Réunir autour d’une même table des étudiants et des professionnels confirmés permet de mixer innovation et expérience. Et c’est une méthode de plus en plus fréquente, tant elle produit de belles rencontres. Rennes a pris ce virage avec la création, début 2012, de l’Institut d’aménagement et d’urbanisme de Rennes (IAUR) qui fédère dans un groupement scientifique commun les formations dispensées dans ce domaine par les établissements d’enseignement supérieur1. En cohérence avec cette assise universitaire, l’IAUR remplit plusieurs missions : recherche et formation en premier lieu, mais aussi, et c’est plus original, expertise sur des terrains d’expérimentation de l’agglomération rennaise. Ce qui permet à de nombreux étudiants de se former en réfléchissant directement sur de multiples projets, de l’échelle du bâtiment jusqu’à celle du territoire du Pays de Rennes. Les architectes, les urbanistes et les fonctionnaires des collectivités territoriales du bassin rennais2, déjà accoutumés à accueillir des étudiants en stage ou à les solliciter pour mener des études les rencontrent aussi, dorénavant, à travers un atelier annuel3 de réflexion. En 2012, une première expérience a pris la forme d’un concours d’idées sur le réaménagement d’une avenue du quartier du Blosne et cet évènement a démontré son caractère mobilisateur et fédérateur. En 2013, l’exercice a proposé de « (re) découvrir et imaginer la Vilaine », artère structurante de l’urbanisation rennaise et de tout le sud du territoire communautaire.
Cet atelier, organisé du 5 au 10 novembre, a mobilisé près de cent jeunes auxquels des professionnels et des élus sont venus présenter les enjeux du vaste chantier de réflexion que constitue la Vilaine, à la fois pour le projet de l’agglomération et pour sa déclinaison au niveau de la ville de Rennes. Les étudiants ont été répartis en neuf équipes pluridisciplinaires : élèves architectes, urbanistes, géographes, politistes, ingénieurs, ainsi que quelques jeunes venus des disciplines artistiques. Ils ont été accueillis dans la nouvelle salle du quartier Clémenceau, de grande envergure et offrant la possibilité matérielle de fonctionner en continu. Ces très bonnes conditions visaient à développer une dynamique de groupe et à créer les conditions de l’effervescence propre aux idées nouvelles. Il était en effet demandé à ces jeunes de questionner tous les domaines de l’urbanisme et de l’aménagement : centre-ville et périphéries, équilibre entre espaces urbains et agro-naturels, trame verte et bleue du noyau rennais, pratiques et usages autour de l’eau dans la ville…
Une contrainte était imposée à chacun des neuf groupes, celle de procéder à la réalisation d’une maquette en plan relief, mettant en lumière une approche sensible du site à analyser. Les étudiants ont dû à la fois établir un diagnostic de site, élaborer un projet d’aménagement et réaliser une maquette peu banale, suggérant par sa forme matérielle les éléments sensibles de l’analyse. Pour avancer, le partenariat avec l’Université foraine4 de Patrick Bouchain fut un atout précieux. Chargée par Rennes Métropole de proposer des formes d’occupation permanentes du bâtiment Pasteur – l’ancienne faculté dentaire quai Dujardin – et du moulin d’Apigné, c’est l’université foraine qui a orienté l’atelier vers l’expression d’une ville « sensible ». C’était là beaucoup de compétences à unir !
De plus, au cours de l’atelier, il a fallu que les étudiants s’approprient très vite les données historiques. En effet, sur la longue durée, le rapport des Rennais à leurs cours d’eau se signale par la phobie des inondations et la volonté constante de maîtriser les divagations de l’Ille et de la Vilaine. Elles ont donc été progressivement entravées par la disparition des ports et des grèves, la construction de quais élevés, dont une partie a même été couverte en centre-ville. La confluence naturelle, très basse et inondable, a été supplantée par la confluence artificielle et l’écluse du pont de la Mission. Sous le titre « Rennes-sur-Vilaine », le n°12 de Place Publique Rennes a d’ailleurs consacré son dossier à ce thème5.
Mais l’enjeu sur lequel leurs idées étaient attendues était celui de l’avenir : une fois procédé à l’inventaire et au diagnostic de la partie de territoire qu’ils découvraient, les groupes devaient imaginer l’axe de la Vilaine au-delà des formes urbaines qui le ponctuent, en repérant la diversité des usages humains, la présence de la faune et de la flore, les chemins, les interstices, les délaissés…Et enfin y projeter leurs rêves de réoccupation de l’espace pour parvenir au dessin d’une ville sensible, transcrit dans la matérialité de la maquette.
L’axe de la Vilaine a été découpé en trois grandes séquences : une partie urbaine – dans laquelle se situe le bâtiment Pasteur – du vélodrome au pont de la Mission ; une partie intermédiaire, entre ce dernier et la rocade ; enfin une troisième séquence, jusqu’à Apigné. Trois maquettes ont été réalisées sur chacune des séquences. Un important travail de réflexion a été effectué sur les titres des maquettes et sur les textes qui expliquaient les propositions. Quelles idées fortes s’en dégagent ?
Au centre-ville, du vélodrome au pont de la Mission, c’est le rétablissement du contact avec le fleuve qui s’impose dans les trois propositions.
« La Vilaine au fil des sens » : les paysages ne sont pas seulement faits pour être vus : c’est pourquoi le projet parcourt les berges en mobilisant les cinq sens. Il propose par exemple d’actionner des fontaines et des emmarchements devant le bâtiment Pasteur pour entendre l’eau qui court. Il introduit aussi l’idée de passerelles inondables pour ressentir les variations du niveau du fleuve le long des quais. « Tempo-Rennes » : la construction de berges flottantes y permet promenade et contemplation qui dilatent le temps passé le long de la Vilaine. La suppression de la dalle construite à l’ouest y est aussi envisagée.
« Les pulsations de la ville » : Cette maquette introduit le son urbain et utilise des plots lumineux pour signaler les points d’arrêt. Elle suggère de pouvoir descendre au niveau de la Vilaine pour la traverser et de recréer un échouage vers la rue Saint-Hélier. Une dimension artistique s’y ajoute avec la création de gradins descendant vers le fleuve peints des couleurs utilisées par le peintre Mondrian et situés au niveau de la fontaine proche du bâtiment Pasteur.
Point commun à ces maquettes : le bâtiment Pasteur fait figure de lieu de référence. Sa monumentalité borne la limite Est de l’hyper-centre, établie désormais à l’Ouest par l’immeuble dessiné par Jean Nouvel. Sur cet axe Est- Ouest, entre le quai réservé aux transports en commun et celui dédié aux voitures, la Vilaine devient un espace de déambulation destiné aux piétons, rapprochés de l’eau et protégés des nuisances des circulations motorisées.
C’est ce que nous réserve l’itinéraire sur la partie intermédiaire, du pont de la Mission à la rocade.
« Vilaine en jouet/Vilaine enjouée » : dans ce projet, comme l’indique le titre, les berges de Vilaine sortent de leur morosité pour devenir terrain de jeux, comme pour se sentir en vacances dans la ville. La maquette elle-même est scène théâtrale, dont le décor change au fur et à mesure du dévoilement des propositions d’animation et de loisirs.
« RivesRennes » : la surélévation de la Vilaine sur cette maquette lui donne un relief qui montre combien la déambulation peut être riche, avec plusieurs passerelles entre les berges, certaines plus ludiques -pont de singe- et d’autres plus adaptées aux difficultés de mobilités. Des projets artistiques peuvent s’établir sur les terrains utilisés ponctuellement, comme les parkings du stade rennais. L’évolution du paysage se repère à celle du mobilier urbain, dessiné de plus en plus « naturel » au fur et à mesure que l’on s’éloigne du centre de Rennes.
« Iles-sur-Vilaine » : cette réflexion redécouvre le cours sinueux de l’Ille dans le quartier du Bourg l’évêque, entre la confluence canalisée au pont de la Mission et la confluence naturelle, appelée à (re)devenir un port pour des radeaux. Les inondations ne sont pas oubliées mais réintroduites de façon symbolique, comme si le lit de la Vilaine réorganisait la ville. Cette maquette est très conceptuelle, faite d’un socle de plâtre signifiant l’enracinement au sol et d’un mobile aérien et coloré pour présenter des propositions légères et souples.
Ces trois projets insistent sur la difficulté de passer d’une rive à l’autre et ils introduisent déjà une dimension ludique et de loisirs qui va s’épanouir plus nettement dans les projets de la troisième séquence.
« Des bois qui s’ignorent aux branches en accord » : cette maquette originale repère une barrière très étanche entre les deux berges, signifiée très fortement par deux fronts ; métallique et très dense sur la rive nord (la zone industrielle), boisé et bocager sur la rive sud. Pour atténuer la confroninitiatives urbaines tation, on imagine un bateau-bus joignant une rive à l’autre, avec des gares fluviales pour ancrer le contact.
« PaUsages » : ce projet se concentre sur l’analyse de la rive sud. Elle montre une campagne évolutive, de plus en plus agricole au fur et à mesure que l’on se rapproche d’Apigné. Les propositions d’aménagement sont légères, centrées sur la production agricole traditionnelle (élevage et culture, arbres fruitiers et minoterie) et sur la création d’un événement spécifique : l’idée d’une « fête de la Vilaine », suggérée dans d’autres projets, est ici plus structurante.
« Vies laine en liens » : on ose là de plus lourdes transformations ! Pour établir une connexion forte et définitive entre Rennes et Apigné, et surtout entre les deux rives de la Vilaine, les étudiants se risquent à proposer un mode de transport aérien modulaire, du type téléphérique. Accroché à la future station de métro de Cleunay, il desservirait le stade rennais, la zone industrielle, l’écocentre de la Taupinais, les étangs et le moulin d’Apigné, et enfin, un parking relais situé dans la commune du Rheu. Une fonction de desserte donc, mais aussi une fonction de découverte paysagère. Puisque les déclivités du bassin rennais ne permettent jamais de voir la Vilaine d’en haut, c’est d’un téléphérique que chacun pourra découvrir le paysage fluvial d’un oeil nouveau.
Dans l’analyse de ce paysage de la Vilaine aval, l’étanchéité entre les deux rives est perçue de façon négative. Les liens à créer sont donc à la fois matériels, par bateau ou même par téléphérique, mais aussi immatériels : les projets ont en commun d’avoir développé un aspect éducatif sur l’agriculture et les vergers qui viennent enraciner les nouveaux usages.
Les neuf maquettes réalisées ont d’abord été exposées dans le hall de Rennes Métropole avant d’être présentées ultérieurement par l’université foraine dans le bâtiment Pasteur. Par la suite, les réflexions vont se poursuivre et les étudiants préparent avec l’IAUR une restitution publique pour juin 2014. Bien sûr, on ne retrouvera pas en l’état leurs suggestions dans les réalisations de demain. En revanche, on peut d’emblée mesurer le succès du dispositif d’atelier dans la mobilisation des jeunes, des chercheurs et des professionnels qui les ont soutenus, en attendant de voir émerger les projets d’après-demain, lorsque les étudiants ainsi formés se retrouveront en situation de décider et de se souvenir du dessin de leur ville « sensible ».