Jouons à Michel Pastoureau. Modestement. Empastourons la ville aux aguets de ses couleurs et de ses minuscules blasons d’aujourd’hui. Rennes en a eu un, paré d’hermines, l’a enfoui dans le vertige des archives, armoirie de bêtes et d’or rangé au magasin des accessoires. Reste son monogramme, vert, moderne il y a peu, donc démodé à présent. On le reconnaît, est-ce qu’on s’y reconnait ? Le « R » parant les portières ou en-têtant les courriers est-il un signe de ralliement ? Une identité ? Comme se reconnaissent ceux qui habitent cette maison de la rue de Viarmes, depuis un bon siècle et honore cette vasque accueillante décorée de minuscules cariatides en fonte.
Sur la colline de la chanson, la maison reste accrochée. Rennes est en creux ou en faux plat. On borde ici le cimetière de l’est. Et la maison n’est pas que bleue ! Une sorte de géométrie à la Mondrian, une façade écossaise ! Le choix des couleurs et des formes, dans les quartiers, échappe aux codes, aux ordres sauf pour la hauteur. Sinon, quartier libre si l’on peut dire ! Les rues sont insolites du coup, maisons carrées, toits raides ou moins, minuscules courrées, grandes maisons hautaines, bâtisse en pisé, traces de fermes… Flânant ici, passant par là, les rues soldent chaque époque. Le dédale du temps est un amusement !
Scandale des Baigneuses. Faites et refaites. Fondues et refondues. Restaurées maintes fois. La place de Bretagne en a quatre de paires appétissantes. L’art est sublimation, dit-on. Honneur donc à la ville qui est allée chercher des formes dans l’antique et crispe ainsi l’aujourd’hui. Non pas leurs couleurs issues de chez PSA, mais la girondité appétissante où chacun, néanmoins, repose séant ! L’excitation de l’art devrait aider à ne pas s’énerver. Les Baigneuses sont au Bain de face et de profil. Les gens qui passent choisissent leur camp. Pas que cela pour enchanter les âmes, puisqu’au nord de la Place, la Croix de la Mission exalte d’autre corps en souffrance.
L’usine est une réminiscence dans la ville. Le Minitel un tropisme. La modernité vieillit si mal et la fulgurance des objets, leur miniaturisation nous range, si l’on s’y réfère, à vieillir prématurément. Reste la flèche postmoderne de la Mabilais dorée il y a peu par l’artiste Bruno Peinado. L’art s’élance, le ciel est à portée. Notre vaisseau amiral pour transcender la Vilaine et servir de repère. Un amer à l’ouest, direction Ouessant !
L’inscription agrippe l’oeil. Elle convoque dans la ville des arbres. Le tréma est un signe sur le signe. Une forme d’injonction violente. Comme si « forêt » pouvait entrer chez nous, forer la ville. Les camions d’arbres, ces si lourds convois aux forêts couchées, se relèveraient, les futaies se redresseraient, fourreraient leurs racines au beau milieu des caves, se fichant des piliers d’absides, des colonnades ou des pilotis de quais. « Forêt » semble un cri du lointain, agrafé partout et dont la graphie sauvage crie aux loups. Les Poucets que nous sommes que nos petits cailloux blancs ne soient plus suffisants.
La réclame coupait en trois le vin cuit en question. Le mur de Sainte Anne est devenu un enjeu, comme toute la place et son Palais des congrès en construction, voire un prétexte aux ronchons. Comment refaire une ville ? Accepter d’en changer, partiellement ? Comment faire trinquer ensemble ceux qui réclament des vieux murs aux couleurs apéritives et ceux qui trouvent la ville figée ? Comment rallier ceux qui trouvent le FRAC trop loin et ceux qui pensent le Palais trop au centre ? Comment réunir une ville où il y a dubo, dubon et du mauvais ? Je me souviens du métro parisien de mon adolescence avec ce même slogan scandé à longueur de tunnel !
La piscine Saint Georges n’est pas tout à fait aussi belle que celle de Roubaix, mais dans cette dernière on n’y nage plus. Alors qu’ici, dans ce mauresque sans minaret, oui. St Georges et son bassin unique de 33 mètres et sa belle époque de cabines traversantes. Depuis peu, l’architecte des bâtiments de France pourrait, s’il s’adonnait à la brasse, y trouver à redire. Les cabines sont doublées de casiers moches. Les carrelages trempés par ceux qui entrent se déshabiller et ressortent les bras chargés, sac à main, escarpins, manteau ou autres impedimenta en croisant ceux qui s’ébrouent et foncent à leurs vestiaires. Il y avait un art de vivre propre à cette piscine hors d’âge. La rationalisation décidément a raison des dernières enclaves ! Bleues jusqu’à nouvel ordre.