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Contributions
#33
RÉSUMÉ > Notre rubrique de flânerie subjective se poursuit au fil des rues. L’oeil exercé de Gilles Cervera capte des détails surprenants et poétiques au détour des murs, des places et des carrefours. Psychothérapeute de profession, il sait faire parler la ville de ce qu’elle dit d’elle-même, ce qu’elle montre avec ostentation ou dissimule avec soin dans les recoins de sa mémoire urbaine.

     Une oeuvre singulière, spontanée. Une accumulation digne du sculpteur Arman (1928-2005). Passé le porche monumental du cimetière du Nord, la tour d’arrosoirs fait oeuvre d’art. Diplôme de fin d’études vernaculaire. Les mains fidèles prennent l’eau et rangent ensuite sur son axe les arrosoirs. Ailleurs il s’agit peut-être de seaux, quelquefois des réserves de vieilles bouteilles d’eau ou là, des boîtes de conserve de collectivité avec un fil de fer en guise d’anse. À Rennes, ville de culture, l’arrosoir fait oeuvre : la Biennale est partout !

     Certains hébergent force nids. L’arbre au naturel est ainsi. Frondaison, habitation, nidification. Ici se loge une paire de chaussures. Arbre à grolles, tronc à pompes, c’est plus rare. Arbre à baskets, reconnaissonslui sa singulière modernité ! S’il lui en prend soudain l’envie, à notre arbre, d’engager un jogging pour son bon plaisir, une course en dehors de la Promenade des Bonnets Rouges, il se chausse et vite fait bien fait file en courant, jusqu’où il l’entend, son souffle d’arbre est suffisant, puis il se déchausse au retour et réenfile ses racines. L’arbre n’est pas de Berthe, il a bien deux pieds.

     Seulement une ruine de ruines d’un mur peint avec des ruines. Ce qu’il reste de l’Élaboratoire. Cette expérience assez berlinoise à Rennes est désormais réduite à ce tas de pierres. Paysage ruiniforme avant inventaire de ville. Poussera à Baud-Chardonnet un quartier clean sur les gravats de l’underground comme ont poussé des arbres (et des voitures) sur les assiettes pilées et les montres à gousset du quartier Saint-Germain. Il y aura des logements, une promenade le long de la Vilaine. Comme à Bordeaux le long de la Garonne, comme au Quartier des Neiges du Havre, comme presque partout où s’abolissent les souks, le bizarre, les bazars, les friches, le fouchtra… D’autres jeunes squattent déjà en d’autres marges. Où ? Surprise. Sans doute plus loin, en d’autres confins, loin de Villebois-Mareuil.

     UHSA, comme Unité Hospitalière Spécialement Aménagée. Un nouveau sigle dans la ville. Une signalétique en plus pour une unité de plus, un enfermement dans l’enfermement. Le long de l’avenue François Chateau, il y a cela qu’on voit sans voir. Comme disent les jeunes, vite fait. Les prisonniers de ces murs ne souffrent pas que de l’imperméabilité du béton au bruit des autos et aux cris des corps. Souffrance de leur folie, souffrance de leur incarcération, souffrance de l’ostracisation : triple enceinte donc. N’ignorons pas ce qu’on ne regarde pas car ça nous brûle d’autant. Heureusement que la planète Mars reste difficile d’accès.

     L’enclos, la haie, le talus, la frontière, les barrières et puis débutent la ville, les quartiers et l’organisation cadastrale, aujourd’hui pompeusement baptisée plan local de l’urbanisme (PLU). Au départ, un notaire a dû penser le monde, organiser les territoires, tenter de séparer les hommes. Leur besoin consubstantiel de se comparer d’un côté ou de l’autre du mur. J’écris cela le 9 novembre 2014, date anniversaire s’il en est ! La seule fois en 1989 où j’ai imposé à mes jeunes fils de regarder la télé ! Les gens mettent tant de soin à créer des belles clôtures : celle-ci sur le Mail, élégant berceau de ciment pour la demeure d’une famille de bâtisseurs, les Novello, dont Place Publique avait parlé dans un précédent numéro.

     À Paris, vous êtes peut-être, comme beaucoup, venus flâner square du Vert-Galant, tout au bout de l’île de la Cité, main dans la main ! Désormais, Rennes aussi a son vert galant. Ses pontons en trémies métalliques arrimés au rêve d’arriver ou de partir. Depuis les ombrelles du Mail, dentellières de ciel, on descend maintenant en cette proue triangulaire. Plein ouest. Ici, le liseur se pose, les sportifs font une pause, les bavards bavardent, les amoureux se taisent. Leurs yeux dorés par le soir quand la Vilaine rougeoie. Le Mail, à nouveau urbain comme un poème !

     Place Publique rallie les deux cités, la corsaire et la capitale ! Glissons ce panneau qui amuse avant de pénétrer, on le sent bien, un territoire à part. Quelque chose s’annonce, de frontalier sans frontière, de séparé sans être insulaire. Il faut l’admettre, ce panneau est déjà un récit. Celui d’une ville, une République, où les sens ne sont peut-être pas au même prix ! Juste après, c’est Pointe-à-Pitre !