Catherine en 1860 et une villa, rachetée plus tard à la famille Palmer par le colonel anglais Hamilton, qui la rebaptisera du fameux nom : la villa Bric-à-Brac après s’être exclamé : « Oh my God, quel bric-à-brac ! ». L’implantation des Anglais à Dinard est à comprendre avec leur éducation, leurs goûts et leur imaginaire. La station balnéaire est née de la réussite de la transposition de la culture anglaise dans ce coin de Bretagne avec une nouvelle devise Dinard for ever !
Très tôt, la station acquiert une renommée et attire une clientèle aristocratique. En 1866, le duc d’Audiffret Pasquier fait construire son château de la Malouine sur les falaises de la plage de l’Écluse. Entre 1875 et 1885, Dinard se développe et de nombreux investisseurs s’implantent, dont le comte Rochaïd Dahdah, d’origine libanaise, qui arrive à Dinard en 1873. Ce personnage étonnant va jouer un rôle déterminant dans le développement de la ville. Il est le descendant d’une très vieille famille française établie au Liban depuis les Croisades. Naturalisé Français en 1862, son frère, archevêque de Damas, est porté en haute estime par le pape Pie IX. Avec sa fortune personnelle, il acquiert en quelques mois plusieurs centaines de terrains ou de biens immobiliers qu’il revend pour accroître son capital. À l’époque, il bénéficie de la moitié des transactions effectuées sur la place de Dinard.
Promoteur, il bâtit de nombreuses maisons modestes à l’usage du personnel de service des riches étrangers locaux (les maisons ouvrières de la rue de Barbine…). On lui doit la percée de nombreuses rues du centre-ville, la construction de la halle des Aulnaies, aujourd’hui détruite, et l’initiative de projets audacieux tels que l’ouverture de la ligne de chemin de fer Dinan-Dinard qui sera inaugurée en 1887, ainsi que la trouée de la porte d’Émeraude qui sera réalisée plus tard par ses fils en 1913. Il fait tracer des routes, bâtir un marché couvert, un lavoir public (au clos de la Fontaine) et se rend également acquéreur de la Compagnie du Bac.
Bien que parfois controversé, le comte s’intègre à la société dinardaise et se fait construire la villa Les DeuxRives où il organise de somptueuses réceptions et mène grand train. Il meurt à Paris en mai 1889 et sa veuve, aux Deux-Rives en février 1900. Leurs trois fils, Joseph, Paul et Alphonse (mort prématurément), gèrent l’acquis familial et participent activement à la vie mondaine.
Tous les Dinardais de la Belle-Époque se souviennent du passage quotidien du somptueux attelage armorié du comte Rochaïd Dahdah que caricaturera Givré.
Sylla Laraque a 25 ans lorsqu’il débarque en France en 1880 ; il fuit Haïti pour des raisons politiques et tient sa fortune d’un riche planteur qui l’a embauché très jeune. D’après le Crédit Lyonnais, c’est la troisième fortune de France. Résidant à Neuilly à la villa Borghèse, il achète le château de Monchy-Humières dans l’Oise, puis jette son dévolu sur Saint-Lunaire en 1886 en rachetant la Société des Terrains de Saint-Lunaire, en faillite. Il devient propriétaire du Grand Hôtel de la Plage qu’il transforme en hôtel de luxe (qui reçoit plus de 70% de clients étrangers) et acquiert les terrains alentour : c’est la Mare aux canards qu’il aménage en terrains de tennis. Il donne ainsi naissance à une nouvelle station balnéaire.
Dans son grand projet d’urbanisation, Sylla Laraque répond dans le moindre détail aux exigences de sa clientèle mondaine, composée d’hommes d’affaires, de bourgeois aisés et d’hommes de lettres. En 1906, il érige la digue-promenade de la plage, annexe un Casino et une salle de spectacle au Grand Hôtel et réalise en 1907 la construction de 12 courts de tennis qui voient passer 12 fois par jour en 1909 le petit train, ce « tortillard », fumant et pétaradant, hantise de Sylla Laraque qui veut le supprimer. Sur la pointe du Décollé, il possède 6 villas. Marié 4 fois, sans compter maîtresses et concubines, Sylla Laraque meurt en août 1924, laissant à ses veuves et à ses 14 enfants un immense héritage qu’ils s’arracheront pendant près de 30 ans…
À la Belle Époque, la Côte d’Émeraude devient le havre de prédilection des Cours royales, britannique avec les rois d’Angleterre Édouard VII et George V, belge avec Léopold et Albert 1er, espagnole avec l’Infante d’Espagne, et impériales européennes avec Guillaume II. En août 1891, le Prince Mickaîlovitch, fils du grandDuc Michel de Russie, oncle du Tsar, n’avait-il pas loué pendant un mois le premier étage de « l’Hôtel des Terrasses » qui domine la plage de l’Écluse de Dinard ? La notoriété balnéaire de la côte dinardaise attire le gotha mondain avant et après la Grande Guerre. Pas étonnant que la famille impériale de Russie pose ses valises à Saint-Briac, lieu de villégiature idéalement discret pour des exilés.
Après la Révolution de 1917, le Grand-Duc Kyrill, cousin du tsar Nicolas II, et son épouse Victoria-Melita, petitefille de la reine Victoria, traversent l’Europe avec leurs trois enfants Maria, Kyra et Wladimir : après trois années difficiles en Finlande et un passage par la Suisse et la Riviera française, la famille impériale tombe sous le charme de Saint-Briac à l’été 1921. En 1924, ils acquièrent une maison « modeste », rebaptisée Ker Argonid, « Victoire » en breton. « Nos meilleurs souvenirs sont attachés à cette demeure », précisera la princesse Kyra en avril 1938, quelques jours avant son mariage avec le fils du Kronpriz. Wladimir, né en 1917 en Finlande, orphelin de ses parents à 21 ans et marié à Léonida en 1948, continue de passer la saison estivale à Saint-Briac et sur la Côte d’Émeraude. Maria, fille de Wladimir, née en 1953, est mariée civilement à l’Hôtel de Ville de Dinard par le maire-ministre Yvon Bourges le 4 septembre 1976. Divorcée en 1985, elle s’installe chez ses parents à Ker Argonid et inscrit en 1981 son fils Georges à l’école Sainte-Anne de Saint-Briac. Quatre générations de la famille impériale russe ont ainsi vécu sur le sol briacin pendant plus de 80 ans. Une grande exposition Romanov retrace en cet été 2015 cette saga familiale au Couvent de la Sagesse à Saint-Briac.