Nous poursuivons une suite de portraits engagée dans Place publique en compagnie des architectes-urbanistes ayant exercé à Rennes et Nantes. Toujours entre les deux métropoles, nous tournons le regard vers des architectes dont l’activité est plutôt dominée par la construction. La cinquantaine, disons dans « la force de l’âge », ils habitent tous l’une des deux grandes villes de l’Ouest. Après Clément Gillet, Michel Bertreux et Patrick Moreuil, Jean-Luc et Maxime Le Trionnaire, le duo nantais Philippe Barré et Agnès Lambot, le Rennais David Cras, place à l’architecte nantaise Gaëlle Péneau qui montre en ce début d’année 2013 les dernières réalisations de son agence GPAA à la Galerie d’architecture à Paris, rue des Blancs-Manteaux. Le titre de l’exposition, Du projet au motif, ce qui se trame, résume le parti de l’agence autour de ses derniers chantiers, le Théâtre 95 qui vient d’être livré à Cergy-Pontoise, les locaux universitaires Porte de Clignancourt à Paris, le lycée professionnel Ampère à Vendôme et la cité éducative Nelson-Mandela à Angers, et à Nantes enfin, des logements sur l’Île (DT6-Noon) et l’extension de l’hôpital Saint-Jacques.
Gaëlle Péneau peut regarder d’un peu plus haut désormais la scène architecturale nantaise telle qu’elle s’est construite au fil des années 2000. Aux rivages de la soixantaine, elle souhaite désormais transmettre le savoir et l’expérience acquis sur la scène nantaise qu’elle aura contribué à animer en présidant la Maison régionale de l’architecture des Pays de la Loire, créée en 2004 avec Clarisse Crouigneau. Inscrite à l’École d’architecture de Nantes en 1971, elle fit partie des toutes premières promotions de l’enseignement rénové de l’après-68, encore très expérimentales et traversées par les longs conflits caractéristiques de l’époque. Tout était à (ré)inventer, avec les risques inhérents à l’exercice.
Des époques, Gaëlle Péneau en a donc vécu plusieurs. Elle a monté son agence en 1994, entreprise collective comme l’indique son acronyme GPAA – pas si fréquent chez les architectes. Gaëlle Péneau Architecte et Associés : Thierry Bellanger, architecte, et Muriel Laisse, gestionnaire, en étaient dès les débuts, comme des passeurs entre la vie d’avant et celle d’après. S’il y eut en effet un moment tournant dans la carrière de Gaëlle Péneau, ce fut ce sacré concours pour la Cité des congrès, remporté en co-traitante avec Yves Lion qu’elle était allée chercher à Paris comme une grande, et avec Xavier Ménard pour la première phase. La suite sera plus difficile, jusqu’à la rupture, saignante, elle y revient au fil de cet entretien.
À la fin des années 1980, dans un petit coin de l’agence des « jeunes » Gaëlle et Dominique Péneau, déjà bien lancés par la construction du lycée Bougainville, achevée à la rentrée 1985, il y avait Philippe Barré qui faisait ses premières armes sur ce concours. Il passait ainsi du Castelbriantais Xavier Ménard à l’agence des Nantais Gaëlle et Dominique Péneau au fil de l’avancement du projet, passionnant et ô combien structurant pour l’avenir de ce quartier : on l’a compris depuis. Les années 1980 virent ainsi les architectes français renouer avec la forme, passée au second plan tout au long de la décennie précédente au nom d’impératifs politiques et militants. Ces retrouvailles furent progressives, malhabiles parfois, un peu démonstratives ici ou là, mais on peut certainement lire l’émergence et l’évolution du dessin de cette Cité des congrès comme l’un des jalons, importants, de ce processus. Tout se croise, au fond, dans cette grande ville de Nantes, et c’est un peu ce que nous raconte cet entretien avec une architecte qui vient de sauter le pas en s’installant (aussi) à Paris: la première à le faire dans notre série de dix-huit portraits1 !
PLACE PUBLIQUE > Quel regard portez-vous sur ces deux villes, Nantes et Rennes ?
GAËLLE PÉNEAU > Avec l’estuaire et la proximité qu’elle entretient avec la mer, je perçois Nantes comme une ville ouverte et aérée, balayée par les vents d’Ouest. Une ville libre tant pour les rapports qu’elle entretient avec son territoire que dans sa capacité à absorber la créativité et l’expérimentation. Rennes s’est en revanche implantée dans une géographie bien différente, au milieu de la Bretagne, et elle a pu conserver un patrimoine architectural important dont ne dispose plus Nantes, ville bombardée. Rennes, pour moi, c’est le granit. La ville a ainsi longtemps cherché son style pour se reconstruire sur elle-même. Dans ce voisinage avec le patrimoine, l’architecture contemporaine a dû s’y plier, comme ailleurs, à l’expression des matériaux bruts, le béton, le bois… D’une certaine manière, la modernité architecturale du début du 20e siècle est elle-même devenue patrimoine, et c’est aujourd’hui le seul vocabulaire admis et légitime dans le voisinage immédiat d’ensembles plus anciens. Rennes n’y échappe pas.
PLACE PUBLIQUE > D’où vos réticences à y travailler ?
GAËLLE PÉNEAU > Même si une évolution se fait sentir depuis peu, Rennes était à mon sens plus réceptive au travail de certains confrères, talentueux, comme Jean Guervilly, David Cras, les Barré-Lambot, Alexandre Chemetoff…
PLACE PUBLIQUE > Comment expliquer alors qu’Alexandre Chemetoff n’ait pas particulièrement cherché à réemprunter ce lexique sur l’Île de Nantes ?
GAËLLE PÉNEAU > Parce qu’il a évolué, Alexandre Chemetoff! Ce n’est pas le même architecte ni le même urbaniste qui a travaillé sur les Berges de Vilaine au cours des années 1990 et sur l’Île au cours des années 2000. Il a en chemin quitté son père2, au sens figuré, pour se rapprocher, par exemple, d’une figure comme Patrick Bouchain. C’est du moins ainsi que je comprends sa trajectoire.
PLACE PUBLIQUE > De fait, il était arrivé à Rennes il y a vingt ans, en 1991…
GAËLLE PÉNEAU > En vingt ans, il est tout de même possible de changer, non? Il a donc changé, et à mon avis avec bonheur dans une manière renouvelée qui coïncide avec son arrivée ici, comme un déclic.
PLACE PUBLIQUE > Ce fut un déclic général alors, à Nantes, au début des années 2000?
GAËLLE PÉNEAU > Oui, je crois que l’on pourrait décrire les choses ainsi, en y ajoutant l’ouverture du Lieu Unique. Au cours de la même période, Rennes est en revanche restée dans son classicisme moderne. Je me souviens juste des éclaircies suscitées par les activités de la Galerie La Plateforme3 au milieu de ce modernisme un peu froid, avec au passage quelques caricatures comme celles que l’on peut voir à Saint-Jacques-de-la-Lande. Je ne sais pas ce qu’en pensent les Rennais, mais pour ma part, je n’aime pas cette modernité pauvre et sévère.
PLACE PUBLIQUE > Il se trouve que, là aussi, c’est le même architecte-urbaniste, Jean-Pierre Pranlas-Descours, qui a conduit les opérations à Saint-Jacques et à Nantes avec l’écoquartier Bottière-Chénaie… Aurait-il lui aussi changé en passant d’une ville à l’autre?
GAËLLE PÉNEAU > Non! Malheureusement… Il s’agit pour moi du même type d’urbanisme à la Bottière et à Saint- Jacques. Il y a quelque chose de réglementaire dans cet urbanisme qui m’ennuie profondément.
PLACE PUBLIQUE > Avec cependant une vertu écologique soulignée à la Bottière…
GAËLLE PÉNEAU > Oui, mais cette vertu-là est devenue entre- temps un passage obligé pour notre époque.
PLACE PUBLIQUE > Chemetoff préfère déroger… Justement, après son départ un peu précipité, comment s’est passé l’intérim que tu as assuré durant un semestre pour maintenir la continuité des projets sur l’Île?
GAËLLE PÉNEAU > Stéphanie Labat et Soizick Angomard [alors directrices adjointes de la Samoa, la société d’aménagement de l’Île de Nantes] m’ont en effet conviée à assurer la continuité des études de faisabilité qui, sinon, auraient bloqué l’avancée du projet urbain. Il a notamment fallu lancer assez rapidement les appels d’offres auprès des promoteurs pour le Quartier de la création: quantifier les surfaces, esquisser des gabarits et les soumettre à des opérateurs. On me donnait un terrain, je consultais le plan-guide et la pré-faisabilité dessinée par Alexandre Chemetoff, et puis j’en déduisais un premier volume, un peu comme un architecte qui amorce une première réflexion à partir d’un programme, en somme la phase initiale d’un projet, et pour moi, un exercice qui s’apparente au fond à l’architecture plutôt qu’à l’urbanisme.
PLACE PUBLIQUE > La mission s’est prolongée jusqu’à la désignation de Marcel Smets et uapS…
GAËLLE PÉNEAU > J’ai également participé à quelques jurys et à des réunions avec des architectes avançant leurs projets, notamment avec l’architecte rennais Clément Gillet pour un immeuble de logements dans le faubourg Mangin, bloqué après qu’Anne-Mie Depuydt a pris ses fonctions.
PLACE PUBLIQUE > Clément Gillet m’avait dit en effet conserver un excellent souvenir de ses échanges avec Alexandre Chemetoff sur la petite tour de la Perle noire, et beaucoup regretter son départ4. Autant Chemetoff était rond et ouvert, autant Depuydt lui avait semblé stricte et cassante.
GAËLLE PÉNEAU > C’est aussi la règle, lorsque l’on arrive sur un projet urbain lancé depuis une dizaine d’années, de chercher à rebattre les cartes. Et puis c’était un endroit clé, sur le boulevard Victor-Hugo. D’une certaine manière, je comprends qu’elle ait souhaité reprendre la main sur l’histoire de ce projet. Pour ma part, j’ai beaucoup aimé cet intérim et le travail sur les projets des architectes.
PLACE PUBLIQUE > C’est une forme de dédoublement…
GAËLLE PÉNEAU > Un peu, même si la plupart des architectes qui font de l’urbanisme continuent à construire, Nicolas Michelin, Christian de Portzamparc, Bernard Reichen… D’ailleurs, le principe même du macro-lot5, en vogue sur le Trapèze à Boulogne ou sur certains ensembles de l’Île de Nantes comme Yléo sur l’ancien Tripode, accentue encore cette interpénétration des genres.
PLACE PUBLIQUE > Vous vous êtes installée voici trois ans à Paris, quelles leçons en tirez-vous ?
GAËLLE PÉNEAU > J’ai été encore renforcée, le vivant désormais de l’intérieur, dans ma conviction que nous vivons toujours dans un pays décidément centralisé. On arrive presque à l’oublier loin de Paris! Mais il faut absolument être connu et identifié là-bas sinon tout un pan de l’activité vous échappe et vous n’existez même pas. Je dirais qu’à tout prendre, il faut s’y installer ou bien alors ne jamais y mettre les pieds. Il y sévit une concurrence de chien. Cette ville est rude. Il faut être jeune et pouvoir sortir tous les soirs tout en bossant toute la journée.
PLACE PUBLIQUE > Nantes ne vit pas de la même manière?
GAËLLE PÉNEAU > Si, Nantes fonctionne aussi sur le même mode, mais si Paris roule à 100 à l’heure, alors Nantes roule à 20 à l’heure.
PLACE PUBLIQUE > Ou plutôt, à Nantes, une petite dizaine d’agences fonctionnent sur ce mode, alors qu’à Paris, ce sont 200 à 300 agences qui tournent à ce rythme… Pourquoi avoir choisi Paris ?
GAËLLE PÉNEAU > Nous y avions construit des logements dans la ZAC Masséna au milieu des années 2000, sans avoir eu jusqu’ici besoin de nous y installer. Sachant que beaucoup d’agences parisiennes n’ont jamais ou très peu construit dans Paris… Mais j’ai décidé de transmettre, vendre une partie de mes parts de l’agence à des associés plus jeunes, Sylvain Lerays et Delphine Coriou, pour les engager plus fortement dans la structure. Et s’installer à Paris, c’était un moyen de pousser Sylvain, qui était volontaire, à y tisser des liens avec des gens de sa génération, les quarantenaires, que pour ma part je ne connaissais pas, tout en étant mouillé dans ce bain du quartier de la rue Saint-Maur et du bas-Belleville…
PLACE PUBLIQUE > L’aventure parisienne! Mais cette pérennité de la structure, vous auriez pu la chercher plus près, en essayant par exemple de mieux vous implanter à Rennes où vous aviez réalisé Ker Lann, la faculté des métiers à Bruz, dès 2000…
GAËLLE PÉNEAU > Ker Lann a été un grand moment, avec une très belle aventure vécue avec un maître d’ouvrage6 qui nous a fait confiance et s’est laissé séduire. Et c’était un gros projet7. Mais Bruz, pour moi, ce n’est pas Rennes! D’ailleurs je m’en suis rendu compte en travaillant vraiment à Rennes trois ans plus tard sur une opération de logements, route de Lorient, qui ne s’est pas bien passée du tout, simplement parce que l’on nous y a contraint à faire du néo-moderne qui n’est pas du tout notre style d’écriture. Lors de la présentation de notre premier projet à l’architecte des services de la Ville de Rennes, un projet développé sur une histoire que nous nous racontions à propos des liens avec les mitoyens, de la lumière, de la couleur…, j’ai cru que notre interlocuteur allait être victime d’une attaque cardiaque! Et il n’a cessé par la suite de chercher à écraser notre projet.
PLACE PUBLIQUE > Résultat des courses ?
GAËLLE PÉNEAU > Pour finir, nous avons lâché: nous avons recouvert le bâtiment d’enduit blanc, travaillé sur une équerre qui se retourne puis posé l’immeuble dessus… Voilà, mais je n’en suis pas fière8. Après cette expérience malheureuse, je me suis dit que je ne pourrai décidément jamais travailler sur le territoire rennais. Enfin, pas tout à fait: lorsque Paola Vigano a été choisie au début des années 2000 pour conduire avec Bernardo Secchi le projet urbain de La Courrouze, j’ai perçu comme une lueur dans le ciel rennais ! Nous avons été pré-sélectionnés pour un oral de concours pour des bureaux. Je m’étais renseignée au préalable, demandant s’il était utile de dessiner quelque chose, une esquisse, une ébauche de projet, ou s’il s’agissait seulement d’un échange verbal avec le jury avant d’avancer le projet par la suite avec un promoteur. On m’avait répondu que l’on connaissait mes réalisations et que l’on souhaitait seulement échanger. Et lorsque je suis entrée dans la salle, elle était noire: le candidat qui me précédait avait donc projeté quelque chose! J’en ai été complètement déstabilisée, nue pour ainsi dire, sans images, sans rien avoir à présenter…
PLACE PUBLIQUE > En revanche, les promoteurs rennais sont « descendus », comme on dit, à Nantes, et vous avez travaillé avec eux…
GAËLLE PÉNEAU > Giboire, en effet, mais un promoteur ne fonctionne pas comme les services d’une collectivité territoriale! Ce qui caractérise avant tout un promoteur, c’est sa faculté d’adaptation.
PLACE PUBLIQUE > Il doit construire pour vendre, et vendre pour construire…
GAËLLE PÉNEAU > Et il saura se plier, généralement avec souplesse, aux us et coutumes de chaque ville et aux tendances dominant chaque scène architecturale locale. S’ils travaillent bien, ils savent tout à l’avance! S’ils viennent vous chercher en tant qu’architecte pour les accompagner sur un projet, c’est parce qu’ils se seront auparavant renseignés sur votre compte pour évaluer si vous serez ou non un atout dans le montage de leur projet. Ce sont de véritables renards, les promoteurs, par le fait même de leurs conditions d’exercice. C’est leur job.
PLACE PUBLIQUE > Sur cette scène nantaise que vous connaissez comme votre poche pour y exercer depuis trente-cinq ans désormais, quelles sont les personnalités qui vous auront marquée?
GAËLLE PÉNEAU > Yves Lion! J’aurai vraiment souffert de notre collaboration sur le concours pour la Cité des congrès au milieu des années 1980. Nous nous étions installés, avec Dominique [Péneau], en 1982. Nous avons appris qu’un concours se tiendrait pour cette Cité des congrès. « Jeunes architectes ligériens », comme on dit aujourd’hui, et un peu lancés déjà avec le lycée Bougainville à Chantenay [1985], nous nous disons après un petit tour d’horizon: allons chercher Yves Lion pour partir avec lui sur ce concours! Rendez-vous à Paris, et après un moment de réflexion, il est d’accord pour un projet ensemble en co-traitance. Sélectionnés sur le concours, nous commençons à travailler avec François Leclercq et Bernard Althabegoïty qui étaient à l’époque salariés chez lui. Yves Lion dessine le parti: la grande salle sera circulaire, parce qu’il s’agit d’un édifice appelé à rayonner régionalement, et elle se posera sur la rive droite du canal. Quant au Palais des congrès proprement dit, il se posera de l’autre côté, le long de l’avenue, et sa grande halle fonctionnera avec la ville. Sa forme rectangulaire permettra des extensions futures. C’était très intelligent. D’ailleurs, tout le quartier a continué à s’agrandir sur cette trame rectangulaire jusqu’au Lieu Unique. D’une manière générale, il y avait derrière ce projet l’idée que nous étions sur une forme ouverte indiquant les grandes lignes d’une croissance urbaine encore à venir sur ce site. En dessinant ce plan-masse, Yves Lion découpe aussi les parts de chacun: à vous le rectangle du Palais des congrès, à moi la grande salle. Banco: chacun travaille sa partie en vue du concours tout en nous réunissant régulièrement pour conserver un regard réciproque sur ce que chacun faisait. Nous avons eu, par exemple, l’idée d’enterrer la salle de 800 places, tandis que l’atelier d’Yves Lion élaborait la coupe transversale et les hauteurs sur la ville, et que nous, de notre côté, gérions la distribution plus fine de ce volume général, par exemple les vides surplombant les amphis… Bref, l’avancement d’un grand projet à deux équipes. La charrette finale s’était tenue chez nous, à Nantes. Arrive l’oral. Nous y allons tous deux avec Yves Lion. Un moment inoubliable. 1989, j’avais 36 ans. Un trac fou, face au conseil municipal, dans « ma » ville, et aux côtés d’Yves Lion, 45 ans, mais déjà une stature impressionnante9. Cet oral, je l’ai appris par coeur, répété… J’avais même vu un conseiller en communication, à l’époque! À Rezé. Et je déroule cet oral comme une histoire: un ami vient me rendre visite à Nantes, il arrive à la gare sud en TGV, nous cheminons ensemble vers le Palais des congrès pour assister à un colloque sur la construction navale, nous croisons le directeur qui nous invite dans son bureau… Avec cette histoire, j’invite le jury à visiter tout le bâtiment. Une saynète un peu risquée, mais un succès total et les sourires, très vite, sur les bobines du jury – pendant qu’Yves Lion, de son côté, avait marmonné sa présentation! Tout cela pour dire combien nous nous étions investis sur ce concours. Le contrat de l’équipe victorieuse comprenait une tranche ferme jusqu’à l’avant-projet sommaire et une tranche conditionnelle pour la suite. Nous étions donc ensemble au moins jusqu’à l’avant-projet sommaire, mais tout le long de cette phase-là, Yves Lion cherchera constamment à nous évincer du projet.
PLACE PUBLIQUE > Pourquoi ?
GAËLLE PÉNEAU > Je crois qu’il ne sait pas partager, tout simplement. Il nous a attaqués avec un char d’assaut: tu sais Gaëlle, je connais très bien le groupe Accor, donc c’est moi qui vais faire l’hôtel! Alors que nous avions rédigé un document qui lui attribuait la grande salle et nous laissait le volume du Palais des congrès. J’étais tellement contente que j’ai commencé par céder. Bon, l’hôtel ce n’est pas grave, il le fera… Et ainsi de suite! La grande halle, tu comprends, c’est très important, il ne faut pas se louper, je prends les études… Et puis comme la salle de 800 places se trouve juste au-dessous… Chemin faisant, j’en suis tombée malade tellement cette lutte a été violente. Quelle déconvenue! Pour finir, il est allé jusqu’à nous proposer de ne dessiner que les façades! Au bout du compte, nous avons rendu l’avant-projet et il nous a virés. Alors oui, Yves Lion est une figure qui m’aura marquée!
PLACE PUBLIQUE > Et des figures qui vous auront positivement marquée?
GAËLLE PÉNEAU >Philippe Duboy, mon directeur d’études à l’école pour mon diplôme10. Il m’aura marquée par son humanité, sa folie et son amour de l’architecture. Il m’a fait comprendre Clisson, par exemple. Mais il ne faut jamais oublier que l’univers des architectes est un monde d’hommes, à la jonction entre les univers culturels et le monde du bâtiment. Aujourd’hui, je ne me laisse plus impressionner par ces jeux de pouvoir, je m’en amuse même, mais à l’époque j’étais probablement influençable et trop respectueuse vis-à-vis de ces enjeux et de ces hommes. Certains me faisaient même très peur. Quand j’y repense! Lorsque j’ai dû présenter notre premier projet pour le lycée Bougainville à Georges Evano à la mairie, quel trac! Ceci dit, Evano était indéniablement une personnalité.
PLACE PUBLIQUE > Quel regard rétrospectif portez-vous sur votre parcours ?
GAËLLE PÉNEAU > Je vois plutôt mon parcours comme un chemin solitaire qui débute avec des bâtiments hospitaliers pour lesquels l’architecte évolue de manière autonome, en liaison avec sa maîtrise d’ouvrage, mais sans avoir besoin d’en passer par les élus. Dans un hôpital, les questions sont fonctionnelles avant d’être politiques. Elles sont complexes, mais je me sentais capable d’y répondre. Et puis je suis une femme, et il n’est pas si facile de tisser des relations apaisées dans cet univers d’hommes. Ce créneau hospitalier me convenait donc parfaitement. Il m’a permis de mûrir sereinement et de tisser des réseaux avant de me confronter, après 50 ans, à d’autres enjeux. Les femmes, seules et non en duo, chefs d’agences, il y en a encore et toujours très peu.
PLACE PUBLIQUE > Mais le BTP, la politique et la promotion immobilière ne sont guère réputés pour êtres des milieux très féminins !
GAËLLE PÉNEAU > J’y ajouterais volontiers le monde des « grands-architectes »… même si je me refuse à porter systématiquement l’étendard des femmes architectes.