Simone de Beauvoir,
une voie d’avenir ?
La mixité ! Cela paraît tout bête d’en faire un plat. Au fond c’est le propre de toute société que d’apparier les individus dans une relative harmonie. Pourtant, il pourrait s’agir ici de la première innovation sociale de ce genre en France. À l’heure où vivre ensemble devient problématique et où l’isolement pointe comme une menace terrible, les acteurs de la ville sont en quête d’un modèle de survie.
C’est pourquoi les politiques ont accouru pour adouber l’aventure prometteuse de « Simone de Beauvoir ». La ministre Roselyne Bachelot en personne a donné la note en s’exclamant lors d’une visite en janvier dernier : « Si l’on veut que le vivre ensemble ait un sens, voici ce qu’il faut faire. » Pas en reste, Martine Aubry proclamait en juin : « ici, c’est un lieu-test, on peut le présenter comme la cité idéale, c’est la vie ! »
Tant d’hommages, d’égards et de regards pour flatteurs qu’ils soient peuvent laisser perplexes les habitants du lieu. Pour une raison simple. Eux n’ont pas le sentiment de vivre quelque chose d’extraordinaire. Pas plus que le visiteur à l’affût ne trouvera ici du spectaculaire. Tout se joue dans la relation humaine au jour le jour : « Et le projet, nous l’inventons en marchant », admet modestement la coordinatrice Béatrice Chancereul.
Si. Il y a quand même quelque chose à voir: c’est l’architecture. Elle est au fondement même de cette histoire. Forcément, on a joué le mélange. Un bâtiment de l’austère caserne Mac-Mahon réhabilité, la place d’armes transformée en parc public. Tout autour, d’élégants immeubles d’habitation tout neufs. Et surtout, criant symbole, l’enceinte militaire transpercée de toutes parts pour faciliter le libre accès des piétons du quartier. Tout cela aéré, ouvert et presque joyeux.
Il faudrait s’étendre ici sur la longue genèse de cette cité au parfum d’utopie. La consultation lancée par la Ville de Rennes et remportée par le groupe Espacil. Des années de réflexion, de discussion, de chantier. Une inspiration puisée chez de jeunes urbanistes. Un travail pointu mené par les deux architectes François Rénier et Jean-François Golhen. Des partenariats multiples. Au bout du compte, six bâtiments livrés au printemps 2010 avec un projet de vie en commun.
Au total, 300 habitants vivent aujourd’hui dans 260 logements. Pour comprendre cette savante imbrication une revue de détail s’impose: l’ancienne caserne rénovée constitue la « résidence Simone de Beauvoir » proprement dite. Elle abrite 86 logements sociaux dont un tiers attribués aux plus de 60 ans. Répartis comme suit: sous les toits, 10 logements occupés par des étudiants en formation médico-sociale (IFSI: infirmiers, et IRTS: travail social), au 3e étage, des familles en T3 et T4. Au 2e étage, des personnes âgées. Précisons que toutes ces personnes ont signé en entrant une « charte de fonctionnement intergénérationnel ».
Au premier étage, 8 logements sont réservés à des personnes sujettes à des troubles psychiques (logements gérés par l’association Espoir 35). Le tout est complété par l’accueil de jour Kerélys pour 10 personnes âgées désorientées et par le restaurant associatif Fourchette & Cie.
La visite se poursuit à travers la zone neuve avec l’immeuble Séréna abritant 17 appartements en accession aidée ainsi que le Pôle petite enfance de la ville de Rennes. Puis l’immeuble Olympia: 17 appartements en locatif aidé, tous adaptés aux personnes à mobilité réduite.
De l’autre côté de la place d’armes, désormais arborée, 4 immeubles: le Parnasse, le Pavillon, le Châtelet, le Carrousel, totalisant 131 logements de belle qualité, en accession libre, du studio au T5. Le quadrilatère se clôt par un bâtiment ancien et rénové abritant la Maison de quartier.
Si le mélange des âges est là, il faut retenir qu’au bout du compte, c’est la vieillesse qui est en ligne de mire. Espacil ne le cache pas : cet ensemble d’habitat composite et dense a pour vocation d’« apporter une réponse innovante à la problématique du vieillissement ». Dit autrement: « la mise en oeuvre de ce projet intergénérationnel a pour objectif d’offrir des logements, dans un environnement agréable, en veillant au travers d’une réelle mixité à favoriser et encourager le lien social entre les habitants, et plus particulièrement à lutter contre l’isolement des personnes âgées ».
Pour favoriser le lien social, l’architecture est nécessaire, mais elle ne suffit pas. Pour que ça marche, il faut des faciliteurs de lien. Pour cela Espacil a fait appel à l’association Argo qui gère 17 résidences pour personnes âgées en Bretagne. Ici, à Simone de Beauvoir, l’association propose un accueil de jour pour 10 personnes désorientées et aussi un restaurant associatif intitulé « Fourchette & Cie ». Ce dernier est un peu le centre névralgique du nouveau « vivre ensemble ».
Poussons la porte transparente du restaurant, situé sous le vaste porche d’entrée de la résidence. Trois personnes, salariées d’Argo s’y trouvent: Lydie et Michel qui tienne le restaurant avec le souci de proposer un « mieux manger ». Et Béatrice Chancereul qui est la coordinatrice: « pas animatrice », précise-t-elle. Son rôle: « faciliter le bon vieillissement à domicile, empêcher l’isolement des plus fragiles, faire en sorte que tout le monde puisse participer », explique-t-elle. Concrètement, cela veut dire: « être à l’écoute des envies », mettre les gens en contact: par exemple, les mamies avec les enfants pour des séances de conte. Faire le lien avec le quartier…
Béatrice est aussi celle qui informe les résidants des activités proposées, par mail ou affiche. C’est elle qui conduit les réunions du « conseil des habitants ». Ce dernier « se réunit une fois par mois, ici même dans le restaurant. Les gens qui viennent sont volontaires. On fait d’abord le bilan du mois passé, par exemple les sorties accompagnées mise sur pied pour les Tombées de la nuit ». On parle aussi du programme à venir.
Présent au côté de Béatrice Chancereul, Juvénal Quillet, un retraité fidèle du conseil des habitants, raconte: « en ce moment, nous avons le projet de réaliser un jardin partagé. Alors, on discute: prévoir de grandes allées pour les handicapés. Mettre la crèche et la maison de quartier dans le coup. Bref, on a la réelle volonté de “faire ensemble” ».
Après la réunion, on se retrouve autour d’un pot. La dernière fois, se souvient la coordinatrice, nous avons fait un buffet avec des plantes ramassées lors d’une sortie botanique, et ce fut une soirée « poésie gourmande » avec un résidant récitant des textes.
Bien sûr, tout le monde ne participe pas: « Nous tournons avec un noyau de 50 personnes, mais c’est un noyau cohérent qui constitue lui-même une sorte d’interface avec les autres habitants », indique Béatrice. Selon elle, l’échange se produit naturellement entre les gens: « on se donne des coups de main, on demande des nouvelles des uns et des autres ». À en croire Juvénal, « la capacité de parler est devenue spontanée, ici ».
Ce résidant motivé pointe la réussite architecturale: « c’est agréable de vivre ici, c’est intelligent, et efficace en termes de qualité de vie. C’est silencieux et à la fois très ouvert sur le quartier, tout le monde peut venir. En même temps, il y a un petit côté privatif qui fait que l’on se sent bien chez nous. » Béatrice confirme : « On peut dire qu’ici, chacun ne se retrouve pas dans son coin. C’est bien la conception architecturale qui permet les échanges entre personnes de tout âge et de tout statut social ».
Le restaurant est devenu le lieu de ralliement de cette population dont la doyenne a 89 ans et le plus jeune, seulement 1 an. « Nous aidons aussi à faire la connexion entre les travailleurs sociaux, les aidants, car eux aussi peuvent souffrir d’isolement, indique la coordinatrice. Nous les avons réunis ici, puis l’habitude s’est prise: ils se retrouvent maintenant une fois par mois pour un repas ».
Ne pas croire pourtant que tout est lisse: « Nous pouvons être confrontés à des problèmes humains très lourds. Dès lors, on met en place des solidarités concrètes. Mais les intimités sont toujours respectées. »
Ce qui se dessine à Simone de Beauvoir, est-ce une communauté? Béatrice Chancereul s’en défend: « le terme est trop connoté. Disons que nous constituons un groupe de personnes animées par des principes solidaires ». Un nouveau mode de voisinage, en quelque sorte. Un paradis? « Surtout pas. Nous ne sommes pas le pays de “Oui-oui”. Simplement, nous avons fait le pari des affinités relationnelles et de la démocratie participative. Nous avançons, peu à peu ».
Est-ce un succès? « Une chose est sûre, beaucoup demandent à venir vivre dans cet espace. »
Laissons à Juvénal Quillet le mot de la fin, susurré comme une confidence: « Cela vous étonnera peut-être si je vous dis que des liens d’amitié, d’amitié réelle, se sont créés ici. »