À quoi pense un homme qui joue ? Que révèlent nos attitudes face au jeu ? Passer du jeu au je, c’est la proposition de cette sixième édition de Bouillants, ce festival pas comme les autres qui tire son nom de l’ancienne laiterie éponyme de Vern-sur- Seiche, son quartier général. Centré sur l’art numérique, le multimédia et la citoyenneté, Bouillants #6 explore cette année les arcanes… du jeu d’arcade, transforme le visiteur en joueur, en créateur d’oeuvres éphémères et collectives. « La thématique du jeu, ça paraît badin et léger, mais c’est loin d’être le cas ! Ici, le je(u) est une notion à saisir dans sa double connotation. Nous tentons d’explorer ce qui se joue et se noue entre le numérique et l’individu », souligne Gaëtan Allin, dirigeant de la société d’événementiel Saga et co-organisateur de Bouillants, en partenariat avec l’association Le Milieu. Pour y parvenir, les organisateurs ont rassemblé une vingtaine d’oeuvres numériques, créée par une quinzaine d’artistes français et internationaux. À chaque fois, le visiteur est appelé à interagir avec la proposition artistique pour lui donner corps. En voici quelques exemples, au détour des installations croisées dans les allées de cet OCNI (Objet culturel non identifié). Antonin Fourneau travaille sur le jeu vidéo. Dans Ghostpad, il présente une manette de jeu qui joue seule, sans écran. Le rythme et les mouvements correspondent à de célèbres jeux vidéos, que le spectateur peut deviner en faisant appel à sa mémoire. Un test de culture générale sur les jeux d’arcade, en quelque sorte ! De son côté, le journaliste et documentariste David Dufresne présente Fort Mac Money, un jeu vidéo et un documentaire, autour de l’exploitation du pétrole à Fort Mc Murray, qui permet au joueur de prendre le contrôle de cette prospère cité canadienne. L’occasion de s’interroger sur sa propre responsabilité de consommateur.
À travers le dispositif Painstation, le collectif allemand Fur teste, quant à lui, les limites sensibles du joueur et sa capacité à résister à la douleur. Il paraît qu’on n’en sort pas indemne ! Dans les locaux de l’Inria, sur le campus de Beaulieu, l’artiste britannique Seb Lee-Delisle présente Lunar trails, une oeuvre monumentale constituée des trajectoires d’alunissage du célèbre jeu vidéo Lunar lander. Le joueur participe ainsi à une oeuvre unique et originale.
Dans toutes ces propositions artistiques, le visiteur est placé au coeur du dispositif. Ce qui suppose, de la part des organisateurs, d’accompagner la découverte, sans brider la part de rêve qui découle de ce processus interactif. C’est pourquoi la médiation occupe une place essentielle chez Bouillants. « Nos médiateurs ont pour mission de réaliser l’interface entre l’oeuvre et le public : ils sont à la fois passeurs de connaissance et aiguiseurs de curiosité », résume joliment Ana Antrade, responsable de la médiation cette année. De ce point de vue, chaque édition est différente de la précédente, même si elle se nourrit des expériences antérieures. Formée à la méditation culturelle, Ana a constitué une équipe de quatre médiateurs. « Nous ne proposons pas une visite guidée, mais bien un accompagnement. La présence physique des médiateurs est fondamentale. En fonction de l’âge, des demandes du public, chaque visite est structurée. Il n’existe pas de projet a priori, c’est une formule sur-mesure ».
La journaliste Juliana Allin, présidente de l’association Le Milieu, reconnaît que cet état d’esprit, fondé sur la disponibilité et l’écoute, requiert un important travail d’action culturelle en amont. « Notre public est en recherche, nous ne sommes pas dans une exposition au sens traditionnel du terme. À Bouillants, tout est gratuit, mais les spectateurs sont très impliqués, ils sont vraiment acteurs », explique-t-elle.
Ana et son équipe de médiation développent une technique fondée sur l’écoute et l’observation : « nous montrons l’oeuvre sans rien dire, pour ne pas influencer la rencontre, qui contient toujours une part d’intime ». Pour aller plus loin, le joueur visiteur pour approfondir ses connaissances à travers des livrets de jeu, mais là encore, rien n’est imposé. « Il s’agit aussi de désacraliser l’oeuvre. À l’espace Bouillants, on met de l’humain dans le numérique. Tout cela n’a rien de magique, la technologie n’est jamais désincarnée », affirme Gaëtan Allin.
De fait, le numérique ainsi mis en scène permet de créer du lien, notamment intergénérationnel. Si les scolaires et les jeunes qui ont grandi avec le numérique fournissent les gros bataillons des visiteurs (25 000 en 2013, tous sites confondus), la proposition des Bouillants rencontre également un réel succès auprès d’un public plus âgé, pas toujours très familier du langage et des codes de l’art digital. Et l’incompréhension ou la méfiance des débuts cède souvent la place à l’intérêt, voire à la complicité avec les oeuvres et les médiateurs.
Cette année, la revue Place Publique a souhaité être partenaire de cette initiative ancrée dans l’agglomération rennaise. Attentifs aux mutations du territoire et aux enjeux du numérique (lire notre dossier sur la ville numérique, dans le numéro 25, septembre-octobre 2013), nous ne manquerons pas de prolonger ces rencontres dans une prochaine édition.