Le penchant du Roi-Soleil pour les palais somptueux et coûteux gagne ses admirateurs. Comme lui, ils veulent posséder hôtels ou châteaux en ville avec de hautes fenêtres et des toitures « à la Mansart », qui attestent de la fortune de leurs propriétaires. Pierre Hévin n’échappe pas à la règle. Tel un fan qui épingle au mur les posters de son idole, le procureur-syndic de Rennes fait construire à partir de 1667, au 34, place des Lices (à l’angle de la rue de Juillet et de la rue SaintLouis), un hôtel particulier à la gloire de Louis XIV.
À cette époque, Pierre Hévin est un juriste reconnu. Né à Rennes le 30 novembre 1623, il est issu d’une famille de robe. Devenu à 19 ans avocat au Parlement de Bretagne, il fait preuve d’éloquence et de savoir. Son père, qui n’avait pas cru en lui, va en cachette écouter ses plaidoiries. Envoyé à Paris, Pierre Hévin y côtoie sociétés de savants et hommes de lettres. Mais peu séduit par la capitale, il revient prendre sa place au Parlement de Bretagne.
En octobre 1656, dans des lettres patentes, le roi Louis XIV, fait don à la Communauté de la Ville de Rennes de toutes les places vagues de la Ville et de ses faubourgs: qu’elle en dispose comme bon lui semble à condition que l’argent récolté serve à l’adduction d’eaux de sources pour les habitants. En février 1657, la Communauté de la Ville décide de mettre en vente des parcelles de terrain sur les places publiques ayant fait l’objet du don royal. Un partie de la place des Lices est alors divisée en quinze emplacements et proposée à la vente à condition qu’on y élève « des maisons logeables et en bel ordre de décoration ».
Pierre Hévin fait partie des bénéficiaires et se retrouve avec l’un des lots les plus enviés. Il envisage un projet grandiose, un hôtel divisé en neuf appartements, bâti en équerre entre la rue Saint-Louis et la place des Lices avec une cour fermée ouvrant sur l’actuelle rue de Juillet, donnant, à l’époque, sur les remises et les écuries. Il surveille de très près les travaux et vérifie bien que les terres de déblai soient transportées jusqu’au Pré-Raoul, comme le spécifie la convention. Il rectifie les plans de l’architecte, contrôle les devis et s’occupe de la qualité des matériaux
En 1671, la construction somptueuse est presque achevée. Les Rennais viennent voir la nouvelle bâtisse, connue sous le nom de « Maison de Monsieur Hévin ». C’est l’un des immeubles les plus admirés de Rennes. Il possède l’une des plus belles cages d’escalier en bois de la ville.
Pierre Hévin est alors assez estimé pour être nommé procureur syndic (maire) de la Ville et de la Communauté de Rennes jusqu’en 1674. Tout en continuant à habiter la maison familiale de la rue aux Foulons, Pierre Hévin va prendre plaisir à enjoliver la demeure du bas des Lices. De belles peintures sont brossées au plafond, entre les moulures de feuilles de laurier, ainsi qu’autour des portes et des cheminées.
Surtout, Pierre Hévin tient à faire savoir que son hôtel est voué à la célébration de la magnificence du Roi-Soleil. Ce n’est qu’en 1689 que fut achevée la décoration. Dans le hall d’entrée donnant sur la place des Lices, au-dessus d’une seconde porte ouvrant vers l’escalier, existe toujours un panneau avec, en son centre, un médaillon ovale orné de feuilles de chêne, renfermant un buste de Louis XIV. De chaque côté, se trouvent trois petits médaillons, autrefois peints en rose, réunis entre eux par des rubans dorés.
Cinq d’entre eux rappellent d’une phrase en latin la gloire du roi. Le premier médaillon parle du passage du Rhin en 1672, le deuxième des journées du Mont-Cassel et Zinzin en 1677, le troisième du bombardement de Gênes en 1685, le quatrième du bombardement d’Alger en 1682, le cinquième rappelle la prise de Maëstricht (1673), de Cambrai (1677), de Luxembourg (1684) et Philippsbourg (1688). Quant au dernier médaillon, il montre le roi tendant la main à la Ville de Rennes pré- sentée sous les traits d’une femme prosternée à ses pieds. Autour, les mots « Augusto restitutori Rhedonum » et une date, 1689. Coïncidence? Cette année-là, le Parlement revient de quatorze ans d’« exil » à Vannes.
Et comme si cela ne suffisait pas, une plaque de marbre noir porte une inscription en latin dont la traduction par Pierre Hévin lui-même est la suivante:
À la gloire de Louis le Grand, Roy de France et de Navarre,
Entre tous les monarques le plus grand,
Entre les conquerans le heros, entre les Augustes le meilleur,
Genereux defenseur de la Religion catholique
Et destructeur de l’heresie,
Protecteur de l’Empire d’Occident à la journée du Rab contre les Turcs,
Vainqueur du païs du Rhin et du Rhin mesme, De l’Allemagne, de la Hollande, de la Flandre, de l’Espagne,
De la Lorraine, de la Franche Comté, de l’Italie, En Asie, en Amérique, en Afrique,
Vainqueur très-clément,
Dont la force invaincue n’a cédé qu’à la seule pieté
P. Hevin, Advocat et ancien Syndic de la Ville, très devoué
À sa peine puissance et majesté,
À dedié cette marque de son culte, l’an de J.-C. 1689.
On comprend que Pierre Hévin soit fier que le Commissaire général de Sa Majesté, le premier intendant de Bretagne, M. de Pommereu, habite son hôtel et y reçoive plusieurs fois à dîner Mme de Sévigné. Mais la demeure ne restera pas celle des Intendants: le successeur de M. de Pommereu ne crut pas bon d’habiter ce lieu situé à l’extérieur de la ville et ne convenant pas à son épouse, et préféra l’hôtel de Brie, au 5 de la rue du Chapitre.
Pierre Hévin ne fut pas seulement un bâtisseur. Il publia des travaux sur la Coutume générale de Bretagne. Il découvrit également une ancienne traduction de l’Assise au Comte Geoffroy. Geoffroy II Plantagenêt, fils du roi d’Angleterre, devenu duc de Bretagne avait fait rédiger, en 1185, par une assemblée de juristes, un texte qui visait à limiter la division des grands fiefs, l’objet était de rétablir le droit d’aînesse pour éviter le morcellement des terres et qu’elles restent bretonnes.
Pierre Hévin est décédé à Rennes, le 15 novembre 1692. La « Maison de Monsieur Hévin » passa en héritage à sa fille, Julienne Hévin, née en 1667 et qui épousa en 1687, René du Boberil, Chevalier, Seigneur de l’Hermitage et plus tard Seigneur du Molant. C‘est pour cette raison que cet hôtel est maintenant connu sous le nom de « Hôtel du Molant ». Une rue du quartier Voltaire-Redon porte depuis 1906 le nom de Pierre Hévin.