Le 17 décembre 2012, Ouest-France signalait l’inquiétude de nombreux personnels de l’Université de Rennes 1. Quelques jours plus tard, l’Université, après deux exercices budgétaires successifs déficitaires (2010, 2011), a été mise sous tutelle rectorale. Ainsi, les Recteurs d’académie décident des budgets des universités qui ont choisi précocement l’autonomie et qui se trouvent en déficit en raison des insuffisances des transferts de charges par l’État.
Le 21 décembre 2012, le budget 2013 arrêté par le Recteur Chancellier des universités a été présenté aux administrateurs de Rennes 1, sur la base d’un scénario préparé par la majorité du président Guy Cathelineau. Afin d’assurer un équilibre budgétaire en 2013, environ 55 postes vacants suite à des départs en retraite et départs ne seront pas remplacés. 35 postes d’enseignants-chercheurs et une vingtaine de postes de personnel administratifs et techniques sont donc « gelés ». A contrario, l’Université du Maine (Le Mans), qui a organisé un passage vers l’autonomie plus tardif, ne présente pas de difficultés budgétaires, car l’État a continué, en 2009 et 2010, à mandater lui-même les salaires des personnels… Ainsi, une université qui ne voulait pas être autonome l’est et a peu de difficultés pour l’instant1, et une université qui a voulu être rapidement autonome est en déficit et sous tutelle…
Ces dernières années, les universités se sont professionnalisées et ont su renforcer leurs stratégies scientifiques. L’Université de Rennes 1 s’est jusqu’à présent maintenue aux alentours de la 500e place dans les classements internationaux des universités (AWRU Shanghai et QS). Cependant, le scénario idyllique d’universités autonomes ayant résolu leurs problèmes de moyens « à l’horizon 2012 »2, annoncé par certains a été remplacé par celui, plus réaliste, de la persistance de la pénurie et de la crise dans l’Université française3. Depuis plusieurs années, les responsables politiques se sont gargarisés d’expressions nous vantant la « société de la connaissance » mais ont organisé les dysfonctionnements de l’Université française, provoquant l’inquiétude persistante des étudiants4.
L’Université de Rennes 1 connaît des difficultés similaires à celles de Nantes et Angers. De fait, si la présidence de l’Université n’avait pas déjà gelé des postes en 2012 et pas envisagé de le faire elle-même en 2013, des déficits auraient été annoncés pour 2012 et 2013, comparables à ceux des universités voisines. Originalité remarquable dans le paysage régional, l’Université Rennes 2, notoirement sous-dotée, a voté des budgets en équilibre et a revendiqué une gestion de qualité. Faut-il alors critiquer la gestion de Rennes 1 ? Une réponse mesurée et intelligente a été donnée par la professeure Catherine Barreau, dont les listes ont obtenu 7 élus (comme celles du président Cathelineau) au conseil d’administration de Rennes 1 lors des dernières élections. Peu d’universités sont pour l’instant sous tutelle, constatait-elle, sans nier que toutes les universités connaissent des difficultés budgétaires.
Les toutes dernières semaines ont vu les universités des Pays-de-la-Loire obtenir, grâce à la mobilisation des parlementaires et élus locaux, des rallonges budgétaires de l’État et des augmentations de subventions de leur conseil régional. Interrogé, le 5 février, à un conseil scientifique de l’Université, le professeur Guy Cathelineau a exclu de pratiquer ainsi que le font ses voisins présidents des universités de Pays-de-la-Loire. L’attachement du président Cathelineau à la réforme de Mme Pécresse est manifestement fort et, parce qu’il veut une autonomie de sa politique d’établissement par rapport aux pouvoirs politiques, il ne souhaite manifestement pas que les collectivités locales apportent une nouvelle aide, en particulier parce qu’il ne voudrait pas d’aides conditionnelles. Le serrage de vis sur le plan financier et humain n’en est que plus fort. Des non-ouvertures de diplômes, ou des fermetures, ne sont plus à exclure. Par ailleurs, la volonté d’autonomie de Rennes 1 est conditionnée, sur le long terme, à la réelle mise en place d’un schéma régional, voire interrégional, de l’enseignement supérieur (question, notamment, du remplacement des Pôles de recherche et d’enseignement supérieur dans la future loi).
À Rennes, hormis il y a quelques années, à propos d’une éventuelle fusion entre Rennes 1 et Rennes 2, il n’y a pas, dans la ville, de débats réellement politiques autour des questions universitaires. Par certains aspects, cela est positif, ce qu’on appréciera lorsque l’on sait que le président de l’Université de Brest n’hésite pas à présenter des voeux très politiques, en « taclant », dixit Le Télégramme, le changement prôné par le Président de la République. Cependant, à Rennes, il n’y a non seulement pas de débat public, mais aussi pas de réelles opinions différentes présentées dans les instances où il doit y avoir des délibérations : consterné, un parlementaire du département me déclarait, début janvier, « à Rennes, même quand une politique universitaire locale ou nationale est mauvaise ou peu sociale, au CA des universités, les élus locaux ne s’expriment pas, ne montrent pas leur désaccord, ne rencontrent pas le personnel ».
On est bien loin des positions des élus locaux socialistes d’Angers et des Pays-de-la-Loire qui n’ont pas hésité à exprimer leur refus de la logique de l’aggravation actuelle de la situation des universités : en décembre dernier, à l’unanimité moins une voix, les membres du CA de l’Université d’Angers ont voté une motion indiquant : «le ministère fragilise les universités et organise la casse de l’offre de formation et de recherche du service public à Angers ». Derrière cette motion, apparaît aussi une contestation du cabinet ministériel de Mme Fioraso, ministre de l’Enseignement supérieur. En effet, loin d’être constitué d’universitaires ayant marqué leur opposition à la loi d’autonomie des universités et à la politique sarkozyste (notamment lors du grand mouvement de 2009), ce cabinet est composé au contraire d’universitaires, tous professeurs, ayant mis en oeuvre, comme présidents d’université, la LRU… À Rennes 1, malgré le gel de 33 postes en 2012, malgré le gel de plus de 50 postes en 2013, malgré les déficits budgétaires de 2010 et 2011, aucune motion équivalente à celle d’Angers n’est portée par l’Université et les élus locaux.
Ces quelques lignes voudraient informer et ouvrir un débat, sans tomber dans des postures idéologiques radicales ou dépassées. Tout, dans les réformes de ces dernières années, n’était pas à rejeter (l’auteur de ces lignes est ainsi favorable aux processus d’évaluation). Il est légitime que des opinions diverses, respectueuses des personnalités et des libertés académiques, puissent être exprimées. Créer des oppositions mettant en cause les qualités des uns ou des autres ne grandirait pas l’Université bretonne.
Le vrai débat, en réalité, est ailleurs. La France ne donne pas à ses universités, et à ses universitaires, la reconnaissance qu’ils méritent. Les salaires des jeunes universitaires le démontrent. À l’heure où Florence (Italie), offre 3 800 à 4 900 euros nets par mois à un maître de conférences, où Cambridge offre 4 800 livres par mois pour un poste équivalent, et Louvain, en Belgique, propose une grille qui commence à 2 400 euros net par mois (pour ne pas parler des universités publiques canadiennes où sont partis de jeunes docteurs rennais), la France « offre » royalement 1 760 euros nets par mois (1,49 Smic) aux jeunes maîtres de conférences bac + 8, sans aide au logement ou à l’installation.
En vingt-cinq ans, des milliers de jeunes universitaires français brillants sont partis vers le Canada, les USA, la Suisse, la Belgique ou l’Angleterre. Non seulement il n’y a pas eu, pour l’immense majorité, de revalorisation, contrairement à ce que certains ont voulu faire croire, mais, en 25 ans, le niveau de vie moyen d’un maître de conférences à baissé de 30 %, son salaire annuel net exprimé en euros constants a baissé de 8 000 euros. La part des dépenses pour l’enseignement supérieur, en France, en pourcentage de PIB, est très faible. Sans changement rapide des politiques publiques en ce domaine, il est à craindre que l’Université française continue de voir ses positions s’affaiblir dans le monde.