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Contributions
#22
RÉSUMÉ > Suite de notre rubrique de flânerie subjective à travers les rues de Rennes. En se baladant, nez au vent, Gilles Cervera capte les détails. Des détails qui n’en sont peut-être pas…

Un jour, 10 h 32, boulevard Auguste-Pavie à Rennes. Je marche le long d’un chemin bordé d’un côté par des jardins, de l’autre par un foyer d’accueil primo-arrivants. Devant le portail, sur le trottoir, une femme, une valise à roulettes serrée contre elle et sa fille, sac à dos et guitare sur l’épaule. Le portail ne s’ouvre qu’à son tiers le plus étroit. Une voix d’homme sans appel et sans visage répète: “Come back to morrow, come back to morrow, come back...”

Biennale enfumée! Au Thabor, restent-ils là le jour et la nuit, les deux danseurs casqués? Les artistes ne sont pas soumis aux 35 heures ! La danse peut-elle être sans fin ? La performance attire l’œil par ses fumées d’Enfer. Ils sont dans une cage comme celles qu’utilisent les agriculteurs pour donner à manger aux bêtes. Ici, deux corps infinis se donnent au son. Performance ! Danse ! Le Thabor, l’hiver, réserve aux passants des oiseaux dans la volière et des danseurs dans les arbres ! 

Les feuilles sont tombées. La scène jonchée d’or ! Le théâtre de verdure est un théâtre d’éparpillement pas si désordonné ! Metteur en scène : le vent ! Scénographes associés : les arbres ! Jauge de spectacle souple : écureuils et oiseaux, beaucoup d’oiseaux ! Quelques enfants au-dessus font un ping-pong. Se croisent des joggeurs, des marcheurs nordiques, des yogis appliqués et une société alentie qui se promène, s’offre et parfois, sur un banc, se pose et converse.

L’automne encore. Sur un capot. L’arbre panchronique répand ses flammes. La feuille bilobée fait un pendentif aux cous des belles, des bagues la déclinent ou les potiers l’impriment sur la terre des vases. La feuille fascine. C’est le symbole de la ville de Tokyo et elle s’affiche sur les bus de Besançon dont le futur tramway empruntera aussi son nom ! C’est aussi celui d’un écoquartier bordelais : l’arbre est un sésame ! Un ginkgo a survécu à l’explosion d’Hiroshima le 6 août 1945, à moins d’un kilomètre de l’épicentre. Il résiste, le ginkgo, y compris aux aléas mutagènes. Sa feuille est un écu ! Venue de l’arbre venu de si loin ! On colporte que ce serait le plus vieil arbre, celui retrouvé dans les strates permiennes ! Ici, le ginkgo vibre et donne envie aux couleurs ! Rue du Thabor, partout dans la ville, ses surprises enflammées. Au Palais Saint- Georges, on le trouvait puant à cause de ses ovulations annuelles et le couple a été arraché !

Un tour à Bruz. Ville qui semble toujours s’allonger, se répandre, s’ouvrir vers les champs, dévorer le paysage. Quoiqu’il en reste. Au milieu de Bruz une croix de cimetière car la mémoire est ici un champ de tombes, un sanctuaire précis. On se souvient : un dimanche soir de trop, une méchante erreur de tir allié. Bruz a pour centre un cimetière : ainsi vont les générations. Contourner le forum est ici mémoriel. Il s’est passé cela, l’irréparable. Dans la nuit du 7 au 8 mai 1944, cent-quatre-vingt-trois Bruzois sont morts sous ce feu absurde, un soir de communion. Entendons ce mot et soupesons l’écrasement de son sens. Bruz se construit tout autour et ses escaliers escaladent tout sauf l’oubli. Il y a aussi un cimetière neuf et excentré à Bruz où le symbolique est central.

Il y a quelques temps, nous surprenions une façade molle, volant aux vents. Provisoire, nous le disions (Place Publique n°17) et la fixions dans sa fiction, stoppant par la photo ses meurtrières en plastiques, ni ouvertes ni fermées comme des voiles souples ou des draps qui sèchent. Le résultat est métallique. Aujourd’hui, le construit brille d’alvéoles. Le métal témoigne du ciel et raconte ses passades. La crépine s’ouvre, donnant du discours aux façades.

Comme une partition, ces traces sur la rue ! Des noires et des blanches et des pas à croche menu ! Double croche pour les premières roues qui y creusent des lignes. Portée simple d’une géométrie qui soudain renouvelle la ville. Notre rue n’est plus notre rue, notre immeuble est différent, l’allée des jardins est épaissie. Les bruits que la ville fournit sont ouatés et le pas sans poids du passant crisse : il neige !