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Contributions
#02
L’hommage
à Pierre-Yves Heurtin
« résolument
humaniste »
RÉSUMÉ > Le mercredi 29 juillet, à l’église Notre-Dame de Saint-Melaine, Edmond Hervé, sénateur, ancien maire de Rennes, faisait l’éloge de Pierre-Yves Heurtin, son collaborateur, son compagnon, son ami pendant quarante ans. Historien, professeur en classes préparatoires, figure éminente de la vie intellectuelle, culturelle et politique, Pierre-Yves Heurtin fut élu au conseil municipal de Rennes pendant 24 ans, de 1977 à 2001. Adjoint à la Culture, il fut à l’origine des Champs Libres, de l’écomusée de la Bintinais, de l’Espace des Sciences et du développement des bibliothèques. « Il a donné de l’importance au très beau mot de militant », dit le père Bernard Heudré lors de ses obsèques. Nous publions ci-dessous le texte de l’hommage que lui a rendu Edmond Hervé.

     Pierre vient de nous quitter, à sa manière, dans la discrétion. Celle-ci fut la marque de cet homme de culture et d’engagement, humaniste et militant socialiste, donnant aux actes de sa vie un sens marqué au sceau de la fidélité.
     Il avait reçu de son père enseignant un premier et exceptionnel viatique: la connaissance et l’amour de la liberté de pensée et d’expression; ce père très tôt révoqué par le gouvernement de Vichy.
     Chez Pierre, l’étude, l’expérience, la réflexion, la rencontre, l’action, firent prospérer cet héritage.
     Chaque séquence de sa vie l’atteste: qu’elle soit étudiante ou professionnelle. Chaque adhésion le prouve, quelle soit syndicale, associative ou politique. Chaque cause le signale: qu’il s’agisse de la paix en Algérie, de la lutte pour les Droits de l’Homme, de la construction de la Cité…
     Il trouva dans l’histoire, qu’il enseignait avec science et enthousiasme, des motivations et des preuves qui ne lui firent jamais défaut.
     Avec Michel Denis, ce proche qu’il admirait, il aimait répéter que ce n’était pas l’Histoire qui faisait la société, mais la société qui faisait l’Histoire. A la manière de l’École des Annales il savait que des logiques multiples et parfois violemment contraires traversaient cette société, que le progrès n’était jamais une donnée du hasard ou de la providence, mais une construction humaine qui a besoin de démocratie, de savoir entretenu et partagé, de paix, de raison et d’esprit. Il connaissait parfaitement la société rennaise, le passé des Bretons, les ressorts de l’affaire Dreyfus, ceux de la fin de la 3e et de la 4e République, ceux des dictatures passées ou présentes.
     Agrégé, conscience disponible, il se mit au service de ses étudiants, de son lycée, de ses appartenances et tout naturellement des institutions de sa ville.
     C’est en 1970-1971 qu’a véritablement débuté notre long compagnonnage. Dans la générosité, le courage et l’adversité, nous sollicitions les suffrages municipaux rennais. Si l’arithmétique des urnes nous fut défavorable, il y avait matière à promesse sous réserve de persévérance dans l’effort et la recherche d’unité.
     Pierre, avec les siens, décida du bon chemin: notre commune aventure municipale allait durer 24 ans, et bien au-delà, jusqu’à ce jour, avec le temps de l’amitié et du service commun.
     Des amis ont heureusement rappelé en des hommages justifiés et chaleureux, les traces de Pierre dans cette ville.
     Mais en vérité, il a été partie prenante à la totalité d’une oeuvre municipale qui demeure notre fierté commune et relève tout simplement du devoir.
     À l’heure d’une fin, dans un souci de reconnaissance et de restitution, la mémoire des actes importe, mais c’est la question du pourquoi qu’il nous faut, je le crois, poser.
    
   

      Pourquoi cette implication de Pierre? Nous trouvons la réponse dans l’avant-propos du rapport qu’il nous remit en 2005, consacré à la laïcité et à la cité. Voici ce qu’il y écrit : « Il faut bien se persuader que nous vivons dans un monde qui, contrairement à celui de nos pères, est celui d’une société pluraliste, multiethnique et multiculturelle qui, par ailleurs, ne connaît plus d’accord global pour définir ce qu’est un Homme. C’est un monde caractérisé par la perte générale des repères que, depuis le 16e siècle, l’humanisme avait constitués. »
     « Ceci nous oblige absolument par l’effort convergent de tous ceux qui disposent de la possibilité de réfléchir, d’enseigner, d’agir, à déchiffrer ce monde nouveau et à travailler à la reconstruction de repères identifiables et acceptés par la société, en un mot à reconstruire un nouvel humanisme. »
     « Il s’agit d’échapper à l’individualisme desséchant et égoïste qui menace de nous submerger aujourd’hui, qui prétend se fonder sur la liberté mais qui en réalité est fondé sur l’aliénation ».
     Sans surprise, dans une page de conclusion, il rappelait une évidence exigeante qui nous commande de « vivre en intelligence ».
     Pierre, homme de parole et du livre, a toujours fait sienne cette maxime.
     Dans l’intelligence de la cité, il y a le bien commun, la part de l’égalité et de la fraternité, de la liberté et de la solidarité, de la partie et du tout, du passé, du présent et du futur, de la matière et de l’éphémère, de la raison et de l’esprit. Et ceci en tout lieu, qu’il s’agisse de l’entreprise ou du quartier. Comme pour le philosophe Alain, Pierre, résolument humaniste, n’a jamais cru que l’esprit se réduisait à une simple hypothèse. Il croyait à la laïcité mais il ne l’a jamais opposée à la religion, à la foi ou à la spiritualité.
     Pour lui, la laïcité indique la liberté de croire ou de ne pas croire, de choisir ou non un Dieu.
     Que pouvait-il penser des religions, de Dieu? Ces questions lui étaient familières et il leur a consacré beaucoup de temps. Pour lui, au nom de la liberté, les réponses ne pouvaient relever du savoir, mais de la conviction, de la foi, et à ce titre, elles devaient être respectées, permises socialement et juridiquement.
     Ce faisant, il restait fidèle à notre grande tradition philosophique qui nous conduit à penser sur ce que l’on sait et sur ce qui va au-delà du savoir.
     Il y a quelques années, loin d’imaginer ces instants communs, nous évoquions ensemble la mort. Nous tombions facilement d’accord pour dire que ce n’est pas parce qu’elle est le terme de la vie qu’il faut désespérer de celleci.
     Pierre, quelque soit l’au-delà, n’avait pas à désespérer de la vie: il a su donner un sens à ses actes. En toute conscience il a pu écrire: « Nous savons aujourd’hui que ni la raison, ni les sciences, ni les techniques ne peuvent prétendre régler l’intégralité de l’existence humaine ni répondre à la question du pourquoi ».
     Il a su faire partager son savoir et son temps pour construire une communion par-delà les sensibilités, les appartenances, les générations, les frontières et en être partie prenante.

     Pour Pierre, nous ferons revivre les jours heureux.