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Histoire & Patrimoine
#01
Odorico, de la couleur dans le quotidien
RÉSUMÉ > Hélène Guéné-Loyer est incontestablement la spécialiste de l’œuvre des Odorico, père et fils, à qui elle consacra sa thèse de doctorat d’histoire (1983). Elle replace ici cette œuvre dans le contexte artistique du début du 19e siècle. Après avoir participé à l’ornementation d’églises, la mosaïque prend une connotation utilitaire, recouvrant immeubles (comme la « Maison bleue » à Angers), boutiques, trottoirs, piscines ou salles de bains. Résistant à la modernité puriste d’un Le Corbusier, Isidore Odorico inventera ensuite un langage plus personnel. De Rennes à Saint-Brieuc, de Nantes à Saumur, il apportera une gaieté ludique au quotidien de la vie urbaine.

     Entre la fin du 19e siècle et la seconde guerre mondiale, deux générations de mosaïstes italiens venus du Frioul ont produit, dans le grand Ouest de la France, un nombre considérable d’œuvres. Elles sont un témoignage primordial de l’évolution du goût, dans ce genre décoratif particulier dont ils étaient devenus les maîtres.

     La première génération est celle d’Isidore Odorico père (1845-1912). Né à Sequals, il immigre en France avec d’autres compatriotes pour travailler sur le chantier de l’Opéra de Paris, puis vient à Tours chez un confrère – probablement pour les travaux du Grand théâtre. Il s’installera à Rennes en 1882. Dès lors, la petite entreprise familiale vit principalement de la fabrication de sols plus ou moins luxueux, en marbre ou en granito. Les bordures décoratives, que l’on facture à la complexité du travail, suivent le goût du moment: façon antique, Renaissance ou moderne (Art nouveau).

     Plus rare, la « mosaïque d’art » en smaltes d’émail est destinée à des éléments de décor mural. La technique comme la mise en œuvre, particulièrement soignée, nécessitent un homme de métier. En cas de besoin, on n’hésitera pas à solliciter un confrère. Être mosaïste italien, natif du Frioul (et, plus tard, sortir de l’école de mosaïque de Spilimbergo), crée des liens qui ne peuvent que renforcer les réseaux familiaux, dont les ramifications sont à l’échelle de l’Europe: Vienne, Bucarest, Londres, Copenhague ou Saint-Petersbourg…

     Les Odorico de la première génération participent ainsi à l’ornementation d’églises construites par d’éminents architectes, comme les frères Jules et Henri Mellet ou Arthur Regnault. Sols et décors d’autel, souvent dessinés par les architectes eux-mêmes, leur sont réservés – prouvant s’il en était besoin, la confiance qu’on leur portait. L’atelier n’est cependant pas de taille à entrer en concurrence avec des entreprises comme celles du frioulin Gian Domenico Facchina, du vénitien Antonio Salviati ou du parisien René Martin – capables de transposer en mosaïque, à grande échelle, des « cartons » de peintres, comme ils le feront à l’abside de la basilique de Montmartre. Les budgets modestes des églises paroissiales ne le permettraient d’ailleurs pas. Les Odorico restent des artisans, travaillant pour une clientèle régionale.