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Dossier
#13
Pour de vrais emplois
au service des personnes âgées dépendantes
RÉSUMÉ > Les emplois de services à domicile sont-ils condamnés à rester des petits boulots ? Leur originalité est que ce sont des emplois locaux, de proximité et non-délocalisables. Les employeurs ne sont pas les patrons du Cac 40, mais les autres citoyens. Est-ce une chance pour aboutir à de vrais emplois ? En tout cas, une responsabilité sociale largement partagée et l’occasion d’un bon débat démocratique.

     Il faut remonter au travail des domestiques dans les demeures des classes aisées pour trouver la naissance des services à domicile et cette filiation peut avoir encore aujourd’hui des répercussions négatives sur l’image de ces emplois. Des appellations comme « la bonne à tout faire » ou « la femme de ménage » n’ont pas complètement disparu. Pour ce qui est des personnes âgées, l’aide extérieure spécifique a reposé essentiellement au départ sur le bénévolat. Les premières « aides familiales » sont des bénévoles souvent animées de motivations religieuses et les salariés ont encore l’impression que cette origine pèse. Quand elles revendiquent l’application de certains de leurs droits par exemple sur leurs horaires, elles reçoivent parfois des réponses culpabilisantes.

     Dans la seconde partie du 20e siècle, c’est le très fort développement de l’emploi féminin qui amène la transformation des activités domestiques jusqu’alors exercées par les femmes au sein de la famille. La disponibilité des femmes devient plus limitée, y compris pour leur présence auprès de leurs parents dépendants en même temps que l’augmentation de la durée de vie fait croître les besoins d’accompagnement.

Les « aides ménagères » des années 60

     Le rapport Laroque en 1962 privilégie le maintien à domicile des personnes âgées et l’arrivée des « aides ménagères » salariées marque le début d’une vraie professionnalisation. En 1975, « les auxiliaires de vie » sont désignées comme intervenantes de l’aide à domicile. « Elles exercent une profession à vocation sociale. Ce ne sont pas des femmes de ménage », précise le rapport. Une convention collective nationale est signée en 1983.
     Le soutien des politiques publiques aux emplois dans ce secteur se manifeste très tôt et avec des approches mouvantes. L’État intervient d’abord au nom d’une politique sociale d’ « assistance aux indigents » puis d’une politique d’« aide sociale aux personnes aux ressources insuffisantes ». Il y a alors prise en charge partielle par la collectivité de fonctions sociales comme la garde des enfants ou l’aide aux personnes âgées.
     Au début des années 90, dans un contexte de développement important du chômage, les objectifs de créations d’emploi viennent s’ajouter aux préoccupations d’aide sociale. Les réductions d’impôt rendent solvable la demande et provoquent un développement très important de tous les emplois familiaux. Au-delà des personnes vulnérables, une nouvelle clientèle est touchée, celle des ménages à double salaire, des célibataires et des retraités, des personnes à la recherche d’une meilleure qualité de vie et qui souhaitent avoir du temps en se déchargeant de certaines tâches de la vie quotidienne.
     Le plan Borloo en 2005 a l’ambition de passer à une autre étape par une « politique industrielle » des services. Il affiche un objectif très ambitieux de création d’emplois en amplifiant et en simplifiant les mesures de soutien public. Une nouvelle dénomination apparaît, celle des « services à la personne » qui regroupe une vingtaine d’activités susceptibles de bénéficier d’avantages fiscaux et sociaux. Une agence nationale des services à la personne est créée (ANSP) pour coordonner et promouvoir les initiatives. Le secteur des services est pensé comme devant prendre le relais d’un secteur secondaire qui a moins besoin de main d’oeuvre.

     En 2008, le secteur de l’aide à domicile employait en France plus de 500 000 personnes dont un nombre très important de salariés à temps partiel et dont la moitié a plusieurs employeurs. À la même date, plus d’un million de personnes âgées bénéficiaient de l’APA (allocation personnalisée d’autonomie), dont 600 000 vivaient à domicile et 400 000 séjournaient en établissement.
     Les évolutions démographiques prévoient dans les prochaines années une augmentation du nombre des personnes âgées dépendantes atteignant le chiffre de 1 200 000 en 2040. Parallèlement, on prévoit une diminution du nombre d’aidants potentiels (conjoints et enfants) liée aux séparations et à la dispersion géographique des familles. En conséquence, les tensions déjà existantes sur ce marché de l’emploi risquent de s’accentuer et le besoin de trouver des salariés et de les fidéliser s’affirmer de manière très forte.
     Comment dès lors faire bouger l’offre de travail? C’est une question sociale de solidarité nationale de soutien aux personnes les plus fragiles mais c’est aussi une question économique de développement des emplois. Bien évidemment, le prix des services restant à la charge de l’usager sera toujours un élément déterminant… et les budgets qui seront ou non engagés dans la prochaine loi sur la dépendance ont toute leur importance. Sortir de l’émiettement du secteur, réduire la complexité et l’instabilité des aides sociales et fiscales ferait aussi disparaître des freins qui entravent le développement. Surtout, il y a nécessité d’améliorer la qualité des emplois pour les rendre attractifs. « Les contrats de travail sont aujourd’hui mal rémunérés, trop souvent précaires, à temps partiel subi, avec des conditions de travail difficiles liées à un relationnel ni assez préparé ni assez accompagné entre le salarié et l’utilisateur. Notre travail n’est toujours pas vraiment reconnu », constatent des délégués syndicaux.

     Le mode de recrutement choisi par la personne âgée dépendante a des conséquences importantes sur le statut du salarié. Le prix plus attractif du service peut inciter à retenir la formule de l’emploi direct, appelé aussi « emploi de gré à gré » avec l’utilisation éventuelle du Cesu (chèque emploi service universel), mais il ne faut pas cacher que le droit conventionnel est alors peu favorable au salarié. Par exemple, le travail de nuit est peu rémunéré, et les perspectives d’évolution professionnelle sont inexistantes. Le particulier employeur n’étant pas considéré comme une entreprise, et le lieu de domicile étant un domicile privé, les salariés sont exclus de certaines dispositions protectrices : les visites médicales ne sont pas obligatoires et l’inspection du travail n’a aucun moyen d’intervention. Enfin, même si dans certains cas, la formule du « gré à gré » peut donner de la souplesse contractuelle, l’expérience montre que la relation d’emploi est souvent fragilisée par les aléas de la vie personnelle de l’employeur comme du salarié.
     Si l’intervenant est salarié d’une structure prestataire, qu’elle soit une entreprise, une association ou un CCAS, les chances sont plus fortes d’une meilleure qualité de service et de conditions d’emploi plus satisfaisantes. Le mode prestataire permet normalement des temps collectifs d’échanges entre collègues et, avec un encadrement jouant son rôle, des repères professionnels peuvent se mettre en place pour répondre au très grand sentiment d’isolement ressenti dans ce travail. Bruno Brin est directeur de l’entreprise Adhap Services, l’une des 12 entreprises privées de l’aide à domicile dans le pays rennais. Il insiste sur « l’importance du recrutement d’une infirmière coordinatrice pour les contacts avec la clientèle et l’écoute des salariés »; lui-même titulaire de l’agrément pour le service des personnes dépendantes, il souhaite que « les mêmes exigences soient imposées à tous les intervenants à domicile et les mêmes aides publiques attribuées à chacun pour permettre à l’usager ou au client un choix réel. »
     Pour tous les salariés du secteur, quel que soit leur statut, l’image sociale du métier est parfois lourde à porter et certaines représentations ont du mal à bouger. Trop souvent la référence spontanée du « payeur » reste le prix d’une heure de ménage. « Les familles ne peuvent pourtant feindre de croire qu’on ne fait que du ménage quand on voit leur très forte attente pour nos tâches d’accompagnement très personnalisé de leurs proches. De même, certaines réponses comme : Vous avez en charge l’humain ou vous faites le plus beau métier du monde, agacent les salariés quand elles demandent seulement un salaire leur permettant d’en vivre. »

Pour une vraie reconnaissance du métier

     Aujourd’hui il existe peu de différence de salaire en fonction du niveau de formation et la plupart des salariées reçoivent le Smic horaire. « Cette non-reconnaissance des qualifications provoque peu d’attirance pour ces métiers. C’est pour cette raison qu’il y a très peu d’hommes à accepter ces conditions ». Il faut ajouter que le temps partiel est souvent subi, que le temps et les frais de déplacement entre deux domiciles n’est pas toujours vraiment pris en compte, que les amplitudes horaires de travail pèsent très lourd sur la vie professionnelle et familiale.
     Rémi Coudron, président de l’association Una d’Illeet- Vilaine est conscient de ces difficultés. Pourtant, il se dit convaincu que « les services peuvent devenir un secteur professionnel à part entière mais à deux conditions principales : d’abord que les associations atteignent une surface d’activité suffisante pour une organisation du travail permettant du temps complet. La seconde condition étant que nos financeurs, comme le fait aujourd’hui le conseil général d’Ille-et-Vilaine, acceptent de prendre en compte le réel coût économique de ces emplois avec des déroulements de carrière possible. »
     Le diplôme actuel, le DEAVS (diplôme d’État d’auxiliaire de vie sociale) représente un progrès et comprend une formation de 1400 heures alors que le diplôme précédent (Le Cafad) ne prévoyait que 400 heures. La validation des acquis de l’expérience (VAE) est un bon moyen pour certifier les compétences acquises, surtout pour les personnes ayant un faible niveau scolaire et pas de qualification professionnelle reconnue. « La formation professionnelle est décisive pour notre professionnalisation, tant la formation initiale que la formation continue. La profession est aujourd’hui constituée en majeure partie de femmes de 40 ans ayant élevé leurs enfants et le vivier de recrutement doit être nettement élargi pour répondre à une demande exponentielle, avec l’apprentissage d’un vrai métier. »

     Par définition, le secteur des services aux personnes est une profession de proximité. Ici, pas de crainte de concurrence internationale, pas de risques de délocalisation: le marché de l’emploi se joue entre des offres et des demandes de travail locales. D’où, la proposition des responsables publics locaux: la MEIF de Rennes Métropole (Maison de l’emploi, de l’insertion et de la formation) et le Codespar (Comité de développement économique et social du pays rennais), d’agir avec toute la profession pour à la fois améliorer les services aux usagers et les conditions de travail des salariés sur le territoire.
     Plusieurs villes en France ont tenté de mettre en place ce qu’on a appelé des plateformes locales de services ; la plupart ont tourné court ou se sont limitées à regrouper les seules associations de l’ « économie sociale et solidaire. » À Rennes, un accord a pu intervenir permettant de réunir l’ensemble des syndicats d’employeurs et de salariés quel que soit le statut : public, associatif, privé, particulier employeur. Chacun reconnaît que la concurrence du marché existe, que les histoires et les pratiques des structures sont différentes, mais tous sont d’accord pour mettre en place une régulation territoriale, indispensable pour la professionnalisation.

     La volonté commune a été de répondre aux attentes les plus fortes. C’est pourquoi les premières initiatives ont porté sur la formation. Impossible d’affirmer qu’on exerce un vrai métier si on n’a pas un minimum de formation avant d’aller travailler au domicile de quelqu’un. D’où la mise en place, par exemple, d’un module de formation de deux jours ouvert à tous, y compris au salarié isolé embauché par un particulier employeur.
     L’organisation locale a permis également de créer des réseaux entre l’offre et la demande d’emploi par des outils de communication spécifiques, des rencontres débats et des forums. Une action d’ensemble, grâce à un financement national de l’ANSP, est menée actuellement sur les conditions de travail dans la profession; une quarantaine de structures sont engagées avec la Carsat (Caisse d’assurance retraite et santé au travail) et l’Aract (Agence régionale pour l’amélioration des conditions de travail) pour une action de longue haleine à la fois dans les entreprises et sur le territoire. La rencontre directe entre les acteurs permet de constater que les problèmes sont de même type dans toutes les structures : recrutement, isolement, formation, qualification, temps et frais de déplacement d’un domicile à l’autre, image du métier.

     L’initiative la plus récente à Rennes concerne les entreprises privées de services qui, n’ayant pas encore de convention collective nationale, ont décidé de préparer un accord local sous l’égide de la direction du travail, faisant le choix d’un processus contractuel volontaire pour le meilleur intérêt des employeurs comme des salariés. Même si les accords verticaux par branches sont nécessaires, des accords locaux dans une profession comme les services peuvent opérer des déblocages.
     L’attente est forte que la nouvelle loi sur la dépendance améliore la gouvernance nationale du système et aide à avancer vers de vrais métiers dans ce secteur professionnel ; les jalons sont posés à Rennes pour y contribuer par une politique territoriale cohérente où la qualité des emplois va de pair avec la qualité d’accompagnement des personnes fragilisées. Le choix des personnes âgées de rester le plus longtemps possible à leur domicile ne pourra être respecté qu’à ces conditions.