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Initiatives urbaines
#19
Les architectes nantais Barré et Lambot
RÉSUMÉ > Nous poursuivons une suite de portraits engagée dans Place Publique en compagnie des architectes-urbanistes ayant exercé à Rennes et Nantes. Toujours entre les deux métropoles, nous tournons le regard vers des architectes dont l’activité est plutôt dominée par la construction. La cinquantaine, disons dans « la force de l’âge », ils habitent tous l’une des deux grandes villes de l’Ouest. Après Clément Gillet, Michel Bertreux et Patrick Moreuil, Jean-Luc et Maxime Le Trionnaire, place au duo formé par les Nantais Philippe Barré et Agnès Lambot qui viennent tout juste de rhabiller d’une double peau métallique les tours Angleterre et Luxembourg du quartier d’habitat social de Malakoff

     Cinquante ans tout rond, tous deux sont nés la même année. 1962. Associés depuis le début des années 1990 et jeunes mariés depuis le mois d’avril. 2012. Longtemps vus comme un couple de brillants « jeunes-architectes » nantais, Agnès Lambot et Philippe Barré ont atteint ces dernières années les berges d’une maturité apaisée, aux commandes désormais d’une agence de près d’une vingtaine de collaborateurs. Visite chez eux au mitan du printemps.

PLACE PUBLIQUE> Jusqu’ici « architectes-architectes », voilà que les Barré-Lambot toucheraient à leur tour à l’urbanisme…

AGNÈS LAMBOT > Nous commençons tout juste, en effet, avec la Zac du Plessis à Saint-Nazaire, et le centre-bourg de SaintMalo-de-Guersac où nous sommes chargés, avec le paysagiste Guillaume Sevin, de préparer la construction de logements sur un ancien terrain de football que le diocèse vient de cé- der à la commune. D’une manière générale, nous nous sentons proches des positions des acteurs nazairiens, Sonadev , Carene , Silène …

PLACE PUBLIQUE > Et à Rennes ?

AGNÈS LAMBOT >
Les rapports sont différents : nous avons travaillé à Rennes à plusieurs reprises, mais à l’occasion de concours ou de commandes ponctuelles qui ne permettent pas de tisser le même type de dialogue sur le long terme. Dans ce cas-là, nous arrivons plutôt en bout de chaîne, lorsque toutes les réflexions urbaines ont été menées en amont. C’est particulièrement vrai pour le restaurant Taï Shogun que nous avons livré en 2009 à l’extrémité des quais, sur une parcelle aiguë à la rencontre du quai de Saint-Cyr et du mail François- Mitterrand. Ceci dit, nous sommes identifiés sur la scène rennaise. Nous avons pu nous en rendre compte en échangeant notamment avec Cécile Vignes, brillante architecte à la Ville de Rennes. J’ai le sentiment – paradoxal – que nous sommes mieux connus à Rennes que nous ne connaissons, nous, cette ville!

PHILIPPE BARRÉ > Il faut dire aussi que notre plus grosse opération à Rennes fut elle-même paradoxale: il s’agissait en effet d’un bâtiment pour ainsi dire « secret », disons plutôt secret-défense! Satellis 3, implanté au sein de la Zac Atalante Champeaux, où près de 400 personnes gèrent en toute confidentialité une bonne partie des PV glanés par les radars sur le bord de nos routes… Il s’agit d’un édifice-jumelé, une double barre de 100 mètres de long – si l’une des barres brûle, l’autre doit continuer à fonctionner, c’était la contrainte initiale –, d’une surface de 11 000 m2, tout de même! Mais toute photo de l’intérieur est proscrite… Un PC de crise – une salle de sports en temps normal – surplombe le bâtiment de restauration qui fait le lien entre les deux longues barres. Si une grave crise se déclare à Rennes, elle pourra être gérée depuis cet édifice. Les deux photos qui apparaissent sur notre site sont elles-mêmes très lointaines! Construit en un temps record, le bâtiment est entouré de caméras, ceint d’une clôture défensive et nousmêmes, les architectes, n’y avons pas accès.

PLACE PUBLIQUE > Difficile alors d’être identifiés en tant qu’architectes…

PHILIPPE BARRÉ >
Cela dit, nous sommes aussi sur les « listes » des architectes conviés à travailler en bonne intelligence avec les collectivités rennaises et les promoteurs du cru. Tout de même! Même si ce projet d’Atalante était un projet national, sans lien direct avec la mairie mais avec l’accord de ses services et celui, plus difficile, de l’architecte en chef d’Atalante Champeaux qui avait repris la suite d’Adrien Fainsilber, l’architecte de la Cité des Sciences à La Villette.

PLACE PUBLIQUE > Les listes ? Ce fameux cercle vertueux rennais…

PHILIPPE BARRÉ >
Si l’on compare avec la méthode nantaise, les choses me semblent en effet plus cadrées à Rennes, avec répartition raisonnée de la commande et des listes régulièrement renouvelées: chacun son tour! Mais c’est aussi une manière de déjouer les accords tacitement reconduits. À Nantes, les procédures me semblent plus ouvertes, mais aussi plus improvisées et intuitives.

PLACE PUBLIQUE > Où avez-vous fait vos premiers pas à Rennes ?

AGNÈS LAMBOT >
Un lieu d’enseignement et de recherche pour l’Inra achevé en 2003, en fait une extension et une restructuration du bâtiment Sciences du sol, pour lequel nous avions été désignés sur concours. La commande du restaurant Taï Shogun découle en revanche des liens que nous avions noué avec un promoteur, Gildas Girec, en construisant pour sa société, REN Investissements, des bureaux aux façades rouge vif à Orvault entre 2005 et 2008. Au même moment son épouse ouvrait un Taï Shogun sur l’Île de Nantes et elle nous a choisis pour concevoir son second à Rennes. Et son troisième, le panoramique Vertigo vient d’ouvrir ses portes aux derniers étages d’Ehundura, le cube blanc des architectes basques Leibar et Seigneurin toujours sur l’Île.

PHILIPPE BARRÉ > Nous construisons aussi des logements à Rennes pour Archipel habitat, et puis nous conservons un excellent souvenir des bureaux pour la Dde 35 que nous avons terminés en 2005 sur le quai Rébillon, le long du canal d’Ille-et-Rance, près de l’École d’architecture et dans la continuité de la Maison de l’éclusier.

AGNÈS LAMBOT > Et nous travaillons en ce moment sur deux projets issus de concours remportés pour le Rectorat sur les deux campus, l’un à Beaulieu et l’autre à Villejean.

PLACE PUBLIQUE > Le restaurant Taï Shogun est au bord de la Vilaine, la Dde 35 au bord du canal… Quel type de rapport Rennes entretient-elle avec l’eau?

AGNÈS LAMBOT >
Rennes est pour moi une ville sans eau, sans visibilité de l’eau, bref sans fleuve.

PHILIPPE BARRÉ > Tandis qu’à Nantes, avant même que ne soit lancé le projet de l’Île, l’eau a toujours été présente. Mais je pense, à l’inverse d’Agnès, que les berges rennaises sont très fréquentées et accueillent des usages variés avec un rapport à l’eau très « domestique », bien plus qu’à Nantes où le rapport est plus « institutionnel ».

AGNÈS LAMBOT > Oui, mais on n’y retrouve pas cette construction de la ville dictée par l’eau. À Nantes, presque tous les monuments entretiennent un lointain rapport à l’eau. Même s’ils en sont éloignés géographiquement, ils se tournent, ils soulignent, ils s’ouvrent… Partout les constructions y sont « à flot » – et à Bordeaux un cran au-dessus encore.

PHILIPPE BARRÉ > À Bordeaux, la ville, ce sont ses quais. À Nantes, nous n’y sommes pas. Il n’empêche, nous avions avec notre collègue hollandais Pierre Gautier travaillé avec passion au confluent de l’Erdre et de la Loire sur l’ancien stade Marcel-Saupin en 2005. Le site est emblématique de cette articulation entre les bâtiments publics et l’eau. Si l’on regarde bien, seuls les quais Malakoff et Magellan sont vraiment occupés par des logements mais je pense qu’il s’agit surtout d’une question d’orientation, en l’occurrence à l’ouest et au sud. Mais depuis nos débuts, nous travaillons sur ce rapport à l’eau ! Notre premier concours remporté, le second projet de l’agence, fut l’École des pêches aux Sables-d’Olonne face aux quais du Vendée Globe. Jusqu’à notre diplôme, qui portait sur le voisinage entre la Garenne-Lemot à Clisson et la Sèvre nantaise… Au fond, il s’agit toujours du rapport qu’un bâtiment entretient avec le paysage. Dans ce sens, notre projet le plus abouti, c’est Norkiouse qui présente ses logements au sud de la Loire, face à l’Île et face à la ville. Quant à notre agence, quai de Tourville, elle s’inspire d’un voyage à Rotterdam avec à la clé un passage dans celle de notre confrère Claus en Kaan face à la Meuse: l’ouverture, le reflet, la frontalité.

AGNÈS LAMBOT > Le milieu est toujours primordial. Nous cherchons, sur chaque projet, à éviter la gratuité. Plus l’environnement est marqué, plus le projet sera ancré.

PLACE PUBLIQUE > Nous sommes ce que nous faisons de ce que l’on a voulu faire de nous… On en dira autant d’un projet et de son site?

PHILIPPE BARRÉ >
Nous avons toujours essayé de construire le vide. Un espace ouvert emmène inévitablement le projet vers un ailleurs tout en posant directement la question de l’échelle: comment contenir le vide? Il est aussi question d’émotion, toujours difficile à restituer, à exprimer verbalement. Certains architectes y sont parvenus, je pense en particulier à Luigi Snozzi. Construire un pont dans une vallée: être en rupture avec la nature tout en la révélant du même coup.

PLACE PUBLIQUE > C’est l’intégrale du paysage, qui nous renvoie à Vittorio Gregotti…

PHILIPPE BARRÉ >
Et à son célèbre bâtiment linéaire pour l’université de Calabre, l’image a traversé les années 1970 et 1980, bref nos années étudiantes qui furent centrées autour de la figure d’Aldo Rossi et du genius loci : le vide est un événement, une place est un fait urbain… C’est ce que nous avons cherché à rappeler avec les bureaux et les logements qui ont succédé au Tripode sur l’Île de Nantes, longtemps bâtiment emblématique de la ville, marquant son entrée sud, à l’échelle du grand paysage, entretenant une résonnance avec la Tour Bretagne… Une implosion, c’est un événement urbain, et nous nous devions d’y faire référence en construisant à cet endroit-là: monter le plus haut possible, frontalement et de la manière la plus solennelle possible.

PLACE PUBLIQUE > Ce qui n’est pas vraiment le cas de l’opération voisine conçue pourtant par Christian de Portzamparc, prestigieux prix Pritzker, dont le macro-lot ressemble plutôt à un château-fort introverti témoignant de logiques financières désormais implacables…

PHILIPPE BARRÉ >
Attendons… Ce Tripode, nous avions tellement défendu l’idée qu’il ne fallait pas le démolir, qu’amenés à y construire quelque chose de nouveau, nous étions mis au défi. Faire face au vide, calmement.

PLACE PUBLIQUE > Si vous deviez compléter le tableau des architectes qui vous ont marqués…

PHILIPPE BARRÉ >
Fernand Pouillon, sans hésiter, l’architecture silencieuse de Patrick Berger – même si Agnès n’est pas toujours d’accord! – et puis Louis Arretche, pour son travail dans la région, à Nantes autant qu’à Rennes où nous avons été très honorés de travailler, avec le Taï Shogun, dans le voisinage visuel immédiat de cette tour étrange qu’il avait conçue pour le centre des télécoms – aujourd’hui bien mal en point, ma foi. Anthony Rio, de l’agence nantaise et parisienne Unité, doit bientôt le réhabiliter.

PLACE PUBLIQUE > Simplicité, régularité, construction, retenue, rigueur… Ce sont les leçons de vos années étudiantes ?

AGNÈS LAMBOT >
Des questions inquiètes adressées à la modernité et une lecture attentive de la ville, et puis des enseignants, Thierry Roze, Jean-Jacques Treuttel et Jacques Scavennec. Tous s’appuyaient beaucoup sur la référence et initiaient un travail « à partir de », cultivé et informé. Je relève d’ailleurs chez les plus jeunes un effacement progressif de ce rapport culturel à la référence qui m’inquiète un peu!

PHILIPPE BARRÉ > Nous avons longtemps pensé qu’il valait mieux savoir bien reproduire que mal inventer. On n’invente rien! Sauf par manque de culture… Nous avons été inspirés par l’architecture moderne, mais toujours en ville: plutôt Perret et Roux-Spitz que Le Corbusier…

AGNÈS LAMBOT > D’où mon dépit de voir aujourd’hui ripoliné de pliolite blanche le bâtiment du CHU de Nantes conçu par Roux-Spitz. Un bâtiment tout en pierre, pourtant !

PLACE PUBLIQUE > Dans quelle mesure les grands projets urbains rennais et nantais des années 2000 ont-ils renouvelé les écritures architecturales ?

AGNÈS LAMBOT >
J’y vois pour ma part, dans les quartiers péri-centraux, la confirmation des grands principes d’alignement, de soubassement et de gabarit urbains, mais aussi l’arrivée concomitante d’une forme de maniérisme: ah, le brise-soleil sur la façade nord et les petits poteaux systématiques…

PHILIPPE BARRÉ > Je demeure pour ma part un peu sceptique face à l’idée de ville archipel qui génère trop de « nouveaux quartiers » souvent artificiels. Je me méfie de la ville à la campagne…

AGNÈS LAMBOT > Cela dit, ce n’est pas spécifique à Rennes, et nous venons d’éprouver le même sentiment rue Rebière, en plein Paris si l’on peut dire. Je crois que le principal défaut de l’architecture consiste à vouloir s’individualiser à tout prix. La rue Rebière n’est pas une rue mais une succession de séquences.

PHILIPPE BARRÉ > Je pense qu’à Nantes, nous avons plus souvent la chance de construire dans du déjà-constitué, dans un espace qui génère ses propres limites avec des traces et des contraintes. Même à la Bottière-Chénaie, le réseau viaire et les trames maraîchères ont offert une première structure sur laquelle repose le nouveau quartier.

PLACE PUBLIQUE > Alors, plus facile de construire sur l’Île à Nantes que dans la lande à Saint-Jacques ?

PHILIPPE BARRÉ >
Incontestablement, même si Saint- Jacques est une expérience plutôt réussie compte tenu de la difficulté initiale, proche de l’utopie. Peut-être un maire y aura-t-il été pour quelque chose?

AGNÈS LAMBOT > Alors que Nantes était encore un peu en sommeil, les Zac rennaises nous ont beaucoup inspirés au début des années 1990.

PHILIPPE BARRÉ > L’heure du réveil – et de la couture urbaine – a sonné à Nantes avec la Zac Madeleine-Champde- Mars.

AGNÈS LAMBOT > Où l’on retrouve ce ciment de la banalité qui manque si souvent aux Zac et autres « nouveaux quartiers ».

PLACE PUBLIQUE > Comment donc estomper ce sentiment pénible d’entrer dans un « nouveau quartier », daté avant même qu’il n’ait eu le temps de vieillir ?

PHILIPPE BARRÉ >
En réinventant les règles limitées de la Zac, à ses origines un simple outil foncier, faut-il le rappeler, dont on a pourtant fait le coeur du projet architectural et urbain… Chercher à jouer sur les combinatoires architecturales, retrouver les raisons profondes de l’îlot devenu en chemin une telle évidence pour chacun que l’on ne cherche même plus à le questionner. Retrouver le sens de la mitoyenneté, perdu dans nombre de Zac où prévalent les architectures autonomes et donc gesticulatoires, ou trop démonstratives et qui donnent l’impression de la belle cafetière accompagnée de ses tasses, le tout bien disposé sur son plateau d’argent. Certes, respecter les règles minimales de gabarit et de rapport au sol, mais aussi de matériaux et de politesse entre les bâtiments. C’est pour moi une telle aberration que de voir le logement gesticuler !

PLACE PUBLIQUE > Quels sont, à votre avis, les territoires de projets au sein de ces deux métropoles ?

AGNÈS LAMBOT >
Arrivant de Nantes par la voie express, je ne me lasserai jamais de la vision que l’on a aux alentours de Bain-de-Bretagne, là où Rennes se déploie: la ville dans toute son étendue au sommet d’un talus. À ma connaissance, aucun endroit n’offre une telle perspective sur Nantes.

PLACE PUBLIQUE > Peut-être l’émergence de la Tour Bretagne aux alentours de Saint-Mars-du-Désert…

AGNÈS LAMBOT >
Ce n’est pas comparable. Là, on a soudain la vision d’une ville très unitaire tout en étant ponctuée de signaux et de tours. De ce type d’endroit, oui, on peut voir la ville se développer.

PHILIPPE BARRÉ > Je pense pour ma part au sommet de la Butte Sainte-Anne, d’où l’on peut à Nantes donner un sens au développement du Sud-Loire dans la perspective de l’Île. Sur un plan plus professionnel, tout comme on a pu identifier le travail d’Oriol Bohigas à Barcelone, il est toujours bon signe de pouvoir associer sur une période le destin d’une ville au talent d’un architecte, quels que soient par ailleurs les dangers qui peuvent accompagner cette relation de proximité: on sait à qui s’adresser et qui est responsable.

PLACE PUBLIQUE > C’est un peu le rôle qu’a tenu Dominique Brard à Rennes… Et Alexandre Chemetoff à Nantes ?

PHILIPPE BARRÉ >
Sur l’Île, oui.

PLACE PUBLIQUE > Et à côté, de l’Île…

PHILIPPE BARRÉ >
Il a contribué, c’est vrai, avec Michel Velly, à féconder l’ouverture culturelle des élus nantais au cours des années 2000. Mais il aurait dû aller au-delà, poursuivre par exemple ses interrogations sur le Bas- Chantenay. En passant, cela pose aussi la question du périmètre opérationnel d’une Sem telle que la Samoa.

PLACE PUBLIQUE > Le Bas-Chantenay, en voilà un territoire de projets !

PHILIPPE BARRÉ >
Le potentiel de ce secteur est indéniable. La Ville du futur se fera là, dans la reconstruction sur elle-même.

PLACE PUBLIQUE > Ces deux scènes, nantaise et rennaise, comment voyez-vous s’y déployer la « société des architectes »?

PHILIPPE BARRÉ >
Alors qu’au cours des années 1990, heures de gloire du « néo-moderne », nous louchions plutôt sur Rennes et Saint-Jacques-de-la-Lande, peut-être ces dernières années l’architecture produite à Nantes aura-t-elle bénéficié d’une plus grande visibilité. Je crois que l’action d’Alexandre Chemetoff a aussi été à l’origine d’une saine émulation entre architectes à Nantes. Nous avons assisté chemin faisant à un déplacement des centres d’intérêts : être à Nantes aujourd’hui est aussi synonyme d’ouverture vers un ailleurs. Même si un Parisien peut toujours venir en toute sérénité travailler à Nantes, mais si vous n’êtes pas parisien, il est pratiquement inenvisageable de songer travailler à Paris ! Province: il y a Paris et les provinces. Quand on vous appelle, on dit de vous que vous êtes en Province, que vous soyez basé à Marseille, Bordeaux ou Nantes… Mais en retour je n’éprouve pour ma part aucun complexe, plutôt le sentiment d’une culture désormais partagée. Par exemple, la hiérarchie semi-consciente des écoles d’architecture, qui prévalait encore il y a une vingtaine d’années, n’a plus aucune validité. Les écoles de Rennes ou Nantes sont aussi reconnues que les parisiennes au niveau national. Et puis je pense aux jeunes pousses nantaises, les Berranger-Vincent, Block, Guinée-Potin, d’autres encore: tous primés au cours de la décennie passée. Nantes a sans doute pris au passage une longueur d’avance sur Rennes et cette nouvelle génération a créé une émulation.

AGNÈS LAMBOT > La scène nantaise m’apparaît plus ouverte, mais il est vrai que son activité au cours de la décennie passée a pu aussi susciter quelques envies. Cela ne nous empêche pas de rester proches de nos amis rennais comme David Cras ou de nos compagnons de voyage comme Yves-Marie Maurer.

PHILIPPE BARRÉ > Nous regardons aussi attentivement le travail des Briochins Nathalie Coquard et Jean-François Colleu.

PLACE PUBLIQUE > Pensez-vous qu’une « école » a pu se cristalliser ces dernières années en Bretagne, entre Nantes et Rennes, un peu à l’image des Tessinois ou des Barcelonais dont nous avons parlé auparavant ?

AGNÈS LAMBOT >
Lorsque nous, Forma 6, Tetrarc, Garo- Boixel…, avons débarqué au début des années 1990, il est vrai que le paysage était ouvert et dégagé en Bretagne avec à la clé la possibilité de « faire ». Et puis l’envie, bien entendu. Je parlerais d’un « régionalisme éclairé » en pensant aux écrits de l’historien Daniel Le Couédic. Cette modernité ouverte nous a dès lors permis d’intervenir un peu partout, et en premier lieu au sein des petites communes, ce qui n’est pas si courant dans toutes les régions de France! J’en parle en connaissance de cause puisqu’en tant qu’Architecte-Conseil de l’État, j’ai été amenée à sillonner plusieurs d’entre elles. Les petits bâtiments publics ont ainsi offert un remarquable terrain d’expression dans toute la Bretagne. Je n’en dirais pas autant de la commande de logements, surtout lorsqu’elle était privée – mais avec un décalage d’une quinzaine d’années, les deux tendent à se rejoindre. Bien entendu, je ne parle pas de la maison individuelle qui demeure un univers à part entière!

PHILIPPE BARRÉ > Un courant de pensée s’est dessiné en effet avec l’émergence d’une génération d’architectes autour d’une modernité revisitée conjuguée à la notion de « ville européenne ». Aujourd’hui, les écritures m’apparaissent plus éclectiques, sinon plus « génériques ». Mais l’architecture a encore son mot à dire.