Au restaurant Leperdit, moyennant un euro, on peut prendre un petit-déjeuner, ou un casse-croûte, ou un repas chaud le midi, et cela du lundi au samedi. Ce lieu mis en place en 1969 est financé par la Ville de Rennes et son Ccas. Il traduit la volonté de la collectivité d’agir en faveur du public en errance et à assurer à chacun le minimum alimentaire vital.
La vie dans la rue est source de nombreuses pathologies. Manque d’hygiène, promiscuité, addictions, la plupart de ces personnes vivent en plus des situations administratives problématiques. C’est pourquoi, l’équipe d’animation du restaurant, outre l’aide alimentaire, propose écoute, conseils d’accès aux droits, démarche participative à des ateliers. Diverses permanences sont assurées: infirmière, infirmier alcoologie et toxicologie, agent de la sécurité sociale, conseiller mission locale, aide juridique d’urgence, équipe mobile psychiatrie et précarité.
Chaque usager « a son histoire personnelle de l’errance, rappelle Jean-François Perrin, responsable du restaurant depuis 2004. Nous respectons chacun, mais nous lui demandons le même respect des autres usagers, du personnel, du lieu qui accueille et du matériel. Il faut bien sûr laisser faire le temps, mais nous pouvons modestement constituer une étape pour se stabiliser. »
Ici, on cherche au maximum à ce que toute démarche soit portée par la personne elle-même. Les actions ne sont pas menées « pour » les gens mais « avec » les gens. Un conseil de la vie sociale, incluant les usagers, se réunit tous les deux mois. C’est une instance de réflexion sur la vie de l’établissement.
Deux constats préoccupants émergent. D’abord le fait que six femmes sur dix et quatre hommes sur dix venant au restaurant n’ont strictement aucun revenu. Cela veut dire que la moitié de ces personnes ne font pas valoir leurs droits puisque tout citoyen français âgé de plus de 25 ans a droit au revenu minimum (RSA). Second constat : la moitié des usagers du restaurant qui pour la très grande majorité sont aujourd’hui en errance ont vécu dans leur enfance une situation de placement soit en famille d’accueil ou soit en établissement. Ces chiffres peuvent aider à éclairer les débats démocratiques du moment concernant le chômage et l’exclusion.
« Aider sans assister » est la ligne de conduite à Leperdit. A titre d’exemple, cela peut se traduire par des activités sportives mobilisatrices. Ainsi, une action menée par le restaurant a été lauréate d’un prix attribué par l’Agence nationale pour l’éducation par le sport. Avec l’association Breizh Insertion Sport, est organisé chaque printemps un « parcours de rupture » d’une semaine sur un lieu de vacances à l’intention des usagers. On y pratique du tir à l’arc, de l’escalade, de l’équitation…, activités qui se prolongent ensuite pendant l’année. En mai 2012, ils étaient huit à participer à cette action en forêt de Brocéliande. L’objectif est de rompre avec une culture de vie dans la rue parfois mortifère, couper avec les addictions, réapprendre la vie en groupe ou tout simplement la préparation d’un repas.
Un autre type d’action concrète en direction des usagers concerne les chiens. Ces animaux sont un élément sensible des relations avec le voisinage et l’environnement. Le travail permanent consiste à responsabiliser et à sensibiliser les maîtres sur leurs devoirs de citoyens dans l’espace public. Si par exemple des aboiements bruyants suscitent une plainte, l’équipe se rend sur place pour discuter et échanger autour des règles indispensables du « vivre ensemble.» Des séances d’éducation canine sont également organisées avec un vétérinaire.
S’il est un message que l’équipe adresse volontiers aux Rennais, c’est d’éviter de classer les gens de la rue dans des cases et surtout de ne pas les réduire à leur apparence. Rechercher le contact personnel reste décisif et les contacts. Ainsi quand la relation se réduit dans certaines administrations à l’échange téléphonique ou informatique, beaucoup de frustrations en découlent. D’un autre côté, à l’adresse des personnes en errance c’est un autre message est lancé les incitant à sortir d’une position de « victimisation » pour entrer dans une posture d’acteurs avec les atouts que chacun possède.
Concernant la politique globale d’insertion, ce sont des propositions personnalisées, variées et adaptées à la situation de chacun qui doivent être mises en oeuvre. L’opinion rennaise doit pouvoir être sensible à cette démarche, au-delà de certaines images droite-gauche souvent caricaturales.