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Dossier
#28
RÉSUMÉ > Fils d’imprimeur né à Saint-Brieuc en 1926, Louis Guibert a consacré sa vie à l’imprimerie. Il a dirigé de nombreuses entreprises dans l’Est et le centre de la France, avant de relancer l’activité des Presses de Bretagne, en 1979. Il est également à l’origine de la création de la branche « industries graphiques » du lycée professionnel Coëtlogon, et l’un des promoteurs du musée de l’imprimerie à Pipriac, berceau de Jean Brito, le « Gutenberg breton ». Rencontre avec la mémoire rennaise de l’imprimerie.

     À Rennes, son nom revient régulièrement dans les conversations lorsqu’on évoque l’histoire de l’imprimerie. Louis Guibert, 88 ans, est la mémoire vivante de cette activité : il a notamment dirigé les Presses de Bretagne et fut à l’origine du transfert de la formation aux métiers de l’industrie graphique au sein du Lycée technique de Coëtlogon, en 1992. Il faut l’entendre dérouler le fil de sa vie, dans son appartement lumineux à deux pas du métro Henri-Fréville, pour comprendre que cette histoire d’encre et de papier demeure avant tout une affaire de passion.
    Louis Guibert est né en 1926, à Saint-Brieuc. Son père, également prénommé Louis, est imprimeur, fervent laïque, membre de la Ligue des Droits de l’Homme et ami personnel de l’écrivain Louis Guilloux. Pour autant, à l’adolescence, son fils ne s’imagine pas suivre la voie paternelle. « J’avais obtenu un CAP de mécanique, un BEP de dessin et je me destinais à l’école d’ingénieur d’Angers. Mais c’était la guerre, on ne savait pas quand elle prendrait fin, et mon père s’inquiétait de me voir envoyer en Allemagne dans le cadre du service du travail obligatoire », raconte Louis Guibert. Il conseille alors à son fils de travailler à ses côtés : imprimeur officiel de la préfecture, il fabrique les tickets de rationnement, avec un personnel qui ne peut pas être déplacé. Entré dans la profession en 1942, dans ce contexte très particulier, le jeune Louis va rapidement trouver sa voie. Tout en participant à des actions de Résistance : son père fait partie d’un réseau de fabrication de faux papiers ! « Il était le seul imprimeur capable de réaliser des clichés en zinc d’après une épreuve de cachet de mairie pour établir des fausses cartes d’identité », explique celui que l’on appelle « Abel » dans la clandestinité. Durant cette période, Louis Guibert effectue également un stage à Châtelaudren, dans l’imprimerie du Petit Écho de la mode, qui emploie à l’époque 350 salariés.

     Après quelques années aux côtés de son père, le jeune homme décide de voler de ses propres ailes. Il prend la gérance d’une petite imprimerie à la frontière belge, à Hirson dans l’Aisne, et suit des cours par correspondance pour devenir chef de fabrication d’imprimerie. Il en est persuadé : le métier a de l’avenir, à condition de se former en permanence aux nouvelles techniques. Nous sommes alors au milieu des années cinquante. Louis Guibert repère une petite annonce à Nancy : la Société des impressions typographiques, une imprimerie de 60 personnes, recherche son directeur. « J’ai postulé et j’ai été retenu. Je n’avais pas trente ans ! On a gagné de l’argent, j’ai racheté des machines, l’entreprise a prospéré, j’y suis resté dix ans », raconte-til simplement. Mais il ne parvient pas à convaincre les propriétaires de l’imprimerie de réaliser des investissements supplémentaires pour rester dans la course. Louis Guibert rejoint alors une autre société à Nancy, plus moderne, qui mise sur l’impression offset, alors en plein essor. Les commandes affluent, politiques, culturelles : « j’ai imprimé l’affiche de Mitterrand pour l’élection présidentielle de 1965, avec le pylône électrique en arrière-plan, celles du Jeune Théâtre de Nancy, que venait de créer Jack Lang ! », se souvient avec enthousiasme Louis Guibert.
     Au début des années soixante-dix, il quitte l’Est de la France, où il aura vécu 15 ans, pour reprendre la direction d’une affaire à Chartres, puis les commandes de l’imprimerie Aubin, à Poitiers. « Je gérais 250 personnes, c’est l’époque de l’arrivée de la photocomposition, l’ancêtre du numérique. En 1971, je suis allé au Congrès international de l’imprimerie à Chicago, pour y découvrir les dernières innovations », raconte celui qui a rejoint depuis plusieurs années déjà l’Union nationale de l’Imprimerie et de la Communication (UNIC), dont il est aujourd’hui encore le président régional pour la Bretagne.

     Car la Bretagne, Louis Guibert la retrouve en 1979. Après quelques années en région parisienne, il revient en effet à Rennes au chevet d’une entreprise moribonde, les Presses de Bretagne. Installées à l’époque avenue Janvier, et propriété de la famille Prost, elles impriment notamment l’hebdomadaire Les Nouvelles. « L’affaire était en dépôt de bilan. Je l’ai redressé dès la première année. C’était une entreprise archaïque, tout ou presque était bon pour le musée ! », explique l’ancien patron. Durant dix ans, jusqu’à son départ en retraite en 1989, Louis Guibert va piloter l’entreprise en jouant la carte de la modernisation industrielle. Il investit dans des machines américaines de photocomposition, les fameuses Photon, et pilote le transfert de l’imprimerie dans la zone industrielle Sud-Est, son adresse actuelle.
    C’est durant cette période rennaise que Louis Guibert s’intéresse de près à la formation, via son syndicat professionnel. Membre de jurys d’examen, il supervise les épreuves du BEP, du baccalauréat et du BTS des élèves du lycée technique Robidou. « Une année, j’ai refusé de noter les élèves à l’épreuve du BEP : ce n’était pas de leur faute, mais ils travaillaient sur des machines obsolètes, qui avaient été données par Oberthur, et ils ne pouvaient rien apprendre de bon ! », se souvient ce patron pédagogue. Une décision, on s’en doute, qui ne reste pas sans effet. Immédiatement, un inspecteur général diligente un audit des professeurs et des installations : une petite révolution ! Dans la foulée, les enseignants, qui pour beaucoup étaient d’anciens techniciens des imprimeries Oberthur, sont envoyés en formation accélérée à l’école de l’imprimerie de Grenoble, sur du matériel moderne.

     Mais la pédagogie n’est pas seule en cause : les locaux de la section imprimerie du lycée Robidou, eux aussi, sont inadaptés. Situés en bordure de la Vilaine, ils sont régulièrement victimes d’inondations. Louis Guibert a son idée : pourquoi ne pas déménager machines, enseignants et lycéens dans une nouvelle structure, moderne et fonctionnelle ? Il fait part de son projet au maire de Rennes, Edmond Hervé, et au président du conseil régional, Yvon Bourges. L’écoute est attentive : la ville cède les terrains, la région trouve des financements et l’inspecteur d’académie valide le projet, qui consiste à transférer les activités dans des locaux flambants neufs construits dans le périmètre du Lycée professionnel Coëtlogon, au nord de Rennes. L’inauguration du pôle « industries graphiques » a lieu en 1992, et Louis Guibert ne cache pas sa fierté d’avoir été à l’origine de cette opération dont ont bénéficié plusieurs milliers de futurs professionnels (lire la rencontre de Gilles Cervera avec cinq d’entre eux, page 39).

     Mais l’homme a d’autres motifs de satisfaction, et encore de nombreux projets. L’un d’entre eux lui tient particulièrement à coeur. Il s’agit du musée de l’imprimerie, qu’il défend depuis vingt ans à Pipriac, village natal de Jean Brito, le « Gutenberg breton » (voir l’article de Malcom Walsby, page 9). Créé en 1994 à l’initiative de Madeleine Guillonnet, ancienne professeur d’histoire, ce musée attend un second souffle. Ouvert au public uniquement sur demande pour des visites commentées, il abrite une trentaine de machines et de presses réunies par Louis Guibert et les bénévoles de l’association à la fin des années 1990, ainsi qu’un atelier de gravure. C’est ce dernier qui assure l’animation du site. « Notre atelier comprend plusieurs presses (taille-douce, typographiques) et une presse lithographique, mais également des marbres et une table chauffante… c’est un très bel atelier, sans équivalent à ma connaissance en Bretagne, explique l’un de ses coordinateurs, Gildas Duplenne. Il fonctionne de manière collégiale une fois par mois, avec la présence d’une artiste graveuse confirmée qui nous transmet ses connaissances techniques et son expérience au gré du cheminement de chacun ». Ayant rejoint au 1er janvier 2014 la communauté de communes du Pays de Redon, Pipriac rêve de relancer le projet de musée à l’échelle de cette intercommunalité. Une étude a été réalisée, qui préconise de regrouper le musée, la médiathèque et l’atelier de gravure dans un nouvel espace de 1 750 mètres carrés, pour un investissement estimé à 5 millions d’euros. Ouest-France pourrait être partenaire, en inscrivant le musée de Pipriac dans le circuit de visites des rotatives du journal (lire l’article de Georges Guitton, page 50).