des « aidants naturels »
Devant un thé, un café, un jus de fruit... ils sont une vingtaine à se retrouver, chaque mercredi, entre 15 h et 18 h, au café Chez Mama’ï, rue Dupont-des-Loges. Le Bistrot Mémoire1 iest un sas de décompression pour les malades d’Alzheimer et les aidants qui les accompagnent. Ici, chacun s’appelle par son prénom. Il y a Paulette et René, Huguette, Christiane... Mireille se présente avec humour : « Je suis une fille de..., aidante d’une mère malade ». Elle dit être « sur un petit nuage » : « J’ai enfin trouvé une structure pour accueillir ma mère ». Durant la Semaine bleue, organisée dans le cadre de la Semaine nationale des retraités et personnes âgées, en octobre 2010, Mireille a découvert l’existence du Bistrot Mémoire. « Je suis arrivée toute petite ». Marie-Hélène Lebreton, psychologue qui anime ce lieu d’écoute et de parole, l’incite à revenir. « Chaque mercredi, je venais avec le moral au plus bas. De rencontrer des professionnels qui abordaient les thèmes de la dépendance, des aidants, l’entrée en maison de retraite, etc. m’a permis de cheminer et de me sentir plus forte pour affronter les événements. Je connaissais les arcanes de l’administratif, mais je restais complètement démunie ».
Elle a déposé dix-sept dossiers d’inscription en EHPAD, établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, avant qu’un médecin coordinateur, compréhensif, ne débloque la situation. « Il m’a dit qu’il avait été touché par la façon dont j’avais expliqué notre cas familial. Si j’ai pu le faire, c’est grâce au soutien du Bistrot Mémoire ! ». Mireille se dit « sortie du tunnel », même si la maladie de sa mère continue d’évoluer. « L’essentiel est qu’elle se plaise dans sa structure. » Mireille continue de venir au Bistrot Mémoire : « Je viens partager mon expérience et dire combien je suis heureuse d’avoir rencontré ce lieu de parole ».
En 1991, Christine Thiébaut recherchait un établissement pour accueillir sa mère, atteinte de la maladie d’Alzheimer. « Je suis allée voir Irène Sipos, directrice de la maison de retraite Saint-Cyr. Il n’y avait aucune place. Laisser partir les familles avec leur fardeau la chiffonnait. Elle avait mis en place un conseil des familles pour favoriser l’entraide. Je l’ai rejoint et j’ai pu ainsi garder ma mère près de nous, grâce au soutien apporté ». Christine est alors âgée de 45 ans, sa mère de 82 ans, et ses enfants de 10, 15 et 16 ans. « La première année, j’étais livrée à moi-même avec une maladie que je ne comprenais pas. Mon médecin traitant ne la connaissant pas, après s’être renseigné m’a mis en relation avec un psychiatre. »
La mère de Christine était devenue violente: « En fait, elle croyait que je voulais me séparer d’elle. Une fois prise la décision de la garder auprès de nous, elle est redevenue comme avant. » Pour la garder à domicile, le psychiatre émet deux conditions : « Je devais lui amener ma mère tous les mois et c’est moi qui étais chargée de l’accompagner. Il m’avait dit que ma mère ne souffrirait pas si je ne lui faisais pas remarquer ses oublis. Je l’ai mis en pratique. » La vie de famille s’organise. « Au début, les aides-soignantes changeaient tout le temps. Je ne pouvais pas leur confier ma mère, en mon absence. Le CCAS, centre communal d’action sociale, a tout fait pour m’aider. »
Pas toujours simple non plus pour les enfants. « Surtout pour le petit dernier, car évidemment mamie passait avant lui. » Christine devient la première aidante à bénéficier de l’accueil de jour pour sa mère, mis en place à la maison de retraite Saint-Cyr. Une fois par semaine, elle peut ainsi consacrer du temps à ses enfants et sa mère, peut s’extraire du cercle familial. « Pour les malades c’est très enrichissant. Maman était de nouveau appelée par son prénom. Cela lui redonnait une place dans la société. » De même, pendant les vacances, une semaine à la Toussaint, en février et l’été, la mère de Christine est accueillie en hébergement temporaire.
Pour Christine, la reconnaissance sociale de l’aidant est fondamentale: « Aujourd’hui, on réalise que sans les aidants le maintien à domicile est impossible, tant notre rôle est central. Quand j’ai accompagné maman, j’étais l’aidant principal. J’étais le pilier, le pivot avec autour de moi, les aides-soignantes, les médecins, les assistantes sociales car je connaissais la malade. » Et d’affirmer: « Bien soutenus, pendant sept ans, cela a été un véritable plaisir d’accompagner maman, car tout était bien rodé. Malgré sa maladie, nous ne nous souvenons que des bons moments. Elle souriait tout le temps ».
Toute la difficulté est pour l’aidant de tenir psychologiquement. Christine explique avec humour : « J’avais mon psychologue particulier, mon aspirateur. Je me soulageais en lui parlant à haute voix quand je le mettais en marche. Personne ne m’entendait. Je lui en ai dit des bêtises qui dépassaient bien souvent mes pensées ! Pouvoir dire tout ce qu’on ressent est ce qu’il y a de plus important pour un aidant et surtout qu’on vous comprenne ».
Sa mère décédée, lorsqu’Irène Sipos et Isabelle Donnio, psychologue, décident d’ouvrir le Bistrot Mémoire, en 2004, Christine répond présente. Elle devient présidente de l’association. « Tous les jours, on doit relever les manches un peu plus haut, car la maladie devient aussi celle de l’aidant. Au Bistrot Mémoire, les aidants se sentent soutenus. Nous étions le premier en France. Un concept qui a fait boule de neige. Il en existe vingt-cinq en France2 fédérés au sein de l’Union nationale des Bistrots Mémoire. Le dernier vient d’ouvrir à Cesson-Sévigné. » Le Bistrot Mémoire est doté d’une charte. « Ce n’est pas le projet d’une institution: il y a obligation de regards croisés et de mutualisation des ressources et des moyens. Il est aussi obligatoirement animé par un ou une psychologue. Les bénévoles qui accueillent les personnes n’ont pas vocation à répondre aux difficultés rencontrées par les participants ».
À Rennes, Marie-Hélène Lebreton, psychologue, accompagne le Bistrot Mémoire depuis 2004. « Pour certaines personnes, c’est un premier contact. Ensuite, tout un cheminement se fait au fur et à mesure des rencontres. Ce dont les aidants ont sans doute le plus besoin est de parler, de pouvoir dire toutes leurs émotions, mais aussi de rencontrer des personnes qui vivent la même chose. Cela permet quelquefois de lever les culpabilités et de se rendre compte que si je suis agressif, je ne suis pas si maltraitant que cela ». À l’écoute, la psychologue invite des professionnels pour répondre aux questions récurrentes. « Les auxiliaires à la vie sociale, les conseillers en gérontologie, toutes les personnes qui s’occupent des malades, expliquent aux aidants leur rôle et les limites que ces derniers ne doivent pas atteindre, comme par exemple l’épuisement ». Et de constater : « Au fil du temps, les personnes qui viennent régulièrement, s’apaisent car le Bistrot Mémoire se veut un lieu d’écoute et de tolérance. » La hiérarchie entre les familles, les malades, les bénévoles et les professionnels disparaît. « C’est une approche en complémentarité, car le malade nous en apprend autant que les aidants. Le Bistrot Mémoire est un lieu qui sait rester humain ». Un malade confiait un jour : « Je suis content de venir, car je remets une cravate! ». Prendre un verre dans un bistrot, c’est oser sortir de son enfermement.