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Dossier
#06
RÉSUMÉ > Rose habite près de Fontainebleau. Elle a pris quelques jours de vacances pour rendre visite à une amie rennaise. Quand, dans la journée, cette amie travaille, Rose profite du vélo de la maison pour explorer la ville et ses alentours. Ici, elle nous commente les lieux qu’elle a découverts et qu’elle apprécie.

     Cette visite de Rennes avec Rose est singulière. Le regard que nous portons sur notre environnement est façonné par notre histoire personnelle, nos émotions, nos sensations, nos désirs, nos rêves, nos préférences politiques et d’autres choses encore. C’est ce regard intérieur que nous donnons, dans la manière dont Rose appréhende et s’approprie la ville. D’autres parcours brosseraient d’autres portraits de Rennes. Dans cette perspective, le touriste n’est plus le consommateur d’une ville « déjà là », donnée dans les guides mais l’inventeur d’une cité toujours nouvelle.

      Nous avons réalisé ce parcours en deux matinées, un jeudi et un vendredi. Rose parlait dans un dictaphone et nous photographiions ce qu’elle nous désignait. La visite débute allée Maurice Ravel, dans le quartier tranquille situé entre le cimetière de l’Est et le stade des cheminots.  

La maison-bicoque, allée Maurice Ravel

« On se croirait chez Blanche Neige et les sept nains. La maison est pleine de charme. On pourrait dire que c’est une bicoque avec son toit de tôle et son air fragile, mais c’est une vraie maison, pleinement habitée. Les murs sont en bois, peints en vert, on se demande comment les gens font en hiver. Dans le jardin, il y a des tulipes, des jonquilles, des primevères, des campanules, des tas de petits animaux montés en girouettes, des lapins, des oiseaux, des chouettes, des vaches, des nounours, des escargots. On pourrait dire que c’est ringard mais ici, c’est plein de charme. Il y un arc de rosiers au-dessus de la porte d’entrée et des rideaux Vichy bleu et blanc aux fenêtres. Ça détone complètement dans le quartier où il n’y a que des maisons classiques, solides, carrées. Cette maison est proche de la promenade Georges-Brassens. Ça lui va bien.
C’est au numéro 7, la peinture du portail est tout écaillée.

Les jardins familiaux de la zone industrielle sud-est

Les habitants sont menacés d’expulsion et ils doivent se faire connaître auprès d’un huissier. Les jardins familiaux, c’est comme pour les HLM, il faut s’inscrire à la mairie et il y a une attribution de jardin à qui le souhaite, mais il n’y en a pas beaucoup… Quand les gens en ont un, ils peuvent y cultiver des fleurs, des légumes et l’été ou les dimanches, ils viennent se reposer dans les cabanons. Ce sont des lieux de loisirs et même de vacances, des lieux de liens entre les gens. Partout, on voit des jonquilles; la terre est prête. Ce sont des paysans-citadins. Il y a des cabanes dans les jardins, des terrasses, des tables, des chaises… Des bouteilles sont restées sur les tables. Il y a des arbres fruitiers en fleurs, de vieilles serres avec des salades, des plans de poireaux, des pivoines, de la rhubarbe. Ce jardin n’est pas forcément très joli mais il est au milieu de la zone industrielle, avec les voies de la SNCF toutes proches. Au bout de chaque jardin, il y a des entrepôts, des camions, des bennes, des grues. Ça fait une drôle d’ambiance. L’industrie et la nature se rejoignent. C’est un lieu décalé, ces jardins et ces gens qui prennent du plaisir au milieu de l’activité industrielle et des gens qui travaillent.

Un jardinier nous explique que nous sommes sur la commune de Cesson-Sévigné, à une dizaine de mètres de la limite d’avec Rennes. Les risques d’expulsion sont liés à des cessions de terrain entre la SNCF, Réseau ferré de France et la commune de Cesson-Sévigné qui, toutefois, n’aurait pas vraiment l’intention d’expulser les occupants, peut-être simplement le projet de mieux délimiter les parcelles et d’imposer à tous le même type de cabane, d’interdire les barbecues. Dans ce lieu paisible, les enjeux fonciers des grands propriétaires paraissent bien théoriques. Nous reprenons les vélos et revenons sur nos pas en direction du cimetière de l’Est. Ce n’est pas par la grand-porte que nous entrons mais par la petite porte de l’arrière, rue de la 87e Division territoriale.

Les carrés des victimes militaires et civiles de la guerre, au cimetière de l’Est

« Ce qui m’impressionne, c’est le mélange des tombes chrétiennes, musulmanes, juives. Des gens qui viennent de partout, des tirailleurs sénégalais, des britanniques, des noms arabes, russes. Morts pour la France. Cet endroit m’émeut; je remercie tous ces hommes qui sont morts pour notre liberté. [Rose est très émue.] Les croix sont plantées directement dans l’herbe. Cet endroit du cimetière est très beau, il y a des cyprès. Le carré militaire est installé sur une grande pelouse en pente qui donne une vue dégagée. On voit, au loin, la ville de Rennes, avec ses tours.
Sur une croix : Orloff, Ivan, décédé le 14 juillet 1917; ils sont mélangés, comme au combat ; ça me fait penser au film Indigènes. Le monument aux morts est laid, il a un côté monstrueux, on dirait un playmobil. Juste à côté du cimetière militaire, il y a le cimetière des victimes civiles de la guerre, avec des tombes terribles comme ces tombes collectives marquées « inconnues » sur des croix en fer, alors que les soldats ont de belles croix solides. Une dernière halte dans cette partie de l’est de Rennes, à côté de l’immense robot créé par les jeunes gens d’un collectif d’artistes.

« On a l’impression d’être dans un quartier à l’abandon. Il y a plein de maisons murées et les voitures, les trains ne font que passer. C’est plutôt moche et triste. Au milieu de ce quartier, il y a cette cour, occupée par des artistes. Ils proposent plein d’activités sur un panneau en couleur: peinture, sérigraphie, sculpture, cycles, galerie d’art, céramique, animation, métal, cuisine, danse, photo, théâtre. Ça fait un contraste entre cet espace de créativité et, tout autour, cette zone de ville oubliée. Les artistes ont fabriqué cet énorme robot qui est éclairé la nuit par de jolies lumières bleues. Pour moi, cela figure notre monde automatisé, robotisé.

C’est une petite cité tranquille, avec des collectifs de trois étages. Les façades sont de briques jaune et rouge et de schiste pour les façades arrière. La cité est proche d’une rue passante [la rue de Nantes] mais on a l’impression d’être en dehors de la ville et du temps; il n’y a pas de bruit, on a l’impression que les gens habitent là depuis toujours et qu’ils sont devenus vieux, c’est pour ça qu’ils ne sortent pas et qu’on ne les entend pas. Ce qui me plaît ici, c’est d’imaginer la vie sociale qu’il devait y avoir ; ça me fait penser à Lyon avec ses quartiers ouvriers. Les bâtiments sont resserrés les uns contre les autres, c’est compact et on peut penser que tout le monde se connaissait, pour le meilleur et pour le pire. Il y a deux porches qui mènent aux jardins aménagés derrière les appartements. Il y a des antennes paraboliques aux fenêtres (l’effet est bizarre, c’est saugrenu, le moderne des antennes avec l’ambiance vieillie).
Nous nous rapprochons à présent de la Vilaine et du centre- ville. Avec une halte, rue de Sébastopol, devant la maison qui abritait les bains de la Prévalaye.

La maison est inattendue dans cette rue. Au milieu d’immeubles récents, de maisons particulières assez belles, on trouve cette façade de style mauresque, en bois, avec des arabesques. Juste devant, il y a trois palmiers qui donnent aussi une ambiance orientale…
Mais les boiseries sont en mauvais état et la porte d’entrée est une porte vitrée banale, avec des montants en alu qui ne se marient pas du tout avec le reste. Je pense qu’il y avait des bains-douches, ouverts au public. On ne sait pas ce que c’est maintenant, parce que il n’y aucune indication, pas de boîtes aux lettres. On a quand même un peu l’impression de voyager…
À pied, nous allons quai de la Prévalaye, puis jusqu’à l’écluse qui ferme le canal d’Ille-et-Rance au confluent de la Vilaine.

C’est un bel endroit avec les péniches, un endroit de promenade, où la vue est dégagée. On a l’impression d’être en ville, à proximité de l’animation, les immeubles sont plutôt beaux et l’eau bien sûr. Il y a un peu de bruit mais ce n’est pas assourdissant, c’est simplement un bruit de présence de la ville. Il y a des pelouses où l’on peut s’asseoir et l’ancien chemin de halage qu’on peut parcourir. La Vilaine est valorisée; ailleurs, elle est souterraine; là au moins, on la voit.
[Nous sommes à proximité du pont de la Mission] Là, c’est vraiment horrible. On a l’impression d’être au milieu d’une autoroute. Il y a beaucoup de bruit, c’est dangereux pour le piéton. Pourtant, j’aime le nom de ce mail, François Mitterrand, et du coup je suis plutôt attirée par l’endroit. Le saule pleureur est magnifique et le confluent avec ses quelques bancs, la vieille écluse, c’est un îlot tranquille perdu dans la circulation.
Nous gagnons le triangle dessiné par la rue Louis-Guilloux, la rue Papu et l’Ille. C’était auparavant le domaine Saint- Cyr, occupé par des religieux. Aujourd’hui s’y trouvent des foyers pour jeunes et pour personnes âgées, le théâtre La Paillette et la MJC du même nom. C’est là que se trouve le lavoir de Rennes.

Ce lavoir était celui de la communauté des soeurs qui vivaient là. Maintenant, c’est un lieu de balade et de repos assez sympa. C’est un endroit un peu sauvage, on entend les grenouilles et comme la rivière tourne, là-bas, ça donne un côté un peu mystérieux.
Ce que je regarde ici, c’est la grande cheminée d’une buanderie où travaillaient des jeunes filles en difficulté accueillies chez les soeurs. On imagine la chaleur dans la buanderie, la dureté du travail, l’espoir d’une vie meilleure. Je suis émue par ces femmes qui essayaient de se refaire une place dans la société. Et puis cette grande cheminée rouge, c’est le symbole de la société du travail industriel, auquel les individus devaient se soumettre.
Il y a aussi la nature, des enfants qui jouent avec un ballon, des gens qui discutent assis sur ces murs en pierre rouge. Il règne une ambiance paisible, surtout qu’il fait beau. En venant ici, on passe à côté d’un cimetière extraordinaire, celui des soeurs de la communauté qui vivait ici, dans ce parc de Saint-Cyr. Un tout petit cimetière en longueur, très joli, avec des fleurs et à l’abri d’un pin qui protège les tombes.
Nous entrons dans le coeur de ville en cahotant sur les pavés, vers les portes Mordelaises.

Il n’y a pas beaucoup d’endroits où l’on peut accéder au passé de la ville. C’est dommage que ces portes ne soient pas davantage valorisées, alors que ça pourrait être super- intéressant. C’est un endroit où les nobles prêtaient le serment de respecter la Bretagne. C’est le lieu de l’engagement, c’est fort. Quand on est sur le pont-levis, on voit les fossés envahis d’herbe et de vieilles bouteilles, c’est l’abandon: il y a même un mur des vieux fossés qui a été repris en parpaings ; c’est honteux. Tout est décati. Le site autour des portes est aménagé n’importe comment. À trois mètres de la tour, il y a des toits de tôle.
Les portes Mordelaises sont sûrement dans les guides de Rennes. Je ne comprends pas que le Moyen-âge de Rennes soit complètement abandonné.
Tout près, nous passons, rue Saint Guillaume, devant la maison Ty Coz.

J’adore le rouge sang de toute la façade, les sculptures en bois des deux personnages qui montent la garde à la porte.
La maison date de 1505! Avec de hautes fenêtres, toute en colombages, la rue étroite, de guingois, avec les vieux pavés…

Ça pue et c’est sale: des mégots, des canettes de bière, des verres en plastique écrasés, du vomi. Nous sommes dans l’arrière-salle de la beuverie. Sur les murs, il y a plein de photos agrandies et collées, des graffiti, des couleurs, c’est un endroit underground dans un décor moyenâgeux!
Partout autour, il y a des maisons à colombages. Un énorme étai soutient l’une d’elle, très ancienne, avec des sculptures en mauvais état. On est au coeur du vieux Rennes, c’est une sorte de paradoxe et quand les touristes, les étrangers arrivent là, ils doivent être surpris par le contraste… Ce contraste me plaît, c’est la ville qui se transforme et qui reste vivante. Quand on revient rue Saint-Michel, on a l’impression d’être en Irlande, avec les maisons peintes de couleurs vives, jaune, vert, rouge, bleue….
Nous poursuivons à pied le parcours de Rose à Rennes, en montant par la place Sainte-Anne puis la rue Saint- Melaine vers le cloître du Thabor.

Regarde-moi ça comme c’est beau…
Qu’est-ce qui me plaît ici ? Le style roman, le cloître, les sculptures, toutes différentes, qui expriment une émotion religieuse ; les mains sont pieuses, portées vers le coeur ou croisées sur la poitrine en signe de recueillement. Autour d’elles, des décors de grappes de raisin, de feuilles de palmier.
À l’intérieur du cloître, sur la promenade, il y a des sculptures au plafond, des angelots. On peut imaginer, qu’à l’époque, cet endroit était important. À l’entrée, il y a un moine, on ne sait pas qui c’est. Au centre du jardin du cloître, il y a un puits. C’est un lieu à l’écart, un peu difficile à trouver parce que la grande entrée du parc n’y mène pas; pour y arriver, il faut savoir qu’il est là ou avoir de la chance.
Le parcours s’achève, rue du Pont des Loges, avec la vue sur les moulins de Rennes

On est en plein centre-ville et il y a encore des moulins, en activité je crois, il y a des lumières en tout cas. C’est un lieu de travail ancien, qui m’évoque le 19e siècle. On ne voit pas ce qui s’y passe, alors on peut tout imaginer, surtout le pire! On oublie souvent que le travail est toujours présent dans la ville; il n’y a pas de séparation entre ceux qui habitent et ceux qui travaillent, c’est mélangé.
Depuis ce petit pont, on voit une maison, à gauche, avec un balcon qui donne sur l’eau, des plantes grimpantes, des saules, c’est magnifique, on se croirait en Italie! Ici, c’est la partie italienne de Rennes !
[Le potelet devant la maison au balcon nous apprend qu’il s’agit de la maison de Jean Janvier, maire de Rennes de 1808 à 1923]