<
>
Dossier
#23
« Le débat s’est accru
ces dernières années »
RÉSUMÉ > Sociologue, membre du collectif rennais de chercheurs en sciences humaines et sociales Topik, Angélina Etiemble a réalisé en 2002 la première étude de fond sur les mineurs isolés étrangers en France. Elle a récemment publié « Mineurs isolés étrangers à la rue, comment les protéger ? » (Éditions de la rue d’Ulm, Paris, 2010).

PLACE PUBLIQUE > Pourquoi la prise en charge des mineurs isolés étrangers (MIE) fait-elle autant polémique? Est-ce parce qu’ils sont à la fois mineurs et étrangers?
 

ANGELINA ETIEMBLE > Ce débat s’est accru ces dernières années car il y a davantage de MIE accueillis dans un nombre croissant de départements. La question de fond, c’est de savoir si ces jeunes sont d’abord des enfants en danger. Dans ce cas, les Départements doivent les prendre en charge. Mais ceux-ci pointent le fait que ces adolescents sont aussi des étrangers, et donc que l’État a un rôle à jouer. Aujourd’hui, ces deux parties sont proches d’un consensus sur la phase de primo-accueil. Elles conviennent que tant que la minorité d’un jeune n’est pas avérée, il est aussi un étranger. Pour cette raison, l’État est aujourd’hui plus ouvert à l’idée de financer ce premier accueil.  

PLACE PUBLIQUE > L’idée revient souvent que face à des structures d’accueil saturées, ces mineurs sont moins prioritaires que des enfants français.

ANGELINA ETIEMBLE > Cette interrogation existait déjà il y a 10 ans, avec un discours estimant que les MIE satureraient les dispositifs d’urgence et prendraient la place d’enfants maltraités. Je pense que c’est la raison pour laquelle on est allé vers des dispositifs spécifiques pour l’accueil d’urgence. Plusieurs départements comme l’Illeet- Vilaine ont dédié des places d’hébergement aux MIE via des familles d’accueil ou des associations. Mais la vraie question, c’est celle du financement. L’aspect financier explique qu’on s’interroge sur la pertinence de ces jeunes dans des dispositifs déjà saturés avant même leur arrivée. C’est pourquoi on a aussi très vite ce discours qui dit : « Beaucoup sont de faux mineurs ».

PLACE PUBLIQUE > Pourquoi se développe cette opinion du « faux mineur »?

ANGELINA ETIEMBLE > L’idée s’est répandue que certains majeurs tenteraient leur chance dans les dispositifs pour mineurs car ils n’auraient pas trouvé de solutions ailleurs. J’avais observé à Paris il y a 10 ans que le test osseux, systématique, était en quelque sorte utilisé pour trier la population face à des dispositifs saturés. On remarque que lorsqu’un discours du type « on en a trop, on ne peut pas tous les accueillir » s’impose, l’examen osseux se systématise. En Ille-et-Vilaine, ce test a toujours été pratiqué. Quand il y avait encore peu de MIE, le département prenait position contre ces examens. Aujourd’hui, on n’est plus dans ce discours.

PLACE PUBLIQUE > Mais ces « faux mineurs » sont-ils une réalité?

ANGELINA ETIEMBLE > Il est très difficile de répondre à cette question! Il existe en sociologie la « prophétie autocréatrice ». Certains diront ainsi qu’il y a des faux demandeurs d’asile puisque 80 % sont déboutés de leur demande. De la même manière, quand 75 % des jeunes sont considérés comme majeurs à l’issue d’un examen osseux, cela peut conforter l’idée que ce sont de faux mineurs. En dehors de ces observations à prendre avec circonspection, ça ne veut pas dire qu’il n’y a jamais de faux mineurs, certains tentent leur chance bien sûr. Mais en faire une généralité ce n’est pas possible. On peut faire un parallèle entre la construction de l’image du faux mineur et celle du faux réfugié dans les années 80. Là aussi c’est un discours qui avait pris corps quand on a eu l’impression d’une saturation.