L’Observatoire régional de la santé a publié il y a quelques mois une actualisation de l’épidémiologie des cancers en Bretagne. Cette étude rapportée organe par organe, présente l’intérêt de permettre une comparaison de la situation sanitaire bretonne avec celle du reste du territoire français. Une analyse plus détaillée présente les résultats par territoire de santé et par pays. Une première lecture du rapport permet de mettre en évidence des différences importantes entre la Bretagne et la France métropolitaine. De tels résultats méritent qu’on s’y arrête et que l’on essaie de comprendre les raisons de ces disparités. Cette réflexion se veut comme une contribution modeste à nos politiques de santé publique.
Tout d’abord le constat. Globalement, les décès par cancer représentent en Bretagne 33 % de l’ensemble des décès masculins et 21 % des décès féminins. Ceci correspond à une surmortalité de 10 % pour les hommes (comparativement à la moyenne nationale) et à une légère sous-mortalité, mais peu significative, pour les femmes. Si on analyse plus finement l’épidémiologie bretonne par territoire de santé, on constate chez les hommes une surmortalité relative à Brest (113), Lorient et Saint-Malo et une sous- mortalité à Fougères (77). Mais globalement la surmortalité masculine reste de 10 % supérieure à la moyenne nationale… Pour les femmes, la mortalité est relativement homogène dans l’ensemble de la région.
Les cancers masculins sont majoritairement localisés aux poumons, à la sphère ORL (y compris l’œsophage) et à la prostate. Le cancer colorectal ne vient qu’en 4e position. Une surmortalité importante par rapport à la moyenne française concerne les tumeurs ORL (+ 39 %), de l’estomac (+ 27 %), de la prostate (+ 13 %) et le mélanome (+ 24 %). Les cancers de la prostate sont plutôt d’apparition tardive (85 % surviennent après 65 ans), la mortalité prédominant après 70 ans avec un pic de décès entre 80 et 84 ans.
Chez la femme, c’est bien entendu le cancer du sein qui demeure le plus fréquent, bien que son incidence soit équivalente en Bretagne à celle de la France. La maladie survient dans 57 % des cas avant 65 ans, les décès étant plus fréquents après 65 ans (max. entre 80-85 ans). Le cancer colorectal reste le deuxième en fréquence mais le cancer du poumon est désormais en troisième position, l’incidence bretonne dépassant la moyenne nationale. Ce dernier est en croissance constante, à l’instar de ce qu’on observe dans tous les pays occidentaux. Ceci est bien entendu lié aux habitudes de vie, les femmes ayant rejoint les hommes dans leur consommation tabagique… Comme les hommes bretons, les femmes pré- sentent une surmortalité des cancers de l’estomac (+ 31 %), même si le nombre absolu de ces cancers est en constante diminution. En revanche, les femmes bretonnes sont en situation plus favorable que la moyenne nationale avec une sous-mortalité du cancer du sein (– 8 %), de l’utérus (–16 %) et de la vessie (– 22 %). Enfin, le mé- lanome est devenu chez les femmes un véritable problème de santé publique avec une surmortalité de 30 % et une incidence deux fois plus élevée que chez les hommes.
Mais pour pouvoir juger de la situation bretonne, il est intéressant de regarder aussi l’évolution sur dix ans. Le rapport de l’ORSB relève que le risque de mourir d’un cancer a diminué de 14 % en France entre 1980 et 2000 et cite Catherine Hill et Françoise Doyon (La presse médicale 2007, vol 36, n° 3, p 383-387): « Le nombre de décès augmente mais le risque de décès par cancer diminue ». En Bretagne, le nombre de décès par cancer entre 1993 et 2003 est passé de 7974 à 8422, mais dans ce laps de temps la population bretonne a augmenté et vieilli. Compte tenu de ces effets démographiques, les taux standardisés de mortalité par cancer ont en fait baissé de 15 % chez les hommes et de 3 % chez les femmes, les taux standardisés d’incidence ayant augmenté de 19 % chez les hommes et de 16 % chez les femmes durant la même période. La situation n’est cependant pas la même pour tous les cancers, les évolutions notables concernant surtout:
– De façon similaire chez l’homme et la femme une forte diminution de l’incidence (–22 %) et de la mortalité (– 40 %) des cancers de l’estomac, une baisse de la mortalité (– 15 %) à incidence constante des cancers colo-rectaux et une très forte augmentation de l’incidence (+ 40 %) et de la mortalité (+ 20 %) des lymphomes.
– Chez l’homme: une forte baisse de la mortalité (– 40 %) et de l’incidence (– 12 %) des cancers ORL, une augmentation de l’incidence des cancers du poumon (+ 16 %), une « explosion » des tumeurs de la prostate (+ 90 % mais associée à une baisse de la mortalité (– 20 %)) et des mélanomes (incidence + 82 % et mortalité + 14 %).
– Chez la femme: une augmentation de l’incidence des cancers du sein (+ 30 %) associée à une légère baisse de la mortalité, une forte baisse de la mortalité des cancers de l’utérus (– 20 %). Une évolution péjorative est en revanche observée pour les cancers du poumon dont l'incidence et la mortalité augmentent dramatiquement (respectivement: + 50 % et + 60 %).
Au regard de ces chiffres, quels sont les commentaires possibles? Tout d’abord relever que pour certains cancers, l’on observe en Bretagne des tendances conformes à la moyenne nationale. Ainsi la consommation de tabac croissante chez les femmes ces dernières années, notamment chez les adolescentes, se traduit par une augmentation forte de l’incidence du cancer du poumon (+ 50 % vs +16 % chez les hommes). La mortalité associée est désormais comparable à celle de la population masculine, le pronostic de cette affection restant actuellement encore assez sombre (baisse de 5 % seulement de la mortalité). L’augmentation de l’incidence de cancer du sein est un phénomène observé dans tous les pays « développés »; la diminution concomitante de la mortalité est liée d’une part à la prise en charge de tumeurs à un stade précoce (lié au dépistage de masse mis en place) et la mise sur le marché de nouvelles thérapeutiques efficaces (par exemple. l’Herceptin). Concernant le cancer de la prostate, le recours de plus en plus fré- quent au dosage des PSA augmente la détection de cancers in situ (incidence + 90 %), lésions limitées dont l’agressivité n’est pas toujours démontré et pour lesquels un traitement conduit presque toujours à la guérison (mortalité en baisse de 20 %). On notera d’ailleurs que ce cancer est d’apparition tardive (85 % après 65 ans), les décès survenant majoritairement après 70 ans, avec un pic entre 80 et 84 ans. Enfin les lymphomes sont de plus en plus fréquents (incidence + 40 %, mortalité + 20 %), ce qui correspond à une tendance nationale en partie corrélée au vieillissement de la population, mais pour laquelle on évoque aussi des facteurs de risque environnementaux ou infectieux.
Quels sont les particularismes bretons? Tout d’abord on note une fréquence élevée et une sur-mortalité associée des cancers ORL chez les hommes (+ 39 %). À l’instar de ce que l’on retrouve dans la région Nord, il est probable que les habitudes de vie (association tabac-alcool) soient un facteur de risque majeur. Cette intoxication peut probablement expliquer aussi le différentiel existant entre les parties occidentale et orientale de notre région. Mais il faut noter une évolution très favorable sur ces dix dernières années (incidence – 12 % et mortalité – 40 %), ceci étant probablement lié à la diminution globale de la consommation d’alcool, avec une orientation vers des boissons moins fortes (bière notamment) et/ou de meilleure qualité (disparition des alcools « maison »).
La situation des femmes bretonnes apparaît plus favorable. Si les cancers du sein sont en augmentation comme ailleurs, leur pronostic est meilleur. Ceci peut être mis en relation avec la mise en place ancienne du dépistage de masse (l’Ille-et-Vilaine fut dans les premiers départements français à le mettre en place) et à un bon suivi des femmes (la MSA en particulier a mené d’importantes campagnes d’information). Le cancer de l’utérus est en régression en Bretagne comme partout (– 20 %) : c’est lié au dépistage et au suivi des infections à papillomavirus (désormais couvertes par un vaccin), la sous-mortalité (– 16 %) étant probablement liée au diagnostic de formes de plus en plus précoces.
Le mélanome est devenu un problème de santé publique majeur dans les pays du Nord de l’Europe (+ 82 % chez l’homme en dix ans). Ceci est probablement lié à une exposition excessive au soleil (habitudes de vie, notamment chez les femmes) mais aussi à l’importance de l’exposition « professionnelle » du monde rural (ce cancer est fréquent chez les agriculteurs). La Bretagne présente par ailleurs un déficit criant de spécialistes en dermatologie pouvant être à l’origine de retards dans la prise en charge, mais il est possible que l’absence d’éducation pour la santé conduise aussi au diagnostic tardif des lésions cutanées. Le pronostic du mélanome reste sévère, les traitements n’ayant que peu évolué ces dernières années (la mortalité est en augmentation de 14 %) .
La mortalité liée aux cancers de l’estomac reste anormalement élevée en Bretagne (+ 30 %). Ceci pourrait être lié en partie au mode de conservation des aliments (salaison, fumage, absence de congélation), l’infection bactérienne gastrique étant classiquement incriminée dans la genèse de ce cancer. La très forte régression de l’incidence (– 22 %) et de la mortalité (– 40 %) observée entre 1993 et 2003 pourrait alors être liée à l’évolution des habitudes alimentaires, la consommation de produits fumés (poissons notamment) ou d’aliments mal conservés (dans le sel et non pas congelés) ayant considérablement diminué en Bretagne depuis 20 ans.
Au total, si la situation des cancers en Bretagne a longtemps été défavorable par rapport au reste de la France, celle-ci a très nettement évolué ces dernières années. Des progrès restent cependant à faire en matière de prévention et de consommation tabagique.