Monsieur Pierre est installé sur le trottoir de la rue de Fougères, une fois l’an. Sa cloche aigrelette réveille les torpeurs. Posté près du carrefour avec la Duchesse Anne, rendez-vous avec les habitués. Des bouchers, des traiteurs, des coiffeurs, tout ce qui doit couper, raser, trancher ! Ils viennent même si la vie est moins aisée au rémouleur d’aujourd’hui. Couperait-on moins ? Pourtant, on ne semble pas moins coupable qu’auparavant !
L’atelier ambulant de Monsieur Pierre encombre un peu. Il ne procure aucune gêne, aucun ronchonnement de la part des passants. Mieux, Monsieur Pierre est salué. Bonjour, bonjour! C’est la rengaine des passants, les uns s’arrêtent, d’autres sourient. Tous s’intéressent! Quel petit miracle produit donc un rémouleur à part de filer la lame des couteaux? Il rassure, il rappelle, il remémore.
Voilà qu’il renseigne un jeune à vélo qui a fait le détour et dont l’Opinel, « ressemble à un couteau à beurre ». Bien sûr que Monsieur Pierre pourra lui « ramener la pointe ». Le jeune s’en va, dit qu’il reviendra, revient déjà. Tout à la joie future de retrouver pointu son Opinel, il a oublié de s’enquérir du prix et pour le prix? « Pour ramener la pointe, dit Monsieur Pierre qui ne s’arrête pas de remouler quand il parle et pèse avec le pied sur le pédalier de bois: c’est quatre euros ».
Dans le tintamarre des bus 5 ou 9, il y a la crécelle de la lame sur la pierre qui roule. Notez-le, Monsieur Pierre est un rémouleur dont le nom est l’exact outil de son travail. C’est sur son propre nom qu’il aiguise, effile et affine, redonne au fer ou l’acier son utilité. Belle matinée d’octobre donc où les vieux métiers font encore du potin dans le tohu-bohu de la rue!
Carrefour Des quatre banques, comme on le nomme! Un petit arbre y livre tout son mystère. Témoin d’un autre jardin? D’un autre cadastre, moins voué aux bitumes? Petit arbre japonisant, humble. Minuscule et très présent.
Aux carrefours s’est décidé le commerce. Aux carrefours les premiers marchands ambulants ont posé leurs étals. Aux carrefours et aux confluences se sont décidées les villes, les marchés, le négoce. Les ports y compris où se croisent un fleuve et l’océan. Ici dans ce carrefour de la Rue de Vern et des boulevards Léon- Bourgeois et Franklin-Roosevelt, il y a surtout cet arbre. La solitude étrange de ce petit arbre.
Son tronc est droit et fragile. Surmonté d’un entrelacs comme un noeud racinaire qui soutiendrait de ses baleines torses l’ombrelle serrée de la frondaison. Cet arbre est quasi un bonzaï. Quelle est son essence? Quelle est son histoire? Quelle fantaisie de quel jardinier a semé sa graine ou en a planté le sillon?
L’arbre conte autre chose que les quatre façades bancaires. L’arbre est là, humble et rassurant. Chez lui sur le trottoir. Aux feux, depuis les voitures, certains le regardent.
Avons pu lire dans le forum d’Ouest-France un lecteur traitant de « crotte » le monolithe « Le magicien » de Jean Michel Sanejouand, parant le parvis de la gare. Une de nos voisines taxait l’autre jour la tête blanche que l’artiste Claudio Parmigiani a couché dans la fontaine de Coëtquen de « chou-fleur ». On a vu aussi le trou infligé à l’épaule gauche d’une des dames moulées de la place de Bretagne.
Preuve en tout cas que l’art touche au sacré. La preuve par la profanation, soit symbolique, soit à balle réelle.
Angle de la rue de Fougères et en s’approchant de la fac de droit, du minuscule quadrilatère que forme la rue de la Croix- Carrée. Regardons la croix qui donne à la rue son nom. Cherchons-là, on la voit mieux en venant de la fac. Elle est peinte comme un blason à l’angle d’une maison hauturière. Elle est jaune sur fond bleu et rebondie comme un ventre. A quelques mètres de hauteur, incluse dans la maison, le blason est sculpté. Il faut lever le yeux: la croix y est donc carrée.