ou pour deux villes ?
De quelle ville l’aéroport, dit aujourd’hui de Notre-Dame-des-Landes, portera-t-il le nom ? Poser la question au singulier oblige à répondre Nantes. Situé à 22 kilomètres du centre-ville, il sera, quoi qu’il arrive, l’équipement du chef-lieu de Loire-Atlantique. Poser la question au pluriel — de quelles villes portera- t-il le nom ? — laisse ouverte l’hypothèse qu’il soit l’aéroport de Nantes et de Rennes, voire un jour, imaginent certains, de la métropole Nantes-Rennes, et des autres villes et territoires de l’Ouest situées dans leur orbite.
Sous cette question anodine se cache un enjeu de taille pour les deux capitales régionales, celui des limites de la coopération affichée et des réalités de la concurrence qu’elles continueront ou non de se livrer sous le vernis des discours. Car pour une ville, un aéroport reste un sacré levier de développement, a fortiori s’il est la tête de pont d’un territoire Ouest de sept millions d’habitants en prenant une dimension internationale. Précision utile (qui évitera, espérons-le, les commentaires indignés), la question examinée ici n’est pas celle de la pertinence du projet d’aéroport, mais celle de son impact potentiel sur les deux villes et leurs relations, s’il est construit et inauguré en 2015 comme prévu à ce jour.
Posé au nord-ouest de l’agglomération nantaise, Notre- Dame-des-Landes restera, comme son prédécesseur, un aéroport de proximité. Dix à quinze minutes (hors heures de pointe) suffisent aujourd’hui pour se rendre du centre de Nantes à Nantes Atlantique. Il en faudra seulement le double pour aller au nord du bourg de Vigneux-de-Bretagne, où sera situé le point d’accès du public au nouvel aéroport. Les uns viendront par la route de Vannes, en bifurquant à droite juste après Le Temple-de-Bretagne, les autres par la route de Rennes en prenant à gauche à hauteur de Grand- champ-des-Fontaines. La construction de ce « barreau routier » de onze kilomètres connectant ces deux voies d’accès à l’aéroport coûtera 63 millions d’euros. Partie intégrante du projet, chiffré lui-même à 581 millions d’euros, c’est la seule infrastructure nouvelle de transport dont il est certain qu’elle sera réalisée à son ouverture.
La construction de Notre-Dame-des-Landes pose, de facto, la question du devenir de Rennes aéroport. Celui-ci sera-t-il complémentaire de son grand confrère ou menacé de marginalisation, voire de disparition ? Le centre de Rennes restera distant de trois quarts d’heure à une heure de voiture de Notre-Dame-des-Landes, soit le triple du temps nécessaire pour gagner l’aéroport rennais actuel, situé au sud-ouest de la ville. C’est nettement plus que la moyenne des aéroports 1. La plupart ne sont qu’à une vingtaine de kilomètres et trente minutes du centre de leur agglomération de référence, à l’exception des plates-formes ayant une fonction de hub, distantes de quarante à quarante-cinq minutes, comme Roissy et Lyon-Saint-Exupéry.
Plus que les temps de liaison avec les centres-villes, ce sont les zones de chalandise qu’il faut examiner de près. Sujet sensible car le futur aéroport de Loire-Atlantique et Rennes aéroport, font en ce moment l’objet d’appels d’offres sur leur exploitation. Savoir d’où viennent les passagers qui embarquent aujourd’hui à Nantes et à Rennes sont des données essentielles pour bâtir les scénarios commerciaux et financiers futurs. Autant dire qu’on ne les communique pas. Tout juste se borne-t-on, côté nantais, à expliquer les règles du jeu. « Ce sont les compagnies aériennes qui décideront. Les normes du métier sont de prendre en compte la population d’une zone située à une heure de temps de transport », indique Laurent Noirot-Cosson, directeur commercial de Nantes Atlantique. Ceci vaut pour la clientèle d’affaires, la plus importante au plan financier pour les exploitants de plates-formes aéroportuaires.
Du point de vue de la proximité, le maintien de Rennes aéroport est donc incontournable. Y compris après la mise en service de la ligne ferroviaire à grande vitesse qui mettra Paris à une heure trente de Rennes. Gagner une demi-heure sur Rennes-Roissy ne réglera pas le problème du manque de liaisons avec l’aéroport parisien, source de temps d’attente rédhibitoires.
Ce n’est pas sur le temps de déplacement mais sur l’offre de lignes et sur la fréquence des vols que Rennes aéroport devra résister à son futur grand voisin. « Pour faire face au développement des low-cost, les grandes compagnies ont intérêt à jouer la carte de la fréquence, qui donne la souplesse horaire recherchée par les clients », explique aussi Laurent Noirot-Cosson. Or, qui dit fréquences élevées dit concentration sur un seul aéroport. L’attractivité commerciale rejoint en ce domaine la maîtrise des coûts d’exploitation, vitale pour l’avenir même du trafic aérien. Rennes aéroport ne devrait donc conserver que les trafics pour lesquels la proximité est un avantage sur la fréquence, en recherchant la complémentarité avec Notre-Dame-des-Landes.
Pour les charters, le sujet principal n’est plus d’être proche mais d’éviter Paris, ses aéroports difficiles d’accès et la rupture de charge supplémentaire qu’ils imposent. En ce domaine, la concentration des opérateurs sur un site principal est faite. Nantes Atlantique a pris le pas, plus encore que sur les autres trafics passagers, avec une zone de chalandise allant de Brest à Tours et La Rochelle. On voit mal pourquoi son successeur perdrait ce leadership.
Dire qu’un aéroport important est un facteur d’attractivité, donc de développement fondé sur les échanges avec d’autres villes et régions du monde, est toujours une évidence pour certains, mais désormais une hérésie pour d’autres. Constatons simplement qu’aucune métropole, qu’aucun grand territoire économique n’existe sans cet équipement et a fortiori n’est prêt à y renoncer.
Si la bascule des lignes aériennes se fait un jour de Rennes aéroport vers Notre-Dame-des-Landes, même partiellement, il deviendra impératif pour les Rennais qu’une ligne ferroviaire à grande vitesse Rennes-Nantes, connectée à Notre-Dame-des-Landes, recrée avec l’aéroport la proximité temporelle perdue au plan géographique. Et, au-delà pour les Bretons et les Ligériens, que cette ligne nouvelle soit connectée aux lignes existantes pour devenir la colonne vertébrale d’un réseau ferroviaire interrégional à grande vitesse. Voilà qui augmenterait la zone de chalandise de Notre-Dame-des-Landes et en ferait réellement l’aéroport de l’Ouest. Et surtout changerait radicalement les relations entre les villes et territoires des deux régions, tenus éloignés les uns des autres par l’étoile ferroviaire actuelle, centrée sur Paris. Faut-il rappeler que Nantes-Rennes en train passe par Savenay, Pontchâteau et Redon, et prend une heure vingt-cinq s’il n’y a pas de changement ? Malheureusement, l’arbre aéroportuaire cache pour l’instant un désert ferroviaire.
Reprenons le dossier en partant de ce qui est prévu sur ce plan, pour en mesurer la modestie à l’aune des attentes des régions Bretagne et Pays de la Loire, et des métropoles nantaises et rennaises, en phase sur ce sujet. Première déception, le train-tram Nantes-Châteaubriant, pourtant très coûteux (195 millions d’euros d’infrastructures et 45 millions de matériel !), n’améliorera pas la liaison Nantes-Rennes, quand bien même la ligne Rennes-Châteaubriant existe-t-elle. Les trains venus de Rennes et de Nantes arriveront nez à nez à Châteaubriant et repartiront dos à dos…
Cette ligne permettra par contre, grâce à un « débranchement » à La Chapelle-sur-Erdre, de rejoindre Notre-Dame-des-Landes en réalisant les vingt kilomètres de voies manquantes. Quatre variantes de voies sont étudiées, la concertation publique aura lieu en 2010, et il pourrait en coûter 145 millions d’euros, matériels roulants inclus. La décision et le portage reviendront au Syndicat mixte d’étude de l’aéroport de Notre-Dame-des- Landes, que préside Patrick Mareschal, président du conseil général de Loire-Atlantique.
Le financement sera sans doute une pierre d’achoppement difficile. Les collectivités locales refusent l’idée avancée par le préfet de Loire-Atlantique de commencer par une liaison en car. « Nous voulons une ligne de chemin de fer dès l’ouverture », indique Gilles Bontemps, vice-président du conseil régional des Pays de la Loire, en charge des infrastructures et transports. L’avantage de cette liaison train-tram entre Nantes et l’aéroport serait d’être aussi une desserte périurbaine du nord de l’agglomération, avec des haltes à La Chapelle-sur-Erdre, Treillières et Vigneux, dans des secteurs en plein développement. « L’étude de clientèle réalisée montre qu’une liaison en car transporterait
540 personnes par jour et une liaison train-tram pas moins de 8 700 », argumente Gilles Bontemps, en rappelant qu’il a fallu batailler pour que la gare ferroviaire soit située à côté de l’aérogare dans le cahier des charges du projet, la tentation initiale étant de laisser aux parkings, plus rentables, la priorité d’accès à l’aérogare.
Le projet d’une nouvelle ligne Nantes-Rennes à grande vitesse est d’un tout autre calibre financier. Entre 800 et 900 millions d’euros pour 80 kilomètres à réaliser qui mettraient les deux centres villes à 55 minutes, voire 45 minutes si la partie Rennes-Langon était également refaite. Notre-Dame-des-Landes serait alors à 40 minutes du centre de Rennes. Les documents officiels mentionnant le projet font état d’une mise en service potentielle en 2025, mais tout reste à financer, autant dire que le vœu reste pieux. Or, les prévisions démographiques annoncent 600 000 habitants supplémentaires en Ille-et-Vilaine et Loire-Atlantique d’ici à 2030. Si rien n’est décidé dans les temps prochains, ni financé à la hauteur nécessaire, la situation sera alors critique pour aller d’une ville à l’autre.
Pour la région Bretagne, cette perspective n’a de sens que si, à hauteur de Langon, une ligne de dix kilomètres est ajoutée filant vers l’Ouest, pour gagner Redon, Vannes et Lorient. Pour la région Pays de la Loire, il faut réaliser la « virgule de Sablé », d’une longueur de quatre kilomètres, qui relierait directement les lignes Le Mans- Laval et Le Mans-Angers, mettant ainsi Laval à 30 minutes d’Angers, Rennes à une heure d’Angers et Laval à une heure de Nantes. Tout cela donnerait à un axe à grande vitesse Nantes-Rennes sa pleine mesure, en en faisant la clé de voûte d’un territoire breton et ligérien irrigué de lignes ferroviaires enfin concurrentielles de la voiture. Une vision à la hauteur de ce réseau de villes assez unique, qui pourrait éviter à ce grand territoire d’avoir une métropole omnipotente.
Rien d’étonnant donc à ce que Daniel Delaveau, le maire de Rennes, et Jean-Marc Ayrault, son homologue nantais parlent très vite du chemin de fer quand on les interroge sur l’utilité de ce nouvel aéroport entre leurs deux villes. « La ligne à grande vitesse Nantes-Rennes connectée à l’aéroport doit être inscrite au futur schéma national ferroviaire », plaide le maire de Nantes, qui dit en avoir touché un mot au Premier ministre François Fillon et avoir été entendu sur le sujet.
« Notre-Dame-des-Landes est un élément indispensable pour l’accessibilité et l’attractivité, à inscrire dans une plan d’ensemble cohérent », ajoute Daniel Delaveau, en enfonçant le clou : « Si nous n’affirmons pas aujourd’hui que nous avons besoin de Notre-Dame-des-Landes et de l’interconnexion ferroviaire à grande vitesse, nos successeurs nous accuseront d’avoir manqué d’anticipation ».
Il serait donc piquant que le projet le plus honni par les défenseurs de l’environnement soit, pour toutes ces raisons, le catalyseur d’un grand bond en avant ferroviaire, gage d’un développement durable de l’Ouest. Piquant mais encore bien incertain.