sous le regard croisé
des urbanistes :
Patrick Rimbert,
le stratège
« Une ville ouvre, tandis qu’un territoire ferme. »
Autant que marxistes, et dans les grandes largeurs, les années 68 en France auront été catholiques, de gauche. Patrick Rimbert n’y aura guère échappé. Qu’on en juge: louveteau, puis scout « un peu déviant », on lui conseille amicalement d’adhérer plutôt à la JEC, la Jeunesse étudiante chrétienne. L’organisation étudiante est déjà ouverte à ce type de remises en question avant même un certain printemps. Il y est promu responsable fédéral, militant pour l’indépendance des mouvements chrétiens face à la hiérarchie catholique. Adhérant dans la foulée à l’Unef, rapidement secrétaire général de la MNEF, il se mobilise pour la géné- ralisation des Bapu, les Bureaux d’aide psychologique universitaire , et pour les camps de vacances pour étudiants. « Père de famille en 68 », il lui a fallu rapidement « passer aux choses sérieuses », et dès ses années JEC, se souvient-il, il préférait l’animation sur les plages et la cueillette des abricots aux temps forts et autres retraites propices à la méditation solitaire.
Le monde se divise-t-il en deux? Toujours est-il qu’il s’agit là du parcours pour ainsi dire canonique d’un jeune catho-de-gauche à la veille de 68, bref d’un « soixante-huitard » comme on dirait aujourd’hui. À l’époque, les frères ennemis, anarchistes et gauchistes bien trempés, accusaient volontiers cette majorité chrétienne: des sociauxdémocrates, insulte d’époque, des soc-dém qui ne s’avouent pas comme tels ! Cela ne saurait tarder : après un bref passage au PCF, « une Église pour une autre ce n’était pas ma tasse de thé », il entre au PS en 1978, « pour arrêter de les traiter de tous les noms et dire de l’intérieur ce qu’[il] pense ». Réactivons le front de classe!
Études d’économie, à Nantes, à Rennes puis à Paris, il exerce brièvement dans le domaine de la gestion, en tant qu’auditeur, avant d’être nommé à l’Université. Proche des milieux de l’anti-psychiatrie en ce début des années 1970, il est sensible à la pédagogie institutionnelle d’Aïda Vasquez, aux expériences menées à la clinique de La Borde par Jean Oury et Félix Guattari et au travail en milieu ouvert, celui que l’on pratiquera quelques années plus tard au Château de Clermont, au Cellier dans l’ancienne demeure de Louis de Funès.
Et le PS, c’était quoi, le PS à Nantes avant Jean-Marc Ayrault ? L’aventure de la Une, avec le politique François Autain et le journaliste Jean-Charles Cozic, l’hebdo de gauche ancêtre de La Tribune. Et puis le Congrès de Nantes, en 1977, comme observateur, et l’adhésion « juste après la défaite de Mitterrand » aux législatives. Ce soir-là, on s’en souvient, le candidat de la gauche unie déclarera: « nous sommes politiquement minoritaires mais sociologiquement majoritaires ». Le front de classes, encore. L’alliance des ouvriers et des classes moyennes alors en pleine ascension, ne pouvait que conduire à la victoire du « peuple de gauche » comme on disait alors.
Patrick Rimbert se souvient avoir aussi en ces années-là « un peu tourné autour du PSU, humaniste et chrétien ». Il avait admiré surtout un Rocard « capable avant 68 de faire l’aller-retour Paris-Nantes par le train de nuit pour animer une réunion de formation avec une petite dizaine de militants dans un café de la rue de la Convention ». Au PS, donc, à partir des années 1980 et chez les poperenistes « jusqu’à la mort de Jean Poperen », il s’investit au niveau national dans la formation des militants. Il fait le tour des fédérations dans le sillage de Jean Pronteau et intègre le secrétariat des études.
À Nantes, pendant que le futur maire regarde du coin de l’oeil la ville-centre depuis la périphérie, des cercles s’y animent. Celui du Marchix notamment, empruntant son nom à un ancien quartier ouvrier (et insalubre) nantais. On désignerait aujourd’hui ce Cercle sous le vilain mot de think tank, mais à l’époque il fut probablement le plus fécond d’entre eux. Arrive 1989, Patrick Rimbert est élu adjoint aux Travaux et à la vie des quartiers, thème central des réflexions du Marchix. Adjoint à l’Urbanisme à partir de 1995, il devient en 2001 premier adjoint au maire de Nantes et vice-président de la Communauté urbaine en charge des grands projets urbains. Depuis 2008, il est en charge de l’attractivité internationale, de l’emploi, des grands projets urbains et de la politique de la ville.
Député de la 1re circonscription de Loire-Atlantique à partir de 1997 et jusqu’en 2002, Patrick Rimbert a été, au cours de l’année 2000, rapporteur des débats parlementaires qui se sont tenus autour de la Loi SRU. Ce témoignage de l’intérêt que l’État porte à ses territoires fut voté le 13 décembre de cette année-là. Au coeur de ce nouveau texte encadrant la fabrique contemporaine de nos villes : mieux gérer les paradoxes d’une décentralisation qui fit naître de « grands élus » chargés de gérer les questions de « proximité ». Nous y reviendrons.
Deux grands projets nantais sont apparus comme autant de jalons au fil de nos échanges: la renaissance du quartier Madeleine/Champ-de-Mars, et puis l’Île bien entendu, l’Île de Nantes depuis le diagnostic initiatique dressé par François Grether et Dominique Perrault. Il nous a dit pour finir son goût pour le projet en général et son attente curieuse des résultats de la large consultation autour de Nantes en 2030. En quête de représentations, les collectivités se penchent aujourd’hui sur leur futur et l’on ne compte plus, ces temps-ci, les Montpellier 2040, tout juste lancé, Bruxelles et Aix 2040, Nantes 2030, Reims 2020 l’an dernier… Troublant, mais pas pour ce débonnaire à la voix rauque: 100 000 Nantais supplémentaires attendus pour 2030, tout de même. Le futur est de retour en effet, mais sous quels auspices au juste?
PLACE PUBLIQUE > Retour aux sources, le Cercle du Marchix, à Nantes, trente ans, ou presque, après son acte de naissance…
PATRICK RIMBERT > Je présume que personne ne s’en souvient, mais j’étais candidat sur la liste d’Alain Chénard en 1983, probable adjoint à la Culture pour prendre la suite d’une élue issue du Parti communiste. Et puis est arrivé ce qui est arrivé: la défaite! J’ai toujours préféré les projets aux discours et le Cercle du Marchix offrait l’opportunité d’échafauder des projets. J’y ai retrouvé de nombreux proches, Paul Cloutour, le sociologue; Daniel Asseray, à l’époque directeur du Home Atlantique ; Patrick Mareschal, alors président de l’association Nantes-lableue qui se demandait comment retrouver l’eau au coeur de la ville… Yannick [Guin] est venu, aussi. Une question nous animait : pourquoi Chénard a-t-il perdu?
PLACE PUBLIQUE > Il faisait beau ce dimanche-là et les Nantais étaient tous partis à la plage, mais pas seulement…
PATRICK RIMBERT > Mais pas seulement… J’ai d’ailleurs un souvenir triste de la présentation, avant les municipales, de la campagne de com’ à la Manu, Nantes se muscle ! Je trouvais que le slogan était un peu léger, précisément trop com’ et pas assez politique. Et puis surtout ce n’était pas lui, ce n’était pas Alain Chénard. Au sein de ce Cercle du Marchix j’ai pour ma part travaillé plutôt sur les questions économiques et le droit au logement. Nous avions du reste diffusé une brochure à ce sujet, Urbanisme, logement social & pouvoir local, en 1985. Nous nous réunissions place Viarme. Nos échanges étaient assez frais, entre praticiens, universitaires, syndicalistes et politiques. Ce mélange m’a beaucoup intéressé.
PLACE PUBLIQUE > Et l’association Droit de Cité ?
PATRICK RIMBERT > J’en étais partie prenante, à nouveau avec Paul Cloutour et Daniel Asseray. Droit de Cité sousentendait droit au logement. Nous avions fondé cette association juste avant les élections, vers 1987 je crois. Tous ces gens m’ont énormément apporté dans la réflexion sur les questions urbaines. Parallèlement, j’étais donc popereniste et secrétaire fédéral. Et toutes ces structures de réflexion étaient destinées à recoudre le lien entre les élus et les forces vives.
PLACE PUBLIQUE > Quel lien peut-on dès lors tisser avec ce qui va venir, l’après-89? Quel projet, par exemple, mené sous l’égide de Jean-Marc Ayrault, serait particulièrement redevable de ces années de réflexions fertiles que fut à Nantes la décennie 1980?
PATRICK RIMBERT > En premier lieu l’idée d’un projet global pour la ville plutôt qu’une somme de projets disparates s’additionnant. En second lieu, faire en sorte que la technique soit au service des politiques publiques. Enfin, toujours avoir en tête le caractère fondamental du triangle services / élus / population avec le moins de cloisonnements possible. Je pense, par exemple, qu’entre 1977 et 1983, l’équipe municipale comptait trop de maires-adjoints qui s’étaient ménagé pour certains des petites baronnies. Il est nécessaire que l’intérêt du projet global dépasse celui des personnes.
PLACE PUBLIQUE > Au cours de ces années 1980, regardiezvous l’exemple rennais où les universitaires étaient très influents ?
PATRICK RIMBERT > Rennes est une ville administrée où le poids des universitaires a en effet toujours été très important, et où a toujours prévalu le sens de l’État. En revanche, Nantes est une ville de commerçants. Nantes bénéficie depuis peu d’une politique culturelle dynamique. Il nous aura fallu attendre Alain Chénard pour que la ville construise une médiathèque digne de ce nom, tandis que Rennes s’est dotée très tôt d’institutions prestigieuses. Les commerçants nantais ont trop longtemps été plus intéressés par les problèmes de logistique que par la qualité d’un projet urbain: la démonstration de force plutôt que la réflexion de fond sur le fait urbain. En 1989, Nantes présentait donc un fort potentiel de rebond. Tout y était à faire, ouvert, même s’il n’était pas question non plus d’y reproduire le modèle rennais. Il s’agissait plutôt d’apporter de la régulation et d’ouvrir des perspectives à des forces économiques qui attendaient vision et projet. Jusqu’alors, Nantes était plutôt autocentrée. Il n’y était guère question, par exemple, de réfléchir aux perspectives ouvertes par l’estuaire. L’ouverture vers Saint-Nazaire a été d’ailleurs l’un des premiers actes politiques d’Ayrault.
PLACE PUBLIQUE > Tout comme la rupture avec l’estuaire d’Alain Chénard avait été un acte politique rejetant les logiques autoritaires de l’aménagement étatique…
PATRICK RIMBERT > Paradoxalement, oui. Nous avons pour notre part choisi de reconstruire à partir d’une alliance politique de terrain.
PLACE PUBLIQUE > Et l’État aura lui-même un peu modifié ses pratiques entre-temps !
PATRICK RIMBERT > En effet! Et puis l’urbanisation ne nous aura pas non plus attendus pour faire de l’estuaire une réalité. Le mouvement était donc à l’oeuvre.
PLACE PUBLIQUE > Mais en 1987, les chantiers navals ferment…
PATRICK RIMBERT > Date importante, et personnellement, je suis très attaché au port. Je vis dans cette ville à cause de son port : mon grand-père était capitaine au longcours. Attaché à Cayenne où il travaillait pour les compagnies anglaises, il a ensuite été engagé par la Compagnie maritime nantaise. Il m’emmenait régulièrement sur le port et sur les bateaux, ou bien encore voir ses copains anciens officiers de marine. Pour moi, le rapport entre la ville est son port est de l’ordre de l’intime et je ne souhaitais donc pas en faire un modèle à tout prix. J’ai une photo de mes grands-parents devant le hangar à bananes, mais cela n’a rien à voir avec sa rénovation. Je ne voulais pas être dans mon anecdote. C’est plutôt Patrick Mareschal qui, à travers Nantes-la-bleue, avait pris la main sur ces questions au cours des années 1980.
PLACE PUBLIQUE > Suivant une logique pour ainsi dire inverse: remettre l’eau au coeur de la ville, alors que la stratégie sur l’Île a consisté dès les débuts, dès l’étude de Perrault et Grether, à chercher à en faire une entité autonome, identifiable, isolable en tant que telle, bref une figure… Le rapport à l’eau s’en trouverait presque antithétique.
PATRICK RIMBERT > Cela tient presque de l’injonction paradoxale, en effet! L’objectif de départ consistait à révéler ces lieux, révéler l’Île et son potentiel. L’étude de Perrault- Grether, les Allumées dans la foulée: l’art pour révéler les décalages et les choses que l’on ne voit pas ou plus. Et puis les chantiers avaient toujours constitué un univers fermé aux Nantais. Je me souviens avoir distribué des tracts là-bas, mais toujours à l’entrée, devant les grilles, à la porte, comme à Saint-Nazaire du reste. L’Île, le Bas-Chantenay… je crois que nous étions alors en quête d’une identification des Nantais à Nantes et c’est le rôle que nous avions assigné à la culture. J’en dirais autant, aujourd’hui, de la Biennale et de l’estuaire. Si les Nantais nous disent: oui, l’art contemporain, certes… en revanche l’estuaire est très beau, alors nous aurons gagné notre pari.
PLACE PUBLIQUE > Il s’agit en somme d’une quête d’hégémonie culturelle au sens gramscien: des intellectuels émanant d’une classe ascendante (par exemple les universitaires de l’après-68) permettent à une ville de prendre conscience d’elle-même en pointant par une politique culturelle concertée une série de faits et de lieux désormais identitaires. Ils apportent ainsi à la ville homogénéité et conscience de sa propre fonction…
PATRICK RIMBERT > En effet, c’est très gramscien. J’ai beaucoup lu Gramsci et sa pensée présente une certaine forme d’équilibre politique au niveau de l’exercice du pouvoir. L’Île, à l’époque, c’était une forme d’extrémité pompidolienne, un morceau faubourien mal défini, et puis les chantiers. L’île Beaulieu, l’île Sainte-Anne et Républiqueles Ponts. Si nous avons ainsi insisté sur l’Île, c’était pour lui donner une lisibilité et une homogénéité, et donc une forme d’attractivité. Lorsque l’on regarde la maquette présentée par Perrault et Grether en 1992, elle est constellée de ponts qui la relient à ses rives, des tendeurs en fait. Le périphérique achevé, il nous fallait pointer cet enjeu d’extension de la centralité, comme une alternative à l’étalement urbain qui se jouait déjà à l’époque, mais une alternative « joyeuse » et attractive pouvant rivaliser efficacement avec l’image encore enchantée du monde rural et de la « nature ». D’où, également, cette polémique très forte durant la campagne de 1989 à propos de l’implantation sur l’Île d’une Cité internationale: une fois le centre d’affaires installé à la pointe Ouest, c’en était fini de nos ambitions de centralité alternative. Bien entendu, tout le monde était attiré par la pointe, le ministère de la Justice jouera la même partition lorsqu’il cherchera un lieu pour implanter sa cité judiciaire. Il nous fallait donc impérativement maintenir le lien direct avec la ville constituée. L’implantation de la Maison des syndicats tout comme celle des avocats répond à cette logique: donner aux corps constitués pignon sur rue sur l’Île et face à la ville historique, ou du moins dans son immédiate proximité, visuelle sinon spatiale. Près du périph, c’est peut-être plus facile et moins cher, mais cela n’a tout simplement pas le même sens.
PLACE PUBLIQUE > Comment percevez-vous, avec le recul, la consultation de 1999 qui désignera Alexandre Chemetoff pour conduire la transformation de l’Île?
PATRICK RIMBERT > Chemetoff nous a séduits par sa volonté de révéler, révéler les qualités et le potentiel des lieux, et puis par son choix de travailler l’Île dans son ensemble en lui appliquant un traitement unifié des espaces publics. Les propositions de ses concurrents étaient plus floues. C’était l’époque de la reconversion des waterfronts comme on disait alors, et nous avions visité plusieurs villes européennes, Cardiff je me souviens, toutes engagées dans la reconversion de leurs façades portuaires, la désindustrialisation sévissant à peu près partout de la même manière. Nous ne savions pas exactement ce que nous voulions, mais nous ne souhaitions pas reproduire ce modèle à l’identique. L’intérêt de Chemetoff était de proposer un plan, un plan-guide peut-être, un plan en tout cas, et jusqu’à preuve du contraire, une ville, c’est d’abord un plan. Par exemple, Barcelone, c’est un plan. Le plan et la souplesse: voilà les deux grandes qualités du projet de Chemetoff et son plan-guide, plan souple, tombait donc à pic. Nous savions que nous aurions à gérer la question du temps – notamment pour nous épargner un waterfront tout fait, pasteurisé et prêt à l’emploi. Perrault nous avait prévenus dès le début des années 1990: faites attention, les villes commencent toujours leurs reconversions d’espaces portuaires sous l’égide du waterfront et arrivées au milieu du gué elles calent sans avoir su se donner un modèle alternatif. Lorsque vous construisez votre waterfront, travaillez donc en même temps à l’intérieur, en second rideau, par exemple laissez pénétrer le fleuve… Et c’est l’idée que Chemetoff avait reprise.
PLACE PUBLIQUE > Il aurait donc fixé sur son plan-guide ce qui, chez Perrault et Grether, n’était encore que du domaine de l’intuition et du ressenti…
PATRICK RIMBERT > On peut le dire ainsi.
PLACE PUBLIQUE > Et la Loi SRU, celle que vous avez défendue à l’Assemblée, peut-on discerner dans son texte des liens directs avec ce que vous veniez de vivre et mettre en oeuvre à Nantes ?
PATRICK RIMBERT > Cette loi a été inspirée par Nantes, oui. Le chef du bureau juridique de l’époque avait en effet beaucoup regardé ce que nous avions fait sur le quartier Madeleine/ Champ-de-Mars : un faubourg renouvelé tout en respectant l’existant et en y insérant des logements sociaux. Et puis une règle qui évolue en fonction du projet, principe que l’on retrouve à l’oeuvre un peu plus tard sur l’Île: la règle urbaine doit être au service du projet urbain. Comme le dit bien Ariella Masboungi, le dessein d’une ville n’est pas un dessin – ni une maquette ajouterais-je. Sur ce quartier, les actualisations de la ZAC se sont donc succédées. Rien n’y était figé. La Loi SRU, n’oublions pas, se déclinait en trois volets, d’où ces trois premières initiales vite abandonnées, on comprendra pourquoi: UHT, Urbanisme, Habitat, Transports. Le volet urbanisme s’attachait d’abord à l’échelle territoriale avec pour document spécifique le Scot8 qui cherche à organiser et réguler ce qu’est la ville aujourd’hui et qui n’a plus grand-chose à voir au fond avec la commune. Pour nous, à Nantes, c’est l’agglo, et je dirais même qu’il s’agit de plus en plus de l’estuaire tout entier. C’est ensuite à partir de ce Scot que s’emboîtent et se précisent tous les documents qui fixent les règlements d’urbanisme.
PLACE PUBLIQUE > Mais en quoi est-il opposable, ce Scot ?
PATRICK RIMBERT > Le Scot est opposable dans la mesure où les Plu9 doivent en tenir compte dans leur formulation. Un Plu doit être compatible avec le Scot.
PLACE PUBLIQUE > Mais un permis de construire ne peut être refusé pour non-conformité avec le Scot…
PATRICK RIMBERT > Il est refusé ou accepté au regard d’un Plu qui doit lui-même être conforme au Scot, voilà. Ceci dit, un permis de construire peut au fond être attaqué au nom du Scot, en second rideau: lorsqu’un Plu a par exemple édicté des règles de mitoyenneté qui contrevenaient aux grandes orientations du Scot… La Loi SRU, c’est un système de poupées russes placé sous l’égide d’une composition unique. Le Padd, par exemple, est un projet clairement politique. Il développe une vision du politique sur le territoire et donne tout son sens aux autres documents d’urbanisme : c’est bien parce qu’il existe d’abord un « projet », développé par ce Padd, que des règles peuvent ensuite être édictées et peuvent évoluer.
PLACE PUBLIQUE > Au fond, le plan-guide qui se formule au même moment sur l’Île est une transcription littérale de ce nouvel esprit de l’urbanisme…
PATRICK RIMBERT > Vous retrouvez en effet cet esprit sur l’Île, et c’est aussi en cela que la Loi SRU est nantaise. Pas seulement nantaise, mais certainement nantaise. Elle marque également une rupture franche avec les DTA de l’ère Pasqua qui sous-entendaient que les élus étaient décidément trop proches de leurs populations et donc incapables de sauvegarder l’intérêt général. Les lois Voynet, Chevènement et SRU forment ainsi un triptyque qui prend acte de la montée en puissance des collectivités territoriales et les place en première ligne pour l’aménagement de leurs espaces. Partir des élus, sur un mode pragmatique, penser les élus comme les émanations d’une collectivité tout à fait aptes à concevoir et assurer son développement – avec des mesures incitatives comme la taxe professionnelle – ainsi que l’aménagement de son territoire: voilà l’esprit de ces lois.
PLACE PUBLIQUE > En quoi la Mous, la maîtrise d’oeuvre urbaine et sociale qui a accompagné les mutations du quartier sur Madeleine/Champ-de-Mars, rappelait-elle cette belle idée avortée d’ateliers publics d’architecture et d’urbanisme, portée en son temps par la municipalité Chénard?
PATRICK RIMBERT > Nous savions qu’aussi proches du centre, nous risquions tout simplement de vider entièrement la population habitant ce quartier pour la remplacer par une autre. La mutation s’est bien entendu produite, mais en partie seulement et grâce à des outils comme la Mous, banale aujourd’hui mais plutôt innovante à l’époque. Alors oui, des ateliers publics d’architecture et d’urbanisme, je n’ai rien contre les bonnes idées qui n’ont pas abouti, au contraire.
PLACE PUBLIQUE > Quel regard portez-vous aujourd’hui sur le « Quartier de la création »?
PATRICK RIMBERT > Encore une fois, le projet secrète des projets. L’École d’architecture s’est d’abord installée là et nous avons ensuite seulement réfléchi au déménagement de l’Esbanm, l’école des beaux-arts. Parallèlement, les anciennes Halles Alstom s’étaient remplies progressivement de « créateurs » au sens large. Entre cafétérias improvisées et zones grises, tout se mélange un peu: cherchons donc à rassembler à cet endroit les structures dédiées à la réflexion, la culture, la recherche, et accompagnons ce mouvement. On peut parler d’un cluster, mais d’un cluster chemin faisant: le projet appelle le projet. Reste maintenant à y faire entrer la vie: la difficulté de tout nouveau quartier, c’est son animation. Jean-Luc Charles en est chargé et sa prise de fonction à la tête de la Samoa renforce encore sa mission.
PLACE PUBLIQUE > Animer un nouveau quartier, je ne sais pas pourquoi, mais cela évoque pour moi l’arrivée du CHU sur l’Île… Sacré morceau!
PATRICK RIMBERT > Oui, un gros morceau spatial, mais aussi politique et social : l’évolution de l’hôpital de jour, l’accueil, les soins ambulatoires, le confort, la carte des cliniques nantaises qui quadrillent les extérieurs de la ville, et jusqu’à la taxation des activités hospitalières, tout nous poussait à maintenir la présence du CHU en centre-ville, à l’intérieur. Or, le CHU, c’est autant un hôpital de jour qu’un lieu d’enseignement et un centre de recherches. Et la recherche médicale ne peut pas fonctionner sans la proximité avec le malade. Séparer ces trois activités n’a donc aucun sens, tout comme les expulser à la périphérie lorsque l’on cherche à densifier le coeur d’une ville.
PLACE PUBLIQUE > Mais il était déjà au coeur géographique de la ville, ce CHU…
PATRICK RIMBERT > Pour des raisons d’accueil et de confort des malades, il était devenu impossible de maintenir les trois fonctions au même endroit, voilà tout. Il est vrai, cela dit, qu’il s’agit bien d’une méchante masse et d’un gros projet à insérer d’une seule volée au coeur de l’Île. Mais il fallait absolument qu’il trouve sa place sur l’Île, et surtout pas au nord de la ville où il se serait trouvé en second rideau par rapport aux malades du centre – et je ne parle pas du Sud-Loire! La santé est aujourd’hui un enjeu majeur pour le politique qui se doit de préserver la solidarité de notre système. Dans cette logique, il me semble primordial que l’hôpital central d’une ville se trouve au coeur de celle-ci et demeure accessible à l’ensemble de sa population. Même s’il n’est pas simple en effet de faire rentrer une telle institution dans une île! Par facilité, nous aurions pu choisir un autre emplacement, tout simplement là où le terrain est libre et disponible, mais cette centralité, c’est l’enjeu de demain.
PLACE PUBLIQUE > Rendre accessible, c’est aussi l’argument qui a prévalu dans votre choix, politique, de poursuivre la construction d’un nouvel aéroport ?
PATRICK RIMBERT > Notre réflexion a en effet été sensiblement identique sur la question du futur aéroport: il ne se construira plus aucun nouvel aéroport en France et si nous rejetons la perspective de Notre-Dame-des-Landes, et tout ce qu’elle sous-entend en termes de développement à l’échelle de la Bretagne tout entière, alors aucune autre perspective ne se dessinera jamais. L’Histoire ne repassera pas les plats ! Permettre la mobilité, voilà notre souci. On le vérifie régulièrement avec l’aéroport actuel : l’augmentation des flux de passagers est marginalement liée aux tours opérateurs, en revanche elle concerne directement les cadres en particulier et les actifs en général qui ont fait le choix de résider à Nantes.
PLACE PUBLIQUE > Vous vous situez donc toujours dans une logique de développement…
PATRICK RIMBERT > Oui, et depuis le début, depuis 1989. Nous sommes toujours dans une logique de développement et le monde se développe aujourd’hui essentiellement par ses villes, en particulier celles qui se trouvent au bord de l’eau. Il nous incombe donc une responsabilité particulière en tant qu’élus de la ville de Nantes, proche de l’océan et traversée par le plus grand fleuve français. Comment devenir une simple ville résidentielle, ou pire encore une ville de rentiers ? Grave contre-sens ! Quelle idée! Il nous faut accueillir pour nous développer, il en va de notre responsabilité d’élus.
PLACE PUBLIQUE > Ce sont en effet des enjeux spécifiquement nantais. Rennes, par exemple, n’est pas née d’un gué, de la possibilité de traverser un grand fleuve…
PATRICK RIMBERT > Mais aujourd’hui l’une ne peut plus se développer sans l’autre: Rennes et Nantes regroupent 80 % de la recherche du grand ouest. Mais les forces de Rennes et Nantes conjuguées équivalent à peine au nombre de brevets déposés à Grenoble. Cela vous donne une idée du gap qu’il nous reste à franchir, et à franchir à deux. Tout seuls, nous ne pouvons rien, et il vaut mieux chercher la complémentarité plutôt qu’attiser une concurrence stérile. Il faut créer les conditions d’un fédéralisme entre ces deux pôles-là si l’on veut qu’il se passe quelque chose à l’ouest d’un axe Lille / Paris / Lyon / Marseille. La LGV pour Rennes, l’aéroport pour Nantes : des avantages, des inconvénients, mais le partenariat est maintenu. Le développement est vital pour une population. Imaginez une ville vieillissante… Vous connaissez une ville où les problématiques spécifiques aux populations âgées sont majoritaires ?
PLACE PUBLIQUE > Oui, La Baule…
PATRICK RIMBERT > Oui, et Saint-Nazaire souffre beaucoup de la concurrence résidentielle et du pouvoir d’achat de la population bauloise, voilà. Comment un jeune chercheur affecté à un laboratoire accueilli à Sophia-Antipolis peut-il trouver un logement à un prix raisonnable aux environs? Cannes et Nice, c’est la mort annoncée d’une technopole pourtant brillante par le passé.
PLACE PUBLIQUE > La population est en effet une ressource. Elle est même devenue le pivot de tout projet urbain qui se respecte…
PATRICK RIMBERT > Le travail que nous avons mené avec l’économiste Laurent Davezies nous l’a clairement rappelé: 400 000 emplois sur Nantes / Saint-Nazaire dont 200 000, la moitié, sont liés à la présence des personnes sur ce territoire. Et Le Voyage à Nantes, piloté par Jean Blaise, est aussi une forme de réponse à ce constat, autant pour retenir les Nantais que pour attirer de nouveaux arrivants. C’est aussi le sens du seuil des 20 % de logements sociaux fixé par la Loi SRU pour chaque commune de plus de 3 500 habitants: faire en sorte que l’on travaille et habite au même endroit, autant que possible.
PLACE PUBLIQUE > L’attractivité d’une métropole, c’est aussi son paysage urbain. Que pensez-vous l’activité de la scène architecturale nantaise?
PATRICK RIMBERT > J’y discerne un bon équilibre entre l’architecte et l’urbaniste, entre la contingence de l’urbain et l’autonomie de l’objet architectural. J’aime la diversité, c’est elle qui permettra au nouvel arrivant de « trouver son coin ». J’aime la variété et le risque que représente, à chaque fois, un projet architectural. Mais le politique doit absolument conserver sa capacité d’expertise afin de rester, toujours, le dernier arbitre.
PLACE PUBLIQUE > Le principe du « macro-lot », que l’on retrouve sur l’Île de Nantes, certes à un degré moindre que sur les anciens terrains Renault à Boulogne ou encore à Lyon-Confluence, me semble aller un peu à l’encontre de la diversité que vous cherchez à promouvoir. Le maître d’ouvrage y devient un prestataire et les futurs utilisateurs-acquéreurs de simples clients. Et avec les meilleures intentions du monde, je pense en particulier aux 25 % de logements sociaux par opérations qui ouvrent une marge de négociation avec les promoteurs, on a ainsi généralisé parfois abusivement la Véfa en privant par exemple les organismes de logements sociaux de leur capacité, souvent reconnue pourtant, d’innovation spatiale. On peut aussi se demander comment ces « macro-lots » vont évoluer dans le temps, avec des systèmes juridiques très complexes réglant les copropriétés…
PATRICK RIMBERT > Mais même sur l’Île, la Véfa n’a pas été aussi générale que cela. Nous avons veillé à conserver un équilibre. Et puis la Véfa a été accélérée au niveau national par le plan de relance consécutif à la crise immobilière de 2008-2009, et mieux vaut encore la Véfa qu’un investissement Scellier généralisé!
PLACE PUBLIQUE > Peste ou choléra?
PATRICK RIMBERT > Non, même en Véfa, c’est le bailleur qui impose la taille des logements. Et puis on peut toujours jouer sur la forme de l’îlot. Sur l’Île, il est permis d’occuper l’îlot à 100 %, sans retrait. À nous dès lors de trouver des formules adéquates de découpe de l’îlot permettant à la diversité de s’exprimer, en octroyant par exemple un îlot partagé en quatre à quatre maîtres d’ouvrage et quatre architectes différents. Nous y travaillons d’ailleurs en ce moment même avec Marcel Smets.
PLACE PUBLIQUE > Comment pratiquez-vous le territoire nantais ?
PATRICK RIMBERT > J’aime y passer à travers des ambiances variées. Être proche de l’océan à la pointe ouest de l’Île et à Orléans ou Tours sur la pointe Est. Sur les derniers contreforts du Sillon de Bretagne et en même temps aux portes des Charentes et de la Saintonge. La diversité tout en maintenant l’unité pour faire en sorte que l’identité demeure une référence commune et non le synonyme d’un enfermement dans un quartier quelconque. Nantais d’abord, c’est pour moi le sens du débat d’un éventuel rattachement avec la Bretagne: que l’identité soit une ouverture et non une fermeture. Braudel l’a dit, la ville est dans la production et non dans la reproduction. Une ville ouvre, tandis qu’un territoire ferme. Et j’aime beaucoup la Bretagne, tout comme j’aime La Rochelle et les Charentes.