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Dossier
#01
RÉSUMÉ > Nantes et Rennes ne peuvent plus se contenter d’un développement parallèle. Une collaboration d’un type nouveau, dont plusieurs villes européennes donnent l’exemple, devrait fédérer et entraîner tout l’Ouest. Cette collaboration doit notamment porter sur l’enseignement supérieur, la recherche, l’attractivité, la mobilité.

     Rennes est la onzième ville de France, Nantes la sixième. L’une est bretonne. L’autre aussi, mais au carrefour de tant d’autres influences dans l’histoire. Ange Guépin 1 ne décrivait-il pas Nantes comme située « au centre des départements de l’Ouest » ? Les deux capitales régionales se sont développées sans véritablement s’affronter ; une concurrence tantôt inavouée, tantôt susurrée ou parfois sportivement clamée… sur les terrains de football. Des histoires quasi parallèles font tantôt de l’une tantôt de l’autre la métropole en vue de l’Ouest. Des échanges et des rencontres ont été initiés au début des années 90 au sein de la Conférence des grandes villes de l’Ouest ou de l’Arc Atlantique 2. Des collaborations se sont développées entre les universités, les laboratoires de recherche et les entreprises. Mais leur intensité est encore toute relative et le plus souvent discrète.

     L’histoire pourrait se poursuivre ainsi. Les circonstances permettent d’envisager l’avenir autrement. Ces circonstances sont politiques : la nécessaire réponse aux défis que pose la globalisation aux villes et aux territoires ; la volonté exprimée par les deux maires et présidents d’agglomérations dans le mouvement et la foulée de l’espace métropolitain Loire Bretagne 3 créé il y a cinq ans.

     Cette coopération entre Nantes et Rennes se pose aujourd’hui avec acuité et même une certaine urgence. Le moment est donc venu d’écrire une nouvelle page de l’histoire entre nos deux villes.

     Il ne s’agit pas de constituer un tandem. Sur un tandem on est deux, mais seulement deux. Cette dynamique doit s’appuyer sur de multiples acteurs et territoires en mouvement, les fédérer, chacun étant alors projeté dans une ambition et un projet collectif qui le dépasse. Il faut que Nantes-Rennes entraîne. Entraîne et fédère l’Ouest, de la Manche à l’Atlantique.

     Les villes ont toujours joué un rôle spécifique dans l’histoire du monde. Elles vont prendre une place encore plus singulière dans l’avenir. Leur forme a changé. Elle va encore changer. L’urbanisation de la planète est en marche accélérée. Pour la première fois en 2008, la part des urbains a dépassé celle des ruraux dans le monde. D’ici à 2050, les trois quarts de la population du monde seront des urbains. On peut voir ce mouvement d’un bon ou d’un mauvais œil. Peu importe. Les forces sont là qui le conduisent. Ce phénomène aura de nombreuses conséquences économiques, sociales et environnementales qui ne sont pas l’objet de cet article.

     Nantes et Rennes sont dans ce mouvement. Chacune est devenue métropole. Elles ont grandi, à leurs rythmes respectifs, avec leurs particularités. Mais l’une et l’autre sont devenues des moteurs pour leurs régions et pour l’Ouest par leur dynamisme économique et démographique. Leur rayonnement culturel et intellectuel s’est intensifié.

     Leur développement leur confère aujourd’hui un rôle mais aussi une responsabilité particulière envers les territoires qui les environnent.

     Les interactions sont de plus en plus fortes entre les deux agglomérations et l’ensemble des autres villes. En matière d’emploi, de déplacement, de loisirs, d’habitat… Nantes, Rennes et leurs agglomérations influencent un espace bien plus vaste que leurs limites administratives.

     Ceci est d’abord une conséquence de leur croissance plus qu’un choix. Les cités et leurs formes, ce sont avant tout les habitants, les acteurs économiques et sociaux qui les dessinent. Les deux métropoles sont ainsi devenues multipolaires. Comprenant tout à la fois de la ville et de la campagne, des campagnes urbaines dit-on parfois ; rassemblant dans un devenir commun les grandes villes centres et les villes moyennes ou petites.

    Nos deux métropoles rayonnent. Elles doivent développer des synergies avec leur environnement qu’elles irriguent autant qu’elles y puisent leurs forces.

     Leur responsabilité est aussi là : ne pas se contenter de capitaliser dans le cœur urbain – qui accueille les fonctions dites métropolitaines – le bénéfice de ces évolutions, ne pas penser qu’il peut se suffire à lui-même. Car toute mutation urbaine – et nous en vivons une – peut engendrer des déséquilibres sociaux ou écologiques.

     Nantes et Rennes avec leur histoire, leur différence, et leur culture propre ont toutes deux su préserver une forme de cohésion sociale et de qualité de vie. Elles ont engagé ces dernières années un dialogue approfondi avec les territoires avoisinants pour construire les bases d’un développement durable partagé. Celui qui doit profiter à tous. À tous les territoires, à tous les habitants.

     Nantes a initié ce processus il y a vingt ans déjà avec Saint-Nazaire, Rennes et Saint-Malo font de même. Les deux agglomérations font du couple littoral – métropole une force pour leur développement. La conférence métropolitaine Nantes/Saint-Nazaire/La Baule, le colloque Rennes/Saint-Malo tenu l’année dernière en sont tout à la fois les témoins et les ressorts.

     Si nos deux métropoles doivent maîtriser et organiser leur développement elles doivent aussi l’assurer.

     Le monde tel qu’il se dessine, sera marqué par la concurrence entre les grandes métropoles dans un univers globalisé – même s’il empruntait une autre voie que celle de la mondialisation financière. Celles qui renforceront leur attractivité internationale pourront, mieux que les autres, faire face aux aléas et aux incertitudes. Ce n’est pas une question de prestige ou de standing. C’est une nécessité pour assurer un développement pérenne.

     C’est à cette échelle internationale, où Nantes et Rennes pèsent encore modestement, que leur union prend aujourd’hui tout son sens. C’est cette alliance d’avenir qu’elles doivent aujourd’hui nouer, pour tout l’Ouest.

     Car une métropole et avec elle toute une région peut en quelques années basculer du progrès au reflux. Et le reflux, ce sont des emplois en moins, de la richesse en moins, des politiques publiques amputées, celles qui fondent la cohésion sociale, celles qui permettent d’investir et de s’adapter au nouveau contexte qui s’annonce.

    Dorénavant économie et environnement seront intimement liés. L’environnement deviendra même une des conditions et un moteur du développement. Et par là même une des conditions des politiques de solidarité. Si Nantes et Rennes n’inventeront pas seule cette nouvelle croissance, elles ont le devoir d’y contribuer.

     Leur attractivité en dépend aussi, car l’une comme l’autre ont fondé leur essor sur cette qualité de vie, cette attention aux questions sociales et environnementales, source de vitalité des villes du futur.

     Et comme « on ne résout pas un problème avec les modes de pensée qui l’ont engendré » 4, la créativité et l’innovation seront au cœur de ce social éco-développement qui émerge autant qu’il faut l’inventer.

     Il est donc indispensable qu’entre Nantes et Rennes des coopérations encore plus fortes se nouent sur les pôles de compétitivité, sur tout ce qui concourt à l’innovation, à la recherche et à la création. De cela sera issu le monde de demain.

     L’éducation et la formation sont évidemment au cœur des actions qui permettent de relever ce défi. Nantes s’engage dans une politique offensive de réussite éducative. Avec Saint-Nazaire et la région, l’agglomération nantaise vient de décider la création d’une école de la deuxième chance. Dans un monde de concurrences s’il est bien un sujet où la compétition entre nos deux métropoles serait un non-sens c’est celui de l’éducation et de la formation. Je pense bien entendu aux universités et aux grandes écoles qui doivent travailler en synergie, développer des filières communes, offrir des parcours diversifiés et complémentaires à leurs étudiants, accueillir davantage d’étudiants et de chercheurs étrangers.

     C’est la voie qu’ont choisie Copenhague et Malmö avec la Région de l’Øresund 5. Leur démarche, « onze universités en une », implique 165 000 étudiants et 12 000 chercheurs. Elle est le terreau de la « Medicon Valley » rassemblant les universités et les entreprises innovantes dans le domaine des biotechnologies et des sciences du vivant qui réunit plus de 250 partenaires publics et privés et permet au réseau d’être identifié internationalement comme un pôle d’excellence. D’autres grandes villes françaises ont déjà pris de l’avance en matière d’enseignement supérieur et de recherche. Il est temps pour Nantes et Rennes d’accélérer.

     D’autant que les collaborations à cette échelle demandent de la durée pour trouver leur pleine puissance et efficacité. L’observation d’autres bi-pôles européens nous le montre. Ils fondent souvent leur coopération sur des investissements lourds en faveur de liaisons, ferroviaires notamment, performantes entre les deux villes.

     Ainsi Glasgow et Edimbourg, dont le slogan commun est « collaborer pour être compétitif », sont aujourd’hui à 50 mn en train et ont lancé un programme d’amélioration de cette desserte. Le trajet Copenhague-Malmö s’effectue en 35 min. Amsterdam et Rotterdam seront fin 2009 à 35 min – une heure actuellement – grâce à une ligne à grande vitesse, nouveau lien entre les deux métropoles, contribuant aussi à leur meilleure relation au monde puisque cette ligne desservira l’aéroport de Schipol situé dans l’intervalle.

Mieux connecter le Grand Ouest à l’Europe et au monde

     L’accessibilité est naturellement un sujet central pour l’attractivité de Nantes et Rennes. Il nous faut mieux relier le Grand Ouest à l’Europe et au monde. C’est essentiel pour l’implantation d’entreprises, pour l’accueil de chercheurs ou le développement du tourisme. Nantes est à 2 heures de Paris en TGV. Rennes en sera bientôt à 1h30. Mais l’Ouest à terme pourrait, s’il n’y prend garde, être insuffisamment connecté au reste du monde et aux grandes lignes de transport européennes qui se dessinent.

     C’est bien entendu le sens du projet de nouvel aéroport, qui doit dorénavant se penser dans une vision plus globale de l’aménagement du Grand Ouest. Avec aussi une ambition pour le développement des liaisons ferroviaires et maritimes. Il faut que soit inscrite au futur schéma national des infrastructures de transport une liaison ferroviaire rapide Nantes-Rennes en 40 min qui desserve le futur aéroport. Mais au-delà il faut imaginer son prolongement en direction de Poitiers, en améliorant parallèlement la connexion des deux métropoles avec Brest et Quimper d’un côté, Saint-Nazaire et Angers de l’autre. Cinq millions d’habitants seraient ainsi directement reliés au futur réseau grande vitesse du sud de l’Europe vers Milan et Turin d’une part, Barcelone et Lisbonne d’autre part.

     Faire cela c’est aussi conforter le grand port maritime de Nantes/Saint-Nazaire qui, avec une réflexion approfondie sur un schéma logistique, verrait ainsi son hinterland gagner en profondeur et se retrouver en situation nettement plus favorable pour le développement des futures autoroutes de la mer.

     Ces grands projets d’infrastructures ne se conçoivent pas sans une action résolue en faveur d’une mobilité plus aisée pour chacun des habitants. Que ce soit pour la formation ou l’emploi la possibilité de se mouvoir facilement dans un espace plus grand, de façon simple et rapide est un atout supplémentaire.

     La mixité sociale que nos villes tentent chaque jour de favoriser ou préserver ne doit pas être pensée de façon statique. La mobilité sociale – et avec elle l’idée d’épanouissement et de réussite personnelle – me paraît tout autant essentielle. Bien vivre dans son quartier, dans sa commune, est une nécessité. Pouvoir en sortir pour accéder à la formation, à la culture aux loisirs est tout aussi vital. Il ne s’agit donc pas seulement de penser des infrastructures de transport. Il faut aussi penser à leur lisibilité, à leur usage possible par le plus grand nombre. Cela passe aussi à terme par l’éducation, la possibilité offerte à tous et l’envie donnée à chacun — en particulier aux enfants — de découvrir le monde qu’il soit proche ou lointain. Nantes et Rennes, si proches et encore si lointaines, pourraient ainsi développer l’esprit de curiosité et de découverte chez les plus jeunes. Car si l’ère de la multiplication des échanges virtuels, numériques est devant nous, l’humanité aspirera toujours – plus peut-être encore – à la richesse des rencontres.

     Créativité, innovation, recherche, éducation, mobilité fondent les coopérations initiées par des grandes villes européennes. Les contextes ne sont pas forcément les mêmes, les échelles non plus. Mais leur réflexion et leur expérience doivent permettre à Nantes et Rennes de gagner du temps. L’heure n’est plus à s’interroger sur l’opportunité mais sur la façon d’avancer au mieux ensemble. Il faudra le faire avec ambition et pragmatisme, avec l’esprit ouvert au monde tout en s’appuyant sur nos forces et nos atouts, sans nier les concurrences qui resteront ici ou là bien naturelles. La compétition peut être une saine émulation si les valeurs sont partagées ; et, s’agissant de l’avenir de nos villes de nos départements et de nos régions, si cette énergie est mise d’abord au service du bien commun et du mieux-être de chacun des habitants.