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Histoire & Patrimoine
#37
RÉSUMÉ > Il fut le grand théoricien du divisionnisme et l’un des peintres les plus admirés du début du 20e siècle. C’était un maître et c’était aussi un marin. Place Publique présente Paul Signac, auteur de fabuleuses aquarelles sur les côtes et les ports de Bretagne…

     Ambroise Vollard, le célèbre marchand de tableaux, l’avait surnommé le « peintre de Saint-Tropez  ». De fait, dès les premiers temps de sa gloire, en 1892, Paul Signac s’était installé en Méditerranée pour y peindre ce qu’il aimait par-dessus tout : les mille nuances de la mer, le long corset des côtes, les horizons rocheux, les ciels immenses. « J’en prends plein les yeux. J’ai là de quoi travailler pendant toute mon existence  », avait-il aussitôt annoncé à sa mère. Mais c’était négliger qu’un autre démon le possédait, et que s’il était un très grand artiste, ce fils de bonne famille se voulait en outre le meilleur des marins. Ne devait-il pas entretenir, au cours de sa vie, une trentaine de bateaux – « trente-deux bateaux, tout en se passionnant aussi pour l’automobile  », précise Jacques Busse. Car c’est une vérité indiscutable : Paul Signac fut, jusqu’à son dernier souffle, en 1935, un être dévoré de passions. Un fou de paysages, on l’a dit. Un fou d’océans… Et puis une soif inextinguible de connaissance, une soif de rencontres, de lectures, de découvertes. C’est simple : repéré par Armand Guillaumin alors qu’il dessinait au bord de la Seine, il s’imposa rapidement comme le théoricien et le chantre du « pointillisme ». Une technique nouvelle, qui lui serait révélée en 1884 par La Baignade à Asnières, fantastique fresque de 202 x 301 cm signée par Georges Seurat, garçon âgé d’à peine quatre années de plus que lui. Combien d’heures Paul Signac, vingt et un ans à l’époque, resta-t-il bouche bée devant ce prodige ? Nul ne le sut. Chose sûre, en revanche, les deux hommes se lièrent fraternellement, disséquant sans relâche leurs méthodes picturales. Il fallait les voir, penchés sur des livres puis dressés face à leur chevalet, posant une à une, par milliers, des touches de couleurs pures qui créaient, si l’on reculait d’un pas, cette vibration exceptionnelle que Georges Seurat appelait le « chromo-luminarisme ». Puis le même Seurat, en 1891, mourut brutalement. Paul Signac demeura seul pour incarner, promouvoir, défendre, rénover et adapter ce qu’il préférait traduire par « divisionnisme ».  

     Quel défi ! Au temps d’Émile Bernard, « héraut de la peinture moderne » selon le titre de l’exposition qui lui fut consacrée durant l’été 2015 à Saint-Briac-sur-Mer, c’était ouvrir une deuxième voie derrière l’impressionnisme. En l’espèce, une façon rationnelle d’utiliser sa palette, celle-ci désormais appréhendée non par les sentiments, mais par la science. D’abord celle du chimiste Michel-Eugène Chevreul, premier à réfléchir sur le contraste simultané des couleurs. Ensuite celle de Charles Blanc, savant graveur et critique d’art ayant mis au point, en 1867, l’irremplaçable « étoile des couleurs ». Enfin celle de l’Américain Ogden Rood, auteur de La Théorie scientifique des couleurs et leurs applications à l’art et à l’industrie parue en France en 1881. Lisant et relisant ces textes, puis redoublant les essais sur la toile, redoublant aussi, plume en main, les synthèses, Paul Signac finit par donner, en 1899, l’un des plus intelligents livres jamais produits sur son art : De Delacroix au néo-impressionnisme. Ce qui ne le retenait pas de peindre, bien au contraire… Seulement, il s’efforçait dorénavant d’élargir sa touche, troquant le pointillé initial contre des carrés, des rectangles : mutation subtile mais nécessaire qui conservait aux couleurs primaires leur puissance. On sait la suite : Matisse et Cross subjugués, et courant à Saint-Tropez afin de mieux s’imprégner des conceptions du maître. Définitivement, Paul Signac avait pris place dans l’histoire.

     Mais il n’était point qu’un artiste ; on a vu qu’il était un homme, qu’il était un marin. Il quittait donc régulièrement son havre tropézien pour gagner la haute mer, mettant le cap sur de grands ports. Ainsi mouilla-t-il à Marseille, Gènes, Venise, Constantinople, comme il mouilla, certaines années, à La Rochelle, Brest, Rotterdam, en quête de nouveaux motifs – quand il ne s’agissait pas de la quête d’un nouveau bateau ! Car il lui fallait toujours, pour nourrir ses rêves, un navire conquérant… D’ailleurs, pourquoi avait-il rejoint Roscoff, en 1891 ? Parce que Jacques de Thézac, philanthrope et navigateur accompli, lui avait recommandé le chantier des frères Kerenfors pour y faire construire L’Olympia. Autrement dit, une redoutable machine de guerre dont il prit possession au printemps, avant de rafler toutes les médailles mises en jeu lors des régates d’été à Concarneau ! Tel il ne pouvait s’empêcher d’être : un combattant ! Un authentique yachtman sur les quais, au sens de l’amitié légendaire, mais un corsaire dès qu’il posait un pied sur le pont… Sans doute est-ce pour cela qu’il vint et revint séjourner en Bretagne, d’abord à Saint-Briac, près de Saint-Malo, en 1885, puis à Portrieux en 1888, à Saint-Briac et SaintCast en 1890, en baie du mont Saint-Michel en 1897. Ce furent ensuite, de 1923 à 1930, des escales systématiques à Lézardrieux où il multiplia ces aquarelles tellement recherchées aujourd’hui. Lucie Cousturier, sa fameuse biographe, elle-même peintre, l’expliqua d’une tirade : « Dans aucune de ses aquarelles, Signac ne lave ni n’essuie, pas plus qu’il ne modèle : il écrit légèrement, délicatement… Il écrit avec les lueurs de la nacre et le beau du papier, des poèmes sur la splendeur de l’eau . »