Concernant la vie culturelle et artistique de la ville de Rennes et de sa métropole, force est de constater que, tant dans ses contenus que dans ses formes, l’offre rennaise est aujourd’hui foisonnante et diversifiée. Elle se déploie dans et à partir d’équipements implantés dans le centre et dans les quartiers, ou à partir d’établissements dont se sont dotées les communes de la métropole.
À Rennes, l’offre culturelle et artistique résulte de convergences entre volonté des élus locaux, partenariats politiques avec les autres collectivités territoriales et l’État, attention accordée aux porteurs de projets souvent associatifs. Depuis longtemps, cette Ville a donc su « miser » sur la culture en soutenant la structuration d’initiatives locales. Les réussites les plus visibles et pérennes sont sans nul doute les festivals Les Transmusicales, Travelling, Les Tombées de la Nuit ou encore Mythos.
Ces quelques exemples confortent l’implication municipale et renforcent des convictions légitimant un choix et une logique politiques de soutien aux initiatives culturelles et artistiques. Outre ces convictions, on peut s’interroger sur les raisons d’un tel investissement. Politologues et sociologues avancent que la culture recèle des potentiels en termes de valeurs expressives, de valeurs universelles de cohésion, de capacité d’image.
La culture constitue ainsi un vecteur pertinent pour l’action publique locale afin de répondre à une triple obligation : développer son territoire à partir de ses ressources endogènes, se positionner à l’égard d’autres collectivités territoriales – y compris à l’échelle européenne et internationale –, maintenir une cohésion sociale. C’est probablement cette problématique territoriale qu’il faut entendre sous le conditionnel qu’emploie l’adjoint à la culture de la Ville quant aux conditions d’un soutien aux associations : « … Nous soutenons les initiatives que l’on nous soumet, si nous les considérons comme intéressantes », c’est-à-dire selon leur participation à la réalisation de cette équation complexe.
Les observateurs qualifient souvent l’univers associatif de « nébuleuse » du fait de la diversité des profils associatifs (en termes de projet, de mode de fonctionnement, d’ancienneté, de hauteur de financement, de nombre d’adhérents, etc.). Ils dressent des typologies, différenciées selon les indicateurs mobilisés, pour rendre intelligible cette réalité mouvante.
À Rennes, les associations gestionnaires des équipements de quartiers, par exemple, ont fait l’objet d’une analyse selon leur rapport aux publics, plus précisément les types d’activités proposés. La dimension territoriale des actions de ces associations se lit dans leur projet. Généralement l’animation de la vie sociale d’un quartier par des actions culturelles et artistiques justifie les soutiens de la municipalité.
D’autres associations, plus récentes, tel le collectif Le Jardin Moderne, ont su faire valoir cette dimension territoriale à partir de la structuration des pratiques musicales en amateur, participant dans le même temps à conforter la légitimité de ces pratiques dans le domaine culturel et artistique.
Toutefois, les associations culturelles et artistiques rennaises ne déclinent pas forcément d’emblée leur projet sur le mode d’une contribution à la réalisation politique d’une problématique territoriale. C’est notamment le cas de certaines associations artistiques, pour au moins trois raisons :
– l’association constitue, dans un premier temps, une forme juridique suffisamment souple pour consolider ses propres activités ;
– la forme juridique associative crée une « personne morale » permettant d’émarger aux subsides publics ;
– plusieurs de ces porteurs de projet peuvent défendre une conception universelle de l’art, dont une de ses composantes s’exprime dans le caractère a-territorial de l’art contrant le risque de son instrumentalisation et de ses représentants.
Nombre d’associations culturelles et artistiques rennaises, soutenues par la municipalité, émargent aussi à d’autres ressources, parfois privées, surtout publiques (les autres collectivités territoriales, l’État), rappelant le caractère partenarial des politiques publiques culturelles. Si la diversification de ces soutiens démultiplie leurs interlocuteurs, elle crée aussi des marges de manoeuvre pour négocier leur façon de contribuer à ces politiques, voire de choisir leurs façons de s’y inscrire. Dans tous les cas, on comprend que le bénéfice des subsides publics lie les représentants associatifs à leurs partenaires dans des rapports contractuels qui prennent des formes différentes (la convention, l’aide au projet, au fonctionnement, etc.), cherchant à satisfaire les intérêts respectifs.
La danse contemporaine à Rennes illustre particulièrement bien la convergence d’intérêts vers la construction d’un champ chorégraphique visant à résoudre l’équation à trois termes mentionnée plus haut.
En 2008, Martial Gabillard, ancien élu à la culture de la Ville de Rennes, publie un ouvrage sur la politique culturelle de cette même ville de 1977 à 2008. On y lit un bref historique de l’élaboration rennaise de l’offre chorégraphique. Selon l’auteur, elle repose sur la volonté des élus locaux de doter la ville d’une institution chorégraphique, une politique partenariale, la personnalité des directeurs du Centre Chorégraphique, la présence d’autres types d’acteurs. Depuis 2006, la Ville engage la construction d’un nouvel équipement à vocation métropolitaine, Le Garage. Ainsi, cet ancien élu écrit : « Désormais, la danse existait à Rennes avec une saison de spectacles, son public, ses pratiques amateurs, ses danseurs professionnels, ses chorégraphes, ses lieux spécifiques. L’objectif de la politique culturelle était atteint ».
Dans ce champ chorégraphique rennais, une lecture des associations chorégraphiques peut se fonder sur leur ancienneté à partir d’un repère temporel. Avant 1994, soit ces compagnies existaient déjà à Rennes, soit elles se sont créées au début des années 2000 dans le giron du Centre Chorégraphique de Rennes et de Bretagne, soit elles se sont établies en réaction à un contexte politique favorable, misant sur leur promotion.
Une autre partition entre associations chorégraphiques se dessine au regard de leur capacité, ou non, à participer au rayonnement national, voire international de Rennes en matière de danse contemporaine, à son « attractivité », au soutien local de ces pratiques. Sous cet angle, les représentants du Centre Chorégraphique, aujourd’hui Musée de la Danse, articulent l’ensemble de ces paramètres. Ils se produisent sur des scènes labellisées à forte notoriété, localement et ailleurs. Ils médiatisent leurs accueils en résidence de chorégraphes européens à l’occasion de création en cours. Ils entretiennent l’attention des publics de la danse contemporaine à Rennes par la création de pièces avec des amateurs.
Les autres associations chorégraphiques montrent occasionnellement leurs propositions artistiques sur les scènes labellisées. Pour autant, elles réussissent à se « publiciser ». Elles organisent leur promotion sur des scènes plus intimes. Elles créent à plusieurs des événements locaux pour montrer leurs travaux. Elles inventent des projets fondés sur une participation des habitants. Ces projets sont particulièrement encouragés par la Ville de Rennes et les autres collectivités parce qu’ils répondent à une animation artistique et culturelle de la vie sociale tout en maintenant une présence d’artistes dans la ville susceptible de participer à la construction sociale de son « attractivité ».
Concluons par deux illustrations d’effets possibles de la contractualisation entre associations et politique publique culturelle animée d’une logique de développement territorial.
En 2003, l’élue à la culture – de l’époque – de la Ville de Rennes organisait une rencontre sur le thème du service public culturel et la création artistique. Une question tramait la réflexion de cette journée : comment agir dans un contexte local où se multiplient les sollicitations des artistes, du fait de l’augmentation du nombre de prétendants à l’activité artistique professionnelle, alors que les enveloppes budgétaires municipales ne peuvent être exponentielles et que les latitudes d’actions partenariales se restreignent ?
La mutualisation des moyens de fonctionnement entre entités associatives fut proposée et, plus tard, effective pour quelques-unes. Si cette orientation d’action participe de l’effort public au soutien à l’emploi culturel, elle introduit aussi une nouvelle rationalité administrative qui ne recoupe pas forcément le mode de fonctionnement des activités artistiques, risquant de fragiliser les associations déjà fragiles.
À la même période, l’État plaçait sous les « feux de la rampe » les « lieux intermédiaires », les « lieux de fabrique », les « squats artistiques », les « nouveaux territoires de l’art ». Rennes profitait de cet engouement et portait à l’attention publique des lieux comme l’Élaboratoire, puis Les Ateliers du Vent. Plus généralement, ces nouveaux lieux culturels et artistiques intéressent les pouvoirs publics parce qu’ils semblent articuler de façon originale plusieurs problématiques : urbaine (par la requalification d’espaces en déshérence), sociale (par la participation des populations locales et la réunion de l’unité de travail et de résidence pour les occupants de ces espaces), culturelle et artistique (par des pratiques et des productions artistiques non légitimées par les instances habituelles).
Or, à en croire Jean-Pierre Saez lors de l’édition 2012 de la Biennale Internationale du Spectacle à Nantes et au regard du relogement envisagé des membres de l’Élaboratoire à Pont-Péan, il est possible d’imaginer que l’attention des pouvoirs publics locaux se déporte sur des actions culturelles et artistiques associatives oeuvrant en périphérie métropolitaine ou portant des valeurs d’économie sociale et solidaire.
Ces éventuels soutiens trouveraient, politiquement, à se justifier dans une conception des politiques culturelles qui déplace le curseur de l’excellence vers la diversité culturelle faisant valoir la participation des acteurs sociaux autres que les spécialistes de ces secteurs à la construction de l’offre culturelle et artistique.