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Histoire & Patrimoine
#38
L’inauguration de la statue de Leperdit
RÉSUMÉ > Découvrir l’histoire de la ville à travers une photographie d’archive, tel est l’objectif de cette rubrique proposée par l’historien David Bensoussan, en partenariat avec le Musée de Bretagne, aux Champs Libres à Rennes. Bien connue des Rennais et des touristes, la statue du maire révolutionnaire Leperdit fut édifiée en 1882 sur la place du Champ-Jacquet pour exalter les vertus républicaines.

     Le 22 septembre 1892, est inaugurée à Rennes, place du Champ-Jacquet, la statue de Jean Leperdit, ancien maire de la ville, de février 1794 à octobre 1795, due au sculpteur Emmanuel Dolivet. L’occasion est donnée à la municipalité républicaine de célébrer à la fois le centenaire de la République, décrété fête nationale, et un de ses édiles, véritable héros local, qui s’était fait remarquer pendant la période révolutionnaire par son refus d’accéder aux directives de Jean-Baptiste Carrier lui intimant l’exécution de nombreux suspects.

     Dans une région où l’enracinement de la République reste encore largement à accomplir, la municipalité entend donner à cette inauguration une ampleur digne du centenaire et de ses convictions républicaines nonobstant les dissensions que le boulangisme a fait surgir en place du champ-jacquet L’inauguration de la statue de Leperdit son sein. Celle-ci constitue donc un des points d’orgue d’une journée tout entière consacrée à la célébration de la République, journée dont la dimension festive est intimement associée à sa vocation pédagogique.
     C’est à dix heures que l’inauguration proprement dite a lieu et c’est ce moment que cette photographie nous donne à voir après que le voile recouvrant la statue a été enlevé. La place, de petite dimension, est bondée et ne peut contenir le public nombreux venu assister à l’événement. Elle est très largement pavoisée et, dans les bâtiments limitrophes, les habitants, à leur fenêtre, assistent à la cérémonie. Le fait n’est cependant pas général et indique sans doute la pérennité d’oppositions à la République dans la ville. Au premier plan, de dos, sur une tribune, les personnalités officielles écoutent le préfet Leroux qui, en uniforme de grande tenue, texte à la main, lit son discours célébrant les vertus de Jean Leperdit et fait de cette inauguration la « dette de la gratitude de la République à la liberté ». Au pied de cette tribune, on remarque de nombreux enfants. Certains, coiffés d’un béret avec pompon, représentent les bataillons scolaires, créés en 1881, dans l’atmosphère de la revanche. Leur place, au premier rang, près de la tribune, montre l’importance que l’on accorde encore à Rennes à cette institution tombée en désuétude ailleurs. À leurs côtés, ceux qui sont tête nue, sont sans doute membres de la chorale scolaire dont on aperçoit la bannière juste derrière. Plus en arrière encore, la musique municipale se distingue par les casquettes blanches que portent ses musiciens. Dans la foule, dense, qui borde l’ensemble de la place, on note également d’autres bannières qui témoignent de la présence de nombreuses sociétés, sportives ou musicales. À droite, la première d’entre elles porte l’inscription de la Société des menuisiers attestant la participation de plusieurs corporations ouvrières.

      Si tous les regards convergent alors vers la figure du préfet, il n’en reste pas moins que la photographie restitue bien un espace où s’impose en son centre, fièrement dressée sur son socle, la statue en bronze de l’ancien maire de Rennes tenant dans ses mains la liste des proscrits qu’il s’apprête à déchirer. Première statue élevée sur une place publique de la ville, elle représente ainsi une République libérale, purifiée de ses excès et symbolise aussi la modération qu’entendent affirmer les édiles républicains rennais. Fondue par les Allemands à la fin de l’année 1941, elle a été refondue et inaugurée à nouveau sur la même place en 1994.