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Rennes des écrivains
#17
Pierre Tanguy : ma piste verte dans la ville
RÉSUMÉ > Journaliste, écrivain et poète, Pierre Tanguy a mené l’essentiel de sa carrière à Ouest-France. D’abord à Quimper puis à Rennes. Il partage aujourd’hui sa vie entre ces deux villes et poursuit dans la veine journalistique en rédigeant des chroniques littéraires axées sur la poésie (notamment pour les revues Hopala et Place publique).

Pierre Tanguy (suite)

     Né en 1947 à Lesneven, au cœur du pays léonard, Pierre Tanguy a publié en 1978 son premier recueil de poésie intitulé « Mon grain de sel ». Mais la majorité de ses livres date de sa rencontre – décisive - avec l’éditeur rennais Yves Landrein (La Part commune). Pierre Tanguy a publié neuf recueils chez cet éditeur, dont Haïku du chemin en Bretagne intérieure, Lettre à une moniale, Que la terre te soit légère…Un de ses recueils, Roue libre dans la ville,publié en 2004, est consacré exclusivement à ses déambulations de cycliste dans Rennes. Pierre Tanguy vient, par ailleurs, de rédiger la préface à la réédition de deux romans de Xavier Grall (Africa Blues et Cantique à Mélilla, chez Terre de brume). Il a aussi participé, en 2010, à l’ouvrage collectif consacré aux trente ans de la disparition de Jean Sulivan.

     Je ne suis pas né à Rennes. Je suis Finistérien. Mais Rennes était dans mon cœur avant que je vienne, un jour, y vivre et y travailler. J’aime Rennes grâce à mon père qui vibrait, tous les dimanches après-midi, pour le Stade Rennais. L’oreille collé à son vieux poste, il écoutait en différé les comptes-rendus du match des Rouge et Noir sur Radio-Quimerc’h. Il m’a fait aimer le Stade Rennais, la seule équipe bretonne – à l’époque – dans l’élite du football français. Et bien avant de connaître les chefs-lieux de départements et les noms des rois de France, je connaissais par cœur l’équipe-type du Stade Rennais. Mon père me la récitait avec gourmandise après l’avoir lue, et commentée, dans la rubrique sportive d’Ouest-France (car, à la maison, nous lisions le journal de Rennes, un vrai défi dans le fief du Télégramme de Brest).

     Quand je suis venu vivre à Rennes, j’ai donc commencé par prendre le chemin du Stade. En pensant très fort à mon père, dans mon pas pressé vers l’enceinte du Parc des sports de la route de Lorient, puis en lui racontant – dans des lettres ou au téléphone – les exploits de son équipe favorite. Moments d’émotion car mon père, qui était membre des Socios du club, ne s’est jamais déplacé pour un match à Rennes.

     Mais aujourd’hui mon père n’est plus là. Et puis le football a bien changé. A Rennes, comme dans beaucoup d’autres villes. J’ai donc tourné mon regard ailPlaleurs, même si ma passion footballistique pour les Rouge et Noir ne demande qu’à s’enflammer à nouveau.
     J’ai donc découvert Rennes. Je veux dire la ville de Rennes. Le soir, d’abord, en déambulant dans les rues après le travail. La Vilaine coulait sombre sous les ponts. Je gambergeais un peu. Me manquait l’eau vive de l’Odet ou de l’Aber-Vrac’h. Je découvrais (en bon Léonard) des choses incongrues, comme ce bistrot « Babylone » jouxtant la cathédrale. Et j’allais en quête de vitrines de librairies : celle de Le Failler, face au Parlement ; celle de Matinales-La Procure, rue Bertrand, (dans le souvenir du rennais Jean Sulivan, mon auteur de chevet) ; celle des Nourritures terrestres, rue Hoche, et qui me faisait tant penser à la librairie quimpéroise Calligrammes de Bernard Guillemot.

Le vélo sans fatigue


     Au fil des mois, j’ai découvert que Rennes c’était plat. Je veux dire plat topographiquement. On pouvait y faire des kilomètres à vélo sans se fatiguer. Après avoir fini d’user mon vieux vélo quimpérois, j’ai poussé la porte du magasin de Jean Bonnamy, boulevard Laënnec. Ce grand expert en bicyclettes et courses cyclistes, homme bougon et aux propos plutôt carrés, m’a vendu deux vélos à usages différents. Je l’ai quitté après qu’il m’ait collé sur les garde-boue des autocollants de son magasin (ils y sont toujours). On s’est, par la suite, revu assez souvent pour cause de crevaisons ou de pignons fatigués.
     J’ai fait des milliers de kilomètres à vélo dans Rennes. Oui, des milliers. De mon domicile du boulevard de Sévigné (au 4e étage d’un modeste immeuble très sonore) jusqu’à mon lieu de travail au fond de la zone industrielle Sud-Est. Mon itinéraire a peu varié au cours des années, facilité par l’existence d’une piste cyclable sur une large portion du parcours.
     Me voici donc, pour commencer, boulevard de Metz puis boulevard de Strasbourg sur la longue ligne droite longeant le centre Guillaume Régnier. C’est ensuite Villebois-Mareuil avec un coup d’oeil, à gauche, sur les jardins familiaux du côté de la plaine de Baud après avoir franchi le pont au-dessus de la promenade des Bonnets rouges.
     Le rond-point du cimetière de l’Est – difficile à négocier pour un cycliste – est le moment-clé de mon périple, avec ses feuilles d’érable tapissant, à l’automne, la placette devant le cimetière, son lumineux parterre de chrysanthèmes à la Toussaint, et, toute l’année, les huîtres et le muscadet servis au bistrot du coin (sans oublier le fumet de la galette-saucisse).
     Mais je me vois déjà attaquant un « col », la butte du Haut-Sancé. Debout sur les pédales, un épais halo de fumée sortant de ma bouche dans les matins frisquets, mais le plus souvent suant sous ma veste de laine et ma casquette irlandaise. Ici, à l’automne, les marrons font des bonds sous les roues. Au début du printemps, les crocus jaunes des plate-bande illuminent le trajet. Enfin, au bout de l’effort (Rennes, c’est plat, mais il y a quelques petites buttes), c’est la vue sur l’enchevêtrement des rails et l’appel sonore des trains filant sur Brest ou Paris.
     Je n’ai chuté qu’une fois. Dans la descente du col. Une plaque de verglas. Coude cassé, bras en écharpe et dents abîmées. Mais ma plus grande frayeur au cours de ces années : être poursuivi, par une nuit sans lune, retour du travail, par un molosse échappé des grilles d’une entreprise de la zone industrielle. Le monstre a-t-il vu qu’il avait affaire à un cycliste trop véloce pour lui ? Il a, en tout cas, arrêté brutalement sa chasse.
     Mais de mon Rennes de cycliste, je vais vous faire cette confidence. J’aime Rennes – et ne le prenez pas mal – parce qu’on peut s’y échapper en quelques coups de pédales. Je découvre très vite, émerveillé, qu’il suffit de rejoindre le canal Saint-Martin pour se retrouver, quelques minutes plus tard, en pleine nature. « Et vous pouvez aller comme cela jusqu’à Dinan », m’avait dit un agent immobilier quand je faillis m’installer près du boulevard de Chézy.

On peut très vite s’échapper


     Rennes, c’est plat. Le chemin de halage aussi. Quel bonheur de s’engager sur « Le chemin des écluses » (titre d’un recueil du poète Lionel Bourg, en résidence à la Maison de la poésie). A moi - passé les prairies saint Martin et la Bellangerais – les haltes de Saint-Grégoire, du Gacet, de Charbonnière… Je pédale, je pédale, accompagné par le son rauque de mes amis les colverts et le bruissement des feuilles de peuplier. Parfois un héron farouche me précède à grands coups d’ailes. Mais les pêcheurs restent toujours de marbre, vissés à leurs bouchons. Quand je me sens léger, je bifurque à Betton pour rejoindre la forêt de Rennes. Au carrefour du Placis vert, je me laisse apprivoiser par le silence. Grand calme sous les hêtres et, au retour, crépitement des glands sous les roues de mon vélo.
     De Rennes, on peut aussi s’échapper très vite par le sud. Après l’écluse du Moulin du comte (et un coup d’oeil obligé sur le match des gamins du Stade rennais), roue libre vers les étangs d’Apigné où je passe des heures, la nuque dans l’herbe, à boire le ciel immense, traversé à l’occasion par le ronronnement de quelques coucous venus de l’aéroport. Puis enfourchant mon vélo, je tente une profonde incursion jusqu’à Pont-Réan et l’écluse du Boël en suivant un chemin plein de nids de poule, bordé, selon les saisons, de champs de colza ou de maïs.
     Rennes. Une ville à la campagne (mais loin de la mer). C’est ainsi que je la vois. Et d’autant plus que, lui faisant une infidélité, je viens habiter pendant quelques années à Saint-Grégoire. Désormais, pour rejoindre mon lieu de travail, ce n’est plus cinq kilomètres et demi. C’est onze kilomètres. Je cale certains jours. Mais la piste cyclable est toujours là. Elle me conduit, les jours de congés, dans des variantes champêtres. Vers les Gayeulles et le Parc des bois. Vers le chemin des Louvries et son espace agreste où viennent paître, parfois, d’aimables taureaux ou des placides laitières. Sur place, on peut cueillir mûres et noisettes, et même des framboises. Le chemin me conduit ensuite vers Maison blanche d’où je rejoins le quartier Saint Laurent. Là, par la Tauvrais, j’emprunte une allée ombragée où je me gave de griottes en juin, avant de rejoindre la si bien nommée « coulée verte ».
     Rennes, parfois, c’est aussi la campagne dans la ville.