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Dossier
#06
L’image de Rennes
à travers les guides touristiques français
RÉSUMÉ > Les guides de voyage constituent une source de première main pour connaître les mutations de l’image de Rennes même si aucune forme ne semble avoir gardé durablement l’adhésion de tous. D’abord qualifiée de « quelconque » (« une journée suffit pour la visiter »), elle n’a acquis que récemment une réputation de ville touristique au patrimoine très divers.

     L’aristocratie du 17e siècle a inventé la plupart des pratiques de voyage d’agrément et a signé les tous premiers guides. Deux titres du siècle de Louis XIV livrent des descriptions de Rennes: Les délices de la France par François-Savinien d’Alquié et Le guide fidelle des étrangers dans le voyage de France par Alcide de Saint-Maurice. Rennes apparaît dans l’un comme « un petit paradis » , alors que dans l’autre se démarque le « bastiment fort magnifique » du Parlement.
 
     « On ne sait quoi de morne et d’attristant »

     Les guides du 18e siècle qui évoquent Rennes sont rares: ce sont les récits de voyages qui sont utilisés pour visiter la cité. Il faut naturellement distinguer le guide, normatif, du récit de voyage, plus propice à l’épanouissement d’un regard original, mais cette distinction ne doit cependant pas être surestimée, car les discours tenus par l’un et l’autre s’avèrent, à l’usage, extrêmement similaires. Les guides nationaux qui prolifèrent de la Restauration à la Monarchie de Juillet décrivent Rennes selon des schémas ancrés dans la mémoire collective par les textes antérieurs. Ils s’inspirent des récits de voyages, comme celui de La Vallée entièrement pillé par le Guide pittoresque de 1836 où il est écrit que « l’ensemble de la ville a on ne sait quoi de morne et d’attristant qui n’échappe pas à l’attention des voyageurs » .
      Il faut attendre l’inauguration de la ligne de chemin de fer en provenance du Mans en 1857 pour qu’un avenir touristique s’ouvre à Rennes. Or, les textes de la première moitié du 19e siècle en donnent une image brouillée, car depuis la Révolution elle semble menacée par un déclin irrémédiable: c’est une capitale déchue qui a perdu son Parlement, une ville française en terre bretonne qui ne correspond pas aux espérances du voyageur qui veut découvrir la Bretagne pittoresque.
     Rennes pâtit de ce préjugé comme l’explique Auguste Moutié en 1858: « La ville est depuis longtemps toute française. Elle ne fut que la capitale de la Bretagne dont elle n’eut jamais ni la population, ni le langage, ni les coutumes, ni les moeurs, ni l’esprit, ni cette invincible opiniâtreté à conserver les formes du passé […]. D’autres villes de Bretagne peuvent se symboliser par un monument dont le profil suffit à évoquer l’ambiance. Rien de semblable à Rennes, on n’y rencontre plus la féerie des clochers ajourés et le parler chantant de la terre celtique ».

     Les guides la soumettent à la concurrence des grandes villes voisines: elle n’a pas la reconnaissance que reçoivent Bordeaux, La Rochelle et Nantes, grands ports de la façade atlantique qui bénéficient depuis le 18e siècle des grands courants économiques et architecturaux. Jugée mal située, Rennes ne fait pas partie des circuits traditionnels par la côte nord et sud de la Bretagne qui profitent à des cités comme Saint-Malo ou Granville, villes de bains de mer qui prospèrent depuis les tous débuts du 19e siècle grâce à la clientèle bourgeoise parisienne.
     Dans certains grands guides, fortement liés au genre des annuaires, Rennes apparaît sous l’angle de sa suprématie administrative avec l’énumération fastidieuse des autorités civiles, religieuses, militaires et universitaires réunies sur son territoire.
     En 1863 et 1864, la voie de chemin de fer rennaise rejoint Vannes, Quimper, Saint-Malo et Brest. Rennes, de ville marginale, devient le carrefour de la Bretagne, étendant son aire d’influence. À la faveur de ce renforcement du réseau ferroviaire la ville apparaît désormais comme une étape dans les guides-albums consacrés aux bains de mer, mais ce n’est qu’une halte.

     Le Guide Joanne, né en 1860, succédant aux Guides de la Bibliothèque des chemins de fer, assure qu’une journée suffit pour voir Rennes « en visitant les musées, le Palais de Justice, la place de l’Hôtel de ville, la Cathédrale (d’où l’on voit la Porte Mordelaise) et le jardin des plantes » , et ce jusque dans les années 1910. Les Guides Joanne se défont de la prétention initiale des guides touristiques à l’exhaustivité: palais et casernes, églises et hôpitaux n’y tiennent pas le même rang.
     Les guides indiquent soit une sélection, soit une hiérarchie des lieux. Leur présentation sobre et attrayante attire un assez vaste public auquel sont prescrites des normes et des valeurs bourgeoises. Il y a un véritable effort de vulgarisation: les Guides Joanne deviennent un modèle du genre grâce à leur format commode, solidement broché, à leur illustration et à leurs plans urbains. Guides de voyage en langue française par excellence comme leur concurrent allemand le Baedeker, les Guides Joanne n’en restent pas moins attachés à la lignée critique des premiers guides nationaux en généralisant l’idée que « Rennes n’est plus qu’une majesté déchue portant tristement le deuil de son Parlement comme Versailles de son Roi. Elle présente bien, en effet, l’aspect d’une grande ville, moins le mouvement, moins le bruit, moins la vie » .
     D’autres guides nationaux préviennent qu’il faut éviter le quartier reconstruit après l’incendie de 1720 car Rennes « semble la ville des morts, ses grandes voies sont silencieuses, et sans animation et la régularité même des maisons élevées sur un plan uniforme et bâties pour la plupart en granit noire [sic], ajoutent encore à la tristesse générale » . Il en est de même pour les quartiers préservés des flammes où il y a des « maisons rivalisant de vétusté, de laideur et d’irrégularité avec les plus vieilles, les plus irrégulières et les plus laides maisons de Vitré » .

« Un Avignon sans monument et sans soleil »

     Les dégâts dans les esprits sont importants comme en témoignent les articles de presse de 1899, année où Rennes accueille le procès Dreyfus. Les journalistes la dénigrent, faisant écho à leur guide. Leur consoeur Séverine trace un portrait amer des Rennais et de leur ville: « Ils ne nous appellent ni des voyageurs ni des touristes, mais ne nous désignent que de ce seul vocable : les Étrangers. […] Rien n’a pu contre ce granit. Voilà pourquoi Rennes semble un Avignon sans monument et sans soleil » alors que Louis Rogès conclut : « Bien peu sont partis de cette ville avec l’envie d’y retourner » .
     En cette fin de 19e siècle, érudits, membres de Sociétés savantes ou universitaires reconnus localement dénoncent de plus en plus fréquemment les textes péjoratifs des guides nationaux et défendent les beautés et les avantages de leur cité. La réhabilitation de l’image de Rennes est particulièrement active durant toute la première moitié du 20e siècle. En 1925, les éditions Bahon- Rault, créées par le président du syndicat d’initiative de Rennes et de sa Région, attaquent les Guides Joanne et expliquent que « Rennes n’est pas la ville morte que des esprits chagrins se plaisent à proclamer […] : «la ville de Rennes ne renferme aucun monument de premier ordre », les touristes ne manqueront pas de s’apercevoir de l’inexactitude de cette assertion, et de constater que Rennes, grande ville dans le passé, n’est pas non plus une majesté déchue mais une cité qui marche dans la voie du progrès » .
     À partir des années 1930, la propagande touristique de Rennes est assurée par la fédération des syndicats d’initiatives, la chambre de commerce, le conseil général et la municipalité qui publie Rennes, capitale accueillante vous ouvre les portes de l’admirable Bretagne. Même si les Guides Bleus, qui s’adressent aux voyageurs qui arrivent par le chemin de fer, et les Guides Michelin, destinés en priorité aux automobilistes, fournissent, à défaut de détails érudits, des circuits pittoresques rapides où sont classées les curiosités sensées avoir de l’intérêt, les guides locaux essayent d’inviter le visiteur à rester plus de trois heures dans la ville pour qu’il comprenne sa longue histoire et découvre plus que le Palais de Justice, l’Hôtel de ville, la Cathédrale, la Porte mordelaise ou le Thabor.
     L’objectif est bien de rompre avec le regard extérieur et d’affirmer un caractère propre, l’âme rennaise, à la fois immuable et capable de s’adapter aux temps nouveaux, mais également de redonner à la ville son titre de Capitale de la Bretagne. Le guide Rennes, capitale accueillante… est le premier à ériger la cité en porte de l’ouest breton. L’accent est mis sur les lieux de pouvoir et d’enseignement, sur le palais de Justice, les parcs, les églises, les vieilles rues et les meilleurs tableaux du musée.
     Dans la même veine, après la Seconde Guerre mondiale, face aux difficultés locales d’attractivités touristiques, la municipalité publie Rennes capitale de la Bretagne, porte de l’occident, tremplin du tourisme dans l’ouest. Le travail de réhabilitation de l’image nationale de la ville porte vraiment ses fruits dans les années 1950, lorsque les Guides Verts Michelin optent pour une approche plus historique et chronologique. Les grands éditeurs font alors appel plus souvent à des spécialistes et érudits locaux, comme Henri Buffet, directeur des Archives Départementales de 1941 à 1974, conservateur des antiquités et des objets d’art, membre du conseil d’administration du syndicat d’initiative de Rennes et de sa région.
     Pour autant, Rennes reste toujours une étape rapide du voyage en Bretagne et en 1966, le maire lui-même, Henri Fréville, n’hésite pas à signer la plaquette touristique Rennes souhaite votre venue. Les itinéraires touristiques s’enrichissent progressivement en intégrant l’architecture du 19e siècle et des créations contemporaines. Ainsi, les visites qui partent des places de l’Hôtel de ville et du Parlement mettent en valeur l’histoire et la vie culturelle rennaise, alors que celles qui débutent place de la République valorisent les lieux du pouvoir politique et économique. La porte mordelaise, la cathédrale et le parlement demeurent les principaux points d’ancrage de la mémoire rennaise. L’ère de la modernité et de la communication est parfois présentée au palais du commerce, à l’imprimerie Oberthür ou aux Horizons.

     Dans les années 1970-1980, les guides changent d’aspect et de perspectives : Rennes a en effet obtenu le titre de « Ville d’art » en 1978 et le label de « Ville d’art et d’histoire » en 1986. Ouest-France diffuse des ouvrages qui promeuvent la culture urbaine, les productions architecturales et plastiques contemporaines. La vocation touristique de la ville est également renforcée dans les Guides Michelin: elle allie l’utilisation du patrimoine le plus ancien comme le plus anticipateur, la fréquentation intellectuelle comme la gastronomie la plus populaire. Mais le parcours urbain proposé par le Guide vert se limite désormais au secteur sauvegardé et aux rues piétonnes.
     Sur plus de trois siècles, les mêmes sites, les mêmes monuments centraux représentent Rennes et ce, même si l’inventaire officiel des richesses patrimoniales de la cité a été dressé et enrichi par les acteurs locaux. C’est à la fin des années 1980 que la vocation touristique de la ville se renforce, sans qu’il soit possible de privilégier un trait architectural plutôt qu’un autre contrairement à Colmar avec le pan de bois ou Bordeaux avec le 18e siècle. L’office de tourisme de Rennes et les guides nationaux communiquent aujourd’hui sur la diversité du patrimoine rennais en mettant l’accent sur l’ancienneté du site et sa fonction de capitale de Bretagne. Mais, les Guides du Routard, fondés dès 1973 et dont le site internet est aujourd’hui un des plus visités en France, révèlent la permanence des vieux préjugés: « On arrive souvent ici avec l’idée de trouver une grande ville, un peu austère, sans monument éblouissant et sans image de marque précise. En fait, on est surpris de découvrir en Rennes une « ville capitale « (de Bretagne), à taille humaine où il est agréable de vivre et se promener ».

     Rennes, capitale accueillante vous ouvre la porte de l’admirable Bretagne, Rennes, 1937 (collection de l’auteur). En couverture, la Porte Mordelaise de l’ancienne cité ducale, par Pierre Galle, valorise Rennes comme capitale et porte de la Bretagne: « Rennes est véritablement le centre intellectuel, artistique et touristique de cette insondable Bretagne […]. C’est Rennes, sa paisible, sa studieuse, son historique capitale : Rennes, cité des Fleurs, des Musées et des Palais, qui vous ouvre la porte et vous montre la route de la Bretagne enchanteresse ».