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Histoire & Patrimoine
#14
Les prisons de Rennes : une histoire architecturale
RÉSUMÉ > On parle beaucoup de la prison Jacques Cartier fermée en mars 2010. D’abord promis à la démolition, les bâtiments seront vendus en 2012. L’État propriétaire souhaite désormais que l’aménagement futur (logements ? bureaux ?) « respecte l’intérêt patrimonial de ce lieu de mémoire ». En marge de ce dossier, nous nous intéressons ici à la longue histoire des prisons de Rennes et à la place de ce patrimoine rennais dans l’évolution de l’architecture pénitentiaire française. »

     Durant l’Ancien Régime en France, les condamnations sont surtout fondées sur les châtiments corporels, le bagne et les exécutions capitales . Aussi, les prisons sont-elles à cette époque des lieux de garde très disparates. Les cellules sont souvent disposées à l’intérieur d’établissements judiciaires, administratifs ou religieux. La Tour Le Bât à Rennes, par exemple, a été transformée en prison vers la fin du 17e siècle et la prison de la Feillée a occupé les locaux du prieuré Saint-Michel dès le 15e siècle.

     En France, la Révolution puis l’Empire fondent un nouveau système judiciaire qui instaure la suppression de liberté comme le pivot de la nouvelle pénalité et ajuste la durée de l’emprisonnement à la nature du délit. Pour chaque catégorie pénale est prévu un type de prison: les maisons d’arrêt sont destinées aux prévenus, les maisons de justice aux accusés, les prisons pour peine aux condamnés. Les maisons centrales sont créées en 1808, pour les condamnés à plus d’un an de détention. Mais les réalisations sont rares.
     En réalité, les quelques bâtiments réalisés se placent dans la continuité des innovations de la fin du siècle précédent, comme la prison de Pontivy par Jean-Baptiste Pichot, Gilbert de Chabrol et Guy de Gisors, érigée de 1808 à 1811.

La maison de la rue Saint-Hélier (1810)

     Au cours du 18e siècle se développe, à travers toute l’Europe, une réflexion sur la justice et le sens de la peine. En France, l’idée d’une réforme s’impose progressivement. Les édifices mettent en oeuvre les nouveaux concepts d’hygiène et d’humanisation de la détention même s’ils adoptent extérieurement l’allure de forteresses massives avec de rares ouvertures comme à la prison parisienne de La Force, ouverte en 1782. Certains pays européens développent même des conceptions novatrices qui auront une grande influence. La maison de force et de correction construite à Gand entre 1771 et 1774 présente un plan rayonnant qui connaîtra une grande postérité. C’est aussi l’esprit du Panoptique, oeuvre du juriste anglais Jeremy Benthamen 1791.

     La Tour Le Bât était située dans les remparts entre la porte aux Foulons et la porte Saint-Georges (vers l’actuelle rue des Fossés). Détruite en 1840 comprenait une basse-fosse et trois étages surmontés d’un donjon hexagonal posé sur une plate-forme. La basse-fosse servait de cachot, le premier étage était réservé aux femmes et les autres aux hommes. En 1778, la tour est exhaussée d’un étage et reçoit à sa base deux bâtiments avec une cour pour les hommes et une autre pour les femmes. Un mur empêchait les évasions.
     Quant à la prison de la Feillée, dite aussi « prison Saint-Michel » et toujours visible allée Rallier-du-Baty, elle présente une cour carrée intérieure, bordée par quatre corps de bâtiments à deux niveaux, dotés de pierre de taille dans les encadrements de portes et de fenêtres. Une tour polygonale, à l’ouest de l’entrée, comprend un escalier à vis en pierre. Au nord, l’ancienne tour carrée a conservé sa porte d’origine.

     La plupart des autres maisons centrales et de nombreuses maisons d’arrêt sont installées dans des édifices déjà existants, bâtiments de communautés religieuses ou lieux d’enfermement de l’Ancien Régime, plus ou moins bien adaptés aux nouveaux besoins. C’est le cas de la prison centrale de Rennes qui s’installe en 1810 dans les locaux de la maison de force de la rue Saint-Hélier dont les bâtiments n’étaient autres que ceux du Petit Séminaire. Cette prison devint ensuite la prison militaire de Rennes et le siège du conseil de guerre. Désaffectés au début du 20e siècle, les bâtiments ont été détruits dans les années 1950 (à l’endroit de France 3 et du TNB)

     Avec la Restauration réapparaissent les idées philanthropiques et hygiénistes qui avaient marqué la fin du 18e siècle. Cependant, l’ampleur de la criminalité et de la récidive n’entraîne plus comme objectif de changer la mentalité du détenu mais sa conduite. La cellule individuelle apparaît comme la réponse.
     Durant la Monarchie de Juillet un débat oppose les partisans de l’isolement cellulaire continu et ceux favorables à la seule séparation nocturne. Le ministre de l’Intérieur confie une mission d’étude du système pénitentiaire américain aux magistrats Alexis de Tocqueville4 et Gustave de Beaumont, puis une seconde au magistrat Frédéric Demetz et à l’architecte Guillaume Abel Blouet.

     C’est en 1833 avec la parution de la note sur le système pénitentiaire et sur la mission de Tocqueville que le conseil général d’Ille-et-Vilaine prend la décision de construire une maison d’arrêt. L’architecte Louis Richelot5 est chargé d’étudier les possibilités d’implantation de l’édifice, qui doit être éloigné des habitations, mais proche du Palais de Justice.
     En 1833, l’architecte soumet un projet, suivant le système d’Auburn6 sur un terrain qui avait un accès sur la route de Fougères : au rez-de-chaussée des ateliers, à l’étage les cellules avec possibilités d’isolement complet le jour et la nuit. Le projet est adopté par le conseil des Bâtiments civils mais il demande des modifications.

     En 1835, l’architecte soumet deux nouveaux projets, l’un suivant le système panoptique, avec ateliers et services au rez-de-chaussée, dortoirs à l’étage, l’autre suivant le système cellulaire, qui est finalement adopté par le conseil des Bâtiments civils. Il présente en effet l’avantage d’être moins coûteux.
     Cette maison d’arrêt de Richelot a été achevée en 1840 sur l’emplacement du numéro 23 de l’actuelle rue du Général Maurice-Guillaudot. Puis elle a été détruite car, dès 1887, elle s’est avérée trop petite et impropre à accueillir les condamnés à plus de trois mois de prison.
     Amédée Rouvin, juriste à Rennes dans les années 1890, reconnaît « que cet édifice réalise […] deux conditions dont l’une est essentielle : l’effet architectural et la sûreté. Lorsqu’on franchit la porte, basse et massive, on pénètre dans une première cour carrée, entourée de constructions basses qui renferment le violon et le parloir des hommes, ceux des femmes, le corps de garde destiné au poste militaire et une ou deux autres pièces de service.
     De là on passe dans une seconde cour formant le centre des bâtiments de la prison proprement dite, lesquels par leur état d’entretien décèlent la parcimonie qui préside ici aux dépenses pénitentiaires. À droite est le quartier des hommes, à gauche celui des femmes, comprenant l’un et l’autre deux dortoirs pour les prévenus, autant pour les condamnés, un atelier pour ces derniers et des préaux séparés pour les uns et les autres. Le quartier des femmes possède en outre un local réservé aux nourrices. […] À part même son régime essentiellement vicieux et contraire au principe de la loi de 1875, la prison de Rennes présente deux défectuosités capitales: le manque d’espace et l’insalubrité. ».

     Durant le Second Empire les résultats de l’expérience cellulaire sont peu probants et la répression politique fait augmenter la population carcérale. En conséquence le ministre de l’Intérieur Persigny établit en 1853 un régime communautaire plus répressif avec classification des détenus dans des quartiers séparés. Un programme et un atlas de plans, dessinés par les architectes Louis Grillon et Alfred Normand sont publiés en 1854. Les nouvelles dispositions se placent dans la continuité des projets cellulaires de la Monarchie de Juillet : un point central de surveillance et des balcons desservant les cellules. Réservé à la vie diurne, le rez-de-chaussée est consacré aux chauffoirs, ateliers, réfectoires et les étages aux chambres communes ou aux cellules individuelles pour la nuit. Le plan en croix apparaît alors comme une innovation.
     Les réalisations de cette période sont nombreuses. Sous la IIIe République une prise de conscience du mauvais état des prisons amène une nouvelle réforme. En 1875, une loi réaffirme le principe cellulaire et permet de l’appliquer aux longues peines, moyennant une réduction de la durée de détention. En 1878, un programme extrêmement détaillé avec trois projets-types viennent compléter la loi. Ces plans signés Alfred Normand et Émile Vaudremer établissent une typologie systématisée: plan en nef pour les petits établissements, système rayonnant pour les autres.

     L’architecte Alfred Normand s’est beaucoup intéressé au débat sur le régime des prisonniers et sur l’aménagement architectural qu’il convient d’adopter pour accueillir cette population. La maison centrale de Rennes est pour lui l’occasion de mettre en pratique les plans et les idées qu’il a accumulés. Les travaux sont conduits par l’architecte local Charles Langlois.
     Le bâtiment de détention de plan hexagonal est inscrit dans une enceinte carrée. Au rez-de-chaussée, une galerie sur le pourtour de la cour intérieure permet la communication entre les ateliers, l’école et le réfectoire. Au centre de cette cour est placée une fontaine. À l’origine, deux étages abritent les dortoirs. La chapelle s’élève perpendiculairement à l’aile sud, dans l’axe de l’entrée. Deux bâtiments encadrent la cour d’honneur, au nord, abritant logements et bureaux.

     La construction de l’édifice se fait en plusieurs campagnes. Elle débute en 1863 par l’enceinte, suivie en 1867 par le bâtiment de détention et en 1872 pour celui de la chapelle. Enfin de 1873 à 1876, s’élèvent les bâtiments de l’administration et des logements, perpendiculaires à l’entrée. La mise en service de la prison a lieu en 1878 sous la dénomination de « Maison Centrale de Force et de Correction ».
     D’après Amédée Rouvin « rien ne ressemble moins d’abord à une prison. La porte d’entrée monumentale, les bâtiments d’une architecture élégante et sobre, où la brique se marie gaiement à la pierre blanche, la première cour couverte de vastes pelouses, […], éveillent beaucoup plus l’idée d’un riche pensionnat que celle d’un établissement pénitentiaire. […] À l’intérieur, on ne trouve sans doute aucun luxe, mais partout un confort relatif et une certaine élégance résultant d’une exquise propreté. Tout, jusqu’aux parquets des corridors, est vernissé. » 
     C’est le premier établissement pénitentiaire destiné à accueillir uniquement des femmes en France, ce qui marque un grand progrès.

     D’autre part, Normand suit entre 1898 et 1903 la construction de la prison départementale de Rennes. Il est alors inspecteur général des établissements pénitentiaires. Cette prison, dite Jacques-Cartier, est une commande du conseil général et a été conçue par l’architecte Jean-Marie Laloy qui a développé ses recherches à partir des plans des nouvelles prisons cellulaires de Bourges, de Chaumont, et plus particulièrement de Béthune.
     Il soumet trois propositions entre 1884 et 1888 avant le vote définitif du projet en 1896. D’une capacité de 150 détenus, la prison a un plan panoptique en croix latine: trois ailes aboutissent à un point central où se situe la chapelle et distribuent le bâtiment de l’administration. Des préaux cellulaires sont placés à l’extrémité de chaque aile.

     Le choix de son implantation, à l’écart de la ville, est caractéristique de l’isolement dans lequel sont placés les détenus à l’époque. Elle entraîne le renouvellement et la consolidation du réseau de voies permettant une bonne communication avec le centre de la ville où se trouve le Palais de Justice et contribue au développement du tissu urbain, au sud de la voie ferrée et à l’est du faubourg de la Madeleine.
     La prison des femmes et la prison Jacques-Cartier sont deux des rares à être construites entre 1875 et le début des années 1900. En effet, la réforme du principe cellulaire s’est soldée par un échec: seules trente-six maisons d’arrêt sont construites ou rénovées. Celle de Fresnes bâtie par Henri Poussin en 189813 est emblématique de cette période.
     Finalement, l’empirisme et la diversité caractérisent l’architecture des prisons jusqu’à la Monarchie de Juillet. Avec les années 1830, émerge une volonté gouvernementale d’établir une architecture spécifique, unifiée et répondant aux nécessités d’une nouvelle conception de la peine de prison. Depuis la circulaire de 1841, les architectes contribuent à la réflexion sur la prison en concrétisant les idées des réformateurs et en proposant des solutions pratiques au problème de l’enfermement.