Au programme Des Rencontres de l’habitat participatif le 20 juin dernier à Rennes: visites des projets anciens et en cours, retours d’expériences, échanges. L’objectif ? Faire connaître ce concept, issu d’une forme de vivre ensemble expérimentée dans les années 70-80 et remis au goût du jour depuis quelques années. Défini, par le réseau national des collectivités, comme « un regroupement de ménages mutualisant leurs ressources pour concevoir, réaliser et financer ensemble leur logement, au sein d’un bâtiment collectif. » Avec deux objectifs sous-tendus : améliorer la qualité de l’habitat et impliquer les habitants dans une démarche citoyenne. 

     Le premier exemple rennais d’habitat participatif, dans sa forme la plus « contemporaine » est celui de la Petite maison, crée en 1987 par quatre familles en auto-promotion2. Mais l’idée est plus ancienne. Entre 1953 et 1958, déjà, les Castors rennais, regroupent 170 familles qui vont s’entraider pour la construction de leurs maisons individuelles.
     En 1969, les Hautes-Ourmes voient le jour. Là, ce sont cinq immeubles collectifs gérés en société coopérative familiale. Une gestion qui prendra fin récemment, le 1er janvier 2012, du fait de la disparition de la majorité des coopérateurs et du manque de relais auprès des nouveaux habitants.
     Enfin, en 1986, le projet de la Forgerie, porté par la Ville, prévoit 71 logements, en accession à la propriété et en locatif social. Les logements locatifs sont dans un bâtiment à part, en revanche des locaux communs sont gérés collectivement. Mais la complexité du projet décourage de nombreuses familles et ce sont seulement sept foyers issus du projet initial qui emménagent dans ce programme. Qu’importe, les graines sont semées. « Tout ça crée un terreau favorable au concept d’habitat participatif », assure Antoine Morin, responsable du service des opérations d’aménagement à Rennes Métropole. Dans les années 1990 et 2000, quelques groupes d’habitants réfléchissent mais rien ne sort de terre. Il faudra attendre 2008.

     Lorsqu’en 2008, Gilles Nicolas, le maire de Chevaigné, lance la Zone d’aménagement concerté de la Branchère qui accueillera 272 logements, il souhaite le faire avec une démarche affirmée de développement durable. En concertation avec l’urbaniste, Sophie Laisné, il réserve alors 5 000 m2 pour la construction de douze logements en habitat participatif. « Le groupe d’habitants avait toute latitude pour construire, explique Gilles Nicolas. Dans les objectifs fixés de développement durable. »
     La commune balise le projet avec le promoteur Coop de construction, trouve un architecte, Françoise Legendre, et fait passer une annonce pour constituer un groupe d’habitants. La première réunion attire une quarantaine de personnes et très rapidement un groupe se constitue.
     À ce moment-là, le maire charge l’association Parasol (PARticiper pour un hAbitat SOLidaire), d’animer le groupe, bientôt relayée par l’Epok, une coopérative d’écologie populaire, spécialisée dans l’accompagnement. Commence alors une longue série de réunions.
     Une fois par mois, le groupe rencontre le promoteur. « On a donné aux habitants notre façon de voir les choses, explique Didier Croc, directeur de la Coop de Construction. C’était une notice discutable mais une base pour rentrer dans les prix. » Car il y a un critère sur lequel le groupe n’a pas voix au chapitre, c’est le prix : 2 500 euros le m2. L’enjeu pour le promoteur : être capable de répondre aux demandes des habitants tout en respectant ce tarif.

     Première étape : se mettre d’accord sur le mode de chauffage, les extérieurs, les espaces communs (chaufferie, buanderie, garages à vélos, local à déchets). Presque surpris, Didier Croc reconnaît que le consensus s’est fait assez rapidement. Deuxième étape : chaque foyer travaille individuellement sur la conception intérieur de son logement, notamment sur les surfaces.
     Au final, le hameau se compose de huit logements collectifs et de quatre maisons individuelles. Dont deux sont toujours à commercialiser à cause de désistements. « Cela fait partie des choses à revoir, estime le directeur de la Coop. Les familles s’étaient engagées avec une caution de 1000 euros. Peut-être que ce n’était pas suffisant. »
     Autre difficulté : la durée du projet, conséquence de la concertation avec les habitants et de la possibilité de faire des modifications jusqu’au dernier moment. Du côté des habitants, on avance aussi une autre explication : le manque d’expérience des entreprises face à ce type de chantier, construction BBC d’un côté, et participation, de l’autre. « Le cahier des charges n’était peut-être pas assez clair, estime Sandra Berthelon, présidente de l’association le Hameau de Chevaigné. Il y a eu des cafouillages. » Il reste encore quelques réserves à lever, notamment sur les extérieurs, mais les 10 logements ont été livrés entre juin et septembre 2012. Aux habitants maintenant de faire vivre leur hameau.

     Durant l’automne, ils espèrent terminer leur salle commune, lancée en auto-construction avec une enveloppe de la Coop, comprise dans le prix de vente : 12 000 euros. « On s’est aperçu que cela pouvait aller très vite quand on est dix ! » Construction passive et écologique, bien entendu. Ensuite, ils pourront se lancer dans l’aménagement de leur espace potager. « On ne sait pas encore si on fera douze parcelles côte à côte ou une parcelle en commun », explique Sandra. Tout ceci se discutera en toute transparence lors de leurs nombreuses réunions mensuelles à venir.
     Si la Ville de Rennes ne souhaite pas s’inspirer directement de cette expérience, arguant que les problématiques d’une ville centre ne peuvent être les mêmes, le hameau de Chevaigné a tout de même relancé la réflexion. Élus et techniciens le soutiennent même si, parfois, cela n’avance pas assez vite pour certains groupes d’habitants.

Première difficulté : trouver des terrains

     Actuellement cinq groupes constitués au sein de Parasol portent des projets, seuls deux sont en bonne voie pour aboutir3. « D’autres villes, comme Lille, intègrent des espaces en amont dans leur projet d’urbanisme, assure Pierre-Yves Jan, représentant de Parasol. Rennes ne le fait pas. » Un reproche balayé par Frédéric Bourcier, adjoint à l’urbanisme et à l’aménagement de Rennes : « À Lille, il y a des friches, à Rennes le foncier est rare. » Argument repris par Antoine Morin, à Rennes Métropole, et Sophie Laisné, urbaniste : les terrains sont rares, habitat participatif ou pas.
     Ensuite, reste la question de la méthode. Autopromotion ou intégration dans un projet de promoteur ? Si la définition du réseau national des collectivités affiche un « sans passer par un promoteur immobilier », cette méthode reste difficile à mettre en oeuvre, techniquement et financièrement. Mais l’intégration pose la question de la latitude accordée aux habitants.

     Cette question agite le groupe en cours de constitution pour le projet Victor-Rault4, 140 logements, dont 16 en participatif. « La première phase de montage du projet, sur le choix des partenaires, s’est faite sans nous, assure Bertrand Wolff, président du groupe. Il y a un manque de... participation. » Une position assumée par Frédéric Bourcier : « Oui, le projet est imposé. Nous avons travaillé sur l’ensemble Victor-Rault et décidé de réserver un espace participatif, c’est une décision descendante » L’idée étant de borner les choses pour éviter les difficultés. En clair, le plan d’ensemble est décidé en amont et les habitants gardent la main sur leurs intérieurs, les espaces communs et la mise en relation avec le reste du quartier. Des désaccords qui illustrent toute la difficulté d’intégrer un concept d’ordre privé dans une opération publique.

     Autre pierre d’achoppement : la question de la mixité sociale. Aujourd’hui, à Rennes, ce type d’habitat n’est proposé qu’en accession à la propriété. A Victor-Rault plusieurs foyers intéressés viennent du parc social mais pour l’instant rien n’est prévu pour eux. « Le risque, estime Bertrand Wolff, c’est de créer des quartiers de « bobos ».
     Selon Annie Bras-Denis, directrice adjointe d’Archipel Habitat, il y a deux obstacles majeurs.
     1) L’attribution d’un logement social se fait par un traitement équitable des demandes, favoriser une demande particulière équivaudrait à créer « un coupe-file ».
     2) Techniquement, les bailleurs sociaux gèrent leurs logements par ensemble. Un même immeuble, une même cage d’escalier. Partager ces espaces avec des propriétaires privés poserait des problèmes de gestion de charges. Archipel Habitat réfléchit à des projets alternatifs, comme la réhabilitation participative ou un projet en accession sociale à la propriété à Saint-Gilles : la dimension participative s’appliquera sur les parties communes après attribution des 11 logements par voie classique.
     Faisabilité des projets, intégration dans une politique d’urbanisme d’ensemble, mixité sociale... Autant de problématiques sur lesquelles le réseau national des collectivités, en partenariat avec les associations, planche en espérant trouver des réponses appropriées. Seulement, il ne peut y avoir une seule et même réponse, car l’essence même de l’habitat participatif est de proposer une politique modulable, en dehors des projets standardisés.
     « Je pense que c’est possible partout, conclut Gilles Nicolas. Mais pas généralisable. Seul l’objectif est le même : construire ensemble la société. »